Les forces kurdes irakiennes ou peshmergas ont repris ce vendredi la ville du nord de l’Irak, qui était aux mains de l’État islamique. Tout un symbole. Les forces kurdes irakiennes sont entrées vendredi 13 novembre à Sinjar, une ville du nord de l’Irak qu’elles veulent reprendre au groupe djihadiste État islamique (EI).
Les peshmergas (kurdes irakiens) ont annoncé avoir récupéré une zone d’environ 150 kilomètres carrés de la présence de l’EI et que l’opération a été accomplie à 75 % avec succès. L’opération était prévue de longue date, mais ce n’est qu’au matin du jeudi 12 novembre qu’elle a enfin reçu le feu vert. À l’aube, après une nuit de bombardements par les avions de la coalition anti-État islamique, plusieurs milliers de combattants peshmergas (kurdes irakiens) se sont lancés à l’assaut de la ville de Sinjar, dans le nord de l’Irak, sous la férule du groupe djihadiste depuis août 2014. Cette campagne militaire « Sinjar libre », chapeautée par le gouvernement de la région autonome du Kurdistan et son président Massoud Barzani, a pour but de reprendre le contrôle de la ville et d’y établir une zone tampon protégeant ainsi les populations civiles présentes sur place. À l’été 2014, la ville et sa région étaient devenues – tristement – célèbres pour les massacres d’ampleur commis par l’État islamique contre la communauté des Yézidis (minorité religieuse kurdophone), poussant des milliers d’entre eux à l’exode.
600 de l’EI contre 7 000 Kurdes
Anticipant l’opération – annoncée depuis plusieurs semaines –, l’EI a d’ailleurs fait venir des renforts à Sinjar, mais ne compterait, au mieux, que 600 combattants sur place. Un chiffre bien faible, face aux quelque 7 000 peshmergas déployés ce mardi, selon les dires du conseil de sécurité de la région kurde. Et dès la fin de la matinée, les nouvelles des premiers succès militaires commençaient déjà à tomber. Ainsi, à l’est de Sinjar, plusieurs villages ont été repris – selon le commandement kurde – aux mains des djihadistes, avec l’aide, en amont, des frappes aériennes de la coalition. De son côté, l’État islamique a affirmé, sur les réseaux sociaux, avoir tué des dizaines de peshmergas et détruit plusieurs véhicules de combat à l’aide d’engins explosifs improvisés.
Dans l’Ouest, les peshmergas ont annoncé avoir pris le contrôle de l’autoroute 47, qui relie la ville à la frontière syrienne, remplissant là l’un des principaux objectifs de l’opération. En visant Sinjar, les peshmergas voulaient porter un coup sérieux à la machine logistique de l’EI, la ville se situant sur un axe stratégique de ravitaillement reliant Raqqa et Mossoul, capitales de Daesh en Syrie et en Irak. « La prise de cet axe affecterait sérieusement l’État islamique en coupant les voies de communication et d’approvisionnement en armes et en combattants du groupe djihadiste de la Syrie vers l’Irak », analyse Karim Pakzad, spécialiste de l’Irak et chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
Le mont Sinjar aux mains du PKK
Cela aurait en Irak, selon le chercheur, de lourdes conséquences pour l’EI. « Sans ces armes et ses troupes venues de Syrie, l’organisation terroriste ne pourra pas venir soutenir ses combattants encerclés par l’armée irakienne, à Ramadi », ville située à une centaine de kilomètres de Bagdad, tombée aux mains des djihadistes en mai dernier. « Dans cette perspective, il faut donc s’attendre dans les semaines à venir à une opération importante de l’État irakien contre cette ville. » Jeudi après-midi, les peshmergas irakiens poursuivaient leur lente progression dans la région. À leurs côtés, plusieurs observateurs ont également évoqué la présence de membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et des combattants kurdes des YPG (branche syrienne du PKK). Une coordination interkurde que le commandement irakien démentait pourtant.
Rien de surprenant à cela, explique Karim Pakzad : « Il y a de fortes rivalités dans la région entre les kurdes du PKK et de Syrie et les membres du PDK (parti de Massoud Barzani, proche d’Ankara, NDLR). Ces derniers voient d’un très mauvais œil l’influence gagnée par le PKK et sa branche syrienne sur ses propres terres depuis août 2014 », explique Karim Pakzad. En effet, il y a un an et demi, les forces armées du gouvernement kurde d’Irak, dépassées par l’avancée de l’EI dans la région du Sinjar, ont été contraintes de se replier, livrant à elles-mêmes les populations locales (notamment les Yézidis). Des populations qui n’ont dû leur survie qu’à l’intervention de YPG et de membres du PKK venus aider à leur évacuation. « Aujourd’hui, le mont Sinjar est aux mains du PKK et ses combattants sont très populaires auprès des Yézidis », constate le chercheur de l’Iris. Ce qui ne plairait guère à un président Barzani vivement critiqué pour sa mainmise sur la région.
Des Yézidis qui, pour certains, ont également choisi de prendre part aux combats. Plusieurs centaines de miliciens yézidis sont ainsi partis à la reconquête du berceau de cette communauté au culte millénaire (influencé par le zoroastrisme). Une communauté dont les membres ont été, depuis bientôt deux ans, systématiquement massacrés ou réduits en esclavage par les djihadistes sunnites de l’État islamique.