Accueil CULTURE « No man’s land » : Éboueurs et musiciens dans les rues de Johannesburg

« No man’s land » : Éboueurs et musiciens dans les rues de Johannesburg

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C’est une de ces fêtes de rue, soleil éclatant sur bitume défoncé, dont Johannesburg a le secret: une fanfare de ménestrels, bâton voltigeur de majorette, visages peints et costumes scintillants, a entraîné samedi des éboueurs de la mégalopole sud-africaine pour défier la grisaille et évoquer l’état de la planète.

Un petit garçon au T-shirt troué, poings derrière les hanches et bouche ouverte, dévore des yeux la procession « No man’s land », mise en scène dans le centre de création du metteur en scène William Kentridge, mondialement connu pour ses dessins et ses montages animés. L’artiste de 68 ans aux sourcils broussailleux est là, dans son habituelle chemise blanche et panama beige, observant d’un air amusé l’agitation, les sifflets et les youyous.
Mais c’est le chorégraphe Sello Pesa, 53 ans, lunettes branchées et dreadlocks ouvragés poivre et sel, qui a imaginé cette procession pour fêter la dixième saison de la compagnie, située dans le quartier de Maboneng, en plein cœur du centre sinistré de la capitale économique sud-africaine. Dans la cour de cet ancien complexe industriel, composé de petits bâtiments en brique abritant salles de spectacle et ateliers multiples, les artistes se préparent. Sello Pesa a intégré à la troupe des éboueurs recycleurs, sans employeur, qui fouillent chaque jour les poubelles de la ville pour en extraire cartons, ferraille et autres plastiques qui leur rapportent quelques sous.
« J’aime regarder ces groupes ignorés par la société et les intégrer au regard public par l’art. Introduire les déchets, ce qui est jeté, dans un espace chic, immaculé », faire se rencontrer des mondes, explique le danseur de formation.

Fée plastique
« La dernière fois, j’avais fait appel à des Congolais, qui travaillent comme gardiens de parking. Aujourd’hui, ces recycleurs sont principalement du Lesotho, je les ai rencontrés dans la rue, en garant ma voiture. Ils me racontent leur vie, je leur raconte la mienne, ainsi on tisse des liens », explique-t-il à l’AFP.
Soudain apparait une fée dans une robe cousue main époustouflante. Un gilet fluo à l’image des éboueurs, prolongé d’une jupe en plastique recouverte de bouteilles vides — lait, déodorant, produit WC — et de papiers froissés. Comme si le contenu d’une poubelle lui avait été versé sur la tête. « C’est ce que traverse actuellement la planète », confie à l’AFP Teresa Phuti Mojela, 39 ans, danseuse de formation et membre de la troupe Kentridge. Elle a chaud sous sa jupe en plastique. Comme la planète, encore. Attitude défiante, port de tête insolent, elle tient à la main une fourchette et une flute de champagne. « Cling, cling », elle exige l’attention du public et signale le début de la fanfare.
Les éboueurs chantent a cappella, tapant dans leurs mains, se servant de sachets, qu’ils gonflent puis frappent, comme percussions, multipliant les bruits de bouche comme autant de boombox. Voisins et promeneurs passent une tête, se mêlent aux cris de joie et la fanfare se lance dans les rues, derrière un pick-up chargé d’un haut parleur. En tête, un ménestrel coiffé de plumes roule des yeux terribles et grimace pour amuser les enfants. Il jette son bâton en l’air, le récupère avec adresse et se déhanche en rythme. La scène évoque un Mardi Gras à la Nouvelle-Orléans. Débauche d’énergie et de joie bruyante dans ces rues pauvres, déglinguées et dangereuses. Plusieurs voitures de police encadrent la folle procession qui passe devant de petites épiceries et des braseros de viande grillée à même le trottoir. Une joie fugace traverse le visage de passants qui s’arrêtent un moment, captivés, avant de reprendre leur chemin.

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