Par Ali El Hadj Tahar
« Que vais-je faire de la démocratie si je perds l’Algérie », avait dit Slimane Amirat, un chef de parti politique et grand moudjahid de la Révolution. C’est avec cette conscience que des millions d’Algériens ont adhéré à l’option constitutionnelle de sortie de la crise politique, sachant que tout chemin inhabituel est parsemé d’embuches.
Dès le départ, en exigeant l’application de l’article 102, le Haut Commandement de l’armée, Institution garante de la sécurité de l’État et de sa souveraineté, a voulu prouver que l’ANP était aussi la garante des libertés et des droits humains. Dans les dictatures, les soldats sont les premiers à violer les droits civiques des citoyens, à mettre leur vie en danger, même quand ils pensent vouloir restaurer la sécurité publique. Réprimer et tuer les manifestants devient une obligation pour préserver l’intégrité territoriale, la paix sociale, la souveraineté de l’État, pensent souvent les militaires, même quand ils ne veulent pas instaurer un régime prétorien. C’était le cas de Saddam, par exemple. Par contre, visant le pouvoir pour servir la bourgeoisie et l’impérialisme, les juntes militaires d’Amérique latine ont fait des millions de victimes. A eux seuls, les trois généraux (Montenegro, Osorio et Montt) qui se sont succédés au Guatemala entre 1966 et 1983 ont tué respectivement 8000, 20 000 et 200 000 personnes. Le dernier a carrément rasé 440 villages mayas.
On ne soulignera donc jamais assez le record algérien, ou plutôt ce miracle qu’une armée et une police ne fassent pas couler une seule goutte de sang. Cette réussite est une preuve que la police et l’armée algériennes sont des outils majeurs pour l’instauration de la démocratie. Car sans une police et une armée civilisées, au sens donné par Huntington, il n’y a pas de démocratie. L’ANP a été la garante de la protection de la démocratie et ce, dès sa décision d’imposer la voie constitutionnelle, prouvant ainsi qu’elle n’a pas l’intention de briguer de poste politique. D’ailleurs, le 24 septembre, feu Gaïd Salah a dit que l’armée reste «sur ses positions constantes et assurant qu’aucune ambition politique n’anime son Commandement, exceptée celle de servir l’Algérie et son peuple». L’ANP a voulu prouver qu’instauration de la démocratie est antithétique avec violence policière ou militaire.
Ainsi, l’une des phrases les plus puissantes qu’un chef militaire pacifiste — car il en a existé quelques-uns — ait jamais prononcée est celle-là : « Nous sommes du peuple. Comment voulez –vous qu’on fasse intervenir l’armée contre le peuple. Impossible ! » Cette assertion restera marquée en lettres d’or dans l’esprit des soldats d’aujourd’hui et de tous les soldats qui naitront et auront à protéger l’Algérie, car défendre cette terre, c’est défendre le peuple. Une armée qui tire sur le peuple quand il est possible d’éviter le carnage pour régler une crise interne ne peut pas être une armée nationale, patriotique, souverainiste. Le défunt chef de l’ANP a veillé sur la nécessité de régler la crise pacifiquement, d’autant que le caractère pacifique du mouvement était un critère fondamental pour que l’ANP et les forces de l’ordre réussissent leur pari.
Il faut cependant ajouter que le professionnalisme poussé, la retenue, la vigilance et le pacifisme ont été pour beaucoup dans cette gageure, et la providence tout autant. À Hong Kong, les Chinois sont en train de prouver, eux aussi, que la préservation de la vie humaine est un fondement de la démocratie. Il est à espérer que l’exemple algérien fasse du chemin et que les peuples aient une autre perception de leurs soldats : justes, pas cruels. La démocratie et les droits de l’homme sont à ce prix, et si les militaires sont devenus des exemples pour les millions qui ont pleuré Gaïd Salah, il faut que les politiques commencent à s’inspirer du peuple au lieu de philosopher à partir de données et de vieilles théories occidentales.
L’ANP et la police algériennes ont donné une grande leçon de démocratie, qui est une éthique et une pratique avant tout, pas des projections construites à partir de schémas occidentaux illusoires et fallacieux. En protégeant le Hirak, nos forces armées ont donné l’exemple à des partis et un contre-pouvoir qui tardent à prendre le train de la raison : construire l’avenir du pays au lieu de pleurer sur le passé.
A. E. T.