Accueil MONDE Face aux attaques : le Pakistan va-t-il armer ses enseignants ?

Face aux attaques : le Pakistan va-t-il armer ses enseignants ?

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Le principal Naveed Gul passe devant le garde armé à la grille avant de rejoindre son bureau, dans une école du nord-ouest du Pakistan. Pendant que des élèves révisent dehors, il glisse une main sous son pull et en tire un pistolet.
« C’est un M20 », explique-t-il, « il est fabriqué en Chine et fonctionne parfaitement ». Au Pakistan, le débat sur le port d’armes par des enseignants en classe a resurgi après l’attaque meurtrière des talibans contre une université, au cours de laquelle un professeur de chimie, Syed Hamid Husain, a ouvert le feu sur les assaillants.
Des étudiants ont raconté comment ce jeune père de deux enfants avait été tué alors qu’il tentait de les protéger durant l’attaque qui a fait 21 morts à l’université Bacha Khan, dans la province de Khyber Pakhtunkhwa. Les enseignants de cette province avaient reçu l’autorisation de porter des armes après un massacre perpétré par les talibans dans une école de Peshawar, la capitale provinciale, en 2014.
Dans l’école primaire publique Akhunabad, également située à Peshawar, c’est dans le tiroir de son bureau que M. Gul garde son pistolet. La présence d’armes à l’école le rassure. « Si vous avez des armes avec vous, vous pouvez riposter, » assure-t-il. L’homme aux moustaches soignées a déjà en tête le scénario. « Si un terroriste rentre et que je suis assis ici, je sors aussitôt mon pistolet » dit-il, mimant le geste. « Je m’abrite ici, et je peux faire feu sans paniquer ».

Nouvelles menaces
Selon des psychologues récemment interrogés par l’AFP au sujet des fusillades à répétition dans des écoles américaines, le stress post-traumatique peut entraîner un type de vigilance excessive, proche de la paranoïa. Mais pour M. Gul, c’est une question de réalisme.
L’enseignement est depuis des années la cible des insurgés au Pakistan, de la tentative d’assassinat de la lycéenne Malala Yousafzaï dans la vallée de Swat en 2012, à l’attaque de l’université mercredi, en passant par le massacre de 150 personnes, en majorité des élèves, à Peshawar fin 2014.
Vendredi, la faction des talibans responsable de l’attaque contre le campus de Bacha Khan a menacé de s’en prendre à d’autres établissements scolaires, les qualifiant de « pouponnières » formant les « gens défiant la souveraineté d’Allah ». « Je veux me protéger et protéger mes élèves », souligne M. Gul. Le porte-parole des autorités provinciales, Shaukat Yousafzaï, souligne qu’avec 68.000 écoles et seulement 55.000 policiers au Khyber Pakhtunkhwa, le gouvernement ne peut pas assurer la sécurité, et a donc cédé aux demandes en autorisant les enseignants à porter une arme. « Il n’y a pas de mal à l’utiliser en cas d’attaque », estime M. Yousafzaï. Mais pour Saad Khan, un expert en sécurité basé à Peshawar, autoriser les armes à l’école est « stupide » et augmente le risque d’accident en cas de dispute entre jeunes surexcités.
Cet officier retraité en appelle à plutôt s’attaquer aux racines de la violence et à muscler la campagne nationale contre l’extrémisme, jugée trop timide, notamment dans le domaine de l’éducation.
« Faisons-en des hommes lettrés », réclame-t-il. C’est justement ce qu’était le professeur Syed Hamid Husain, tué lors de l’attaque de Charsadda. Jusqu’à récemment, ce brillant universitaire se disait fier d’enseigner dans un établissement portant le nom d’un pacifiste (celui de l’homme politique et poète contemporain Bacha Khan, NDLR). Son grand frère Sajjad est fier de lui. « On ne sait pas d’où lui est venu tout ce courage, » assure-t-il à l’AFP devant la demeure familiale à Swabi, son neveu de trois ans dans un bras et une photo du père de l’enfant dans l’autre. Le massacre de dizaines d’élèves par les talibans à Peshawar fin 2014 avait cependant transformé son frère, jadis « doux », en quelqu’un d’un peu plus « cruel », selon Sajjad. « Il disait qu’il ressentait un tremblement à l’intérieur (…) qu’il fallait faire quelque chose ».

«Pas peur»
Si la question du port des armes déchire les Etats-Unis, entre le durcissement prôné par Barack Obama, et la demande de certains Républicains d’autoriser des armes dans les écoles, la polémique semble quasi-inexistante au Khyber Pakhtunkhwa. Parents comme élèves soutiennent avec une unanimité déconcertante le fait d’armer les enseignants.
« Ils peuvent se battre et tuer peut être deux, trois ou quatre personnes », souligne Ehsanullah, dont le fils étudie à l’école Akhunabad. « Quand ils (les assaillants, NDLR) viendront, notre maître les attaquera », assure Shafey Hussain, une élève de 10 ans, anticipant une attaque avec une effrayante certitude. « Nous n’avons peur de personne ».

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