Par la fenêtre ouverte, l’air qui pénètre dans la salle d’attente est chaud et léger. Le soleil est haut dans le ciel et aucun nuage ne bouche l’horizon. Ce temps-là fait du bien après les dernières intempéries, où vent, pluie, grêle et neige se sont succédé à un rythme infernal. Pourtant, indifférents à la douceur ambiante, infirmiers, infirmières et médecins courent d’un bloc à l’autre. On est à l’hôpital Mohamed-Boudiaf, et la salle, où nous nous tenons, est celle qui précède le bureau directorial. Le bloc administratif a ceci d’avantageux : il permet d’embrasser d’un coup d’œil l’ensemble des bâtiments abritant les différents services. Qu’y sommes-nous venus faire ? Voir comment s’organise cet établissement hospitalier, depuis l’installation de son nouveau directeur, il y a environ un mois et demi.
Cinq à six césariennes par jour
L’homme qui nous reçoit, ce matin, derrière son bureau, est affable et cultivé. Nous avons fait sa connaissance il y a quelques mois, lorsqu’il avait assuré l’intérim, son prédécesseur étant, alors, parti en congé. Nous avons pu juger et de sa compétence et de la qualité de ses relations avec tout le personnel soignant. Notre première question, celle qui, on le comprendra pourquoi, nous brûle les lèvres, a rapport aux césariennes. Il y a deux jours, on avait refusé de prendre à la maternité une femme venue accoucher. Elle était porteuse d’une lettre destinée à une clinique la recommandant pour une césarienne. Après insistance, la gynécologue s’est rendue compte, après examen, qu’elle pouvait être retenue au service. Le matin, entre deux et trois heures, elle mettait au monde un joli bébé. Une autre, avant elle, accouchait dans les mêmes conditions, alors que son médecin jugeait l’intervention chirurgicale obligatoire. Une autre parturiente promise, elle aussi, au bistouri par le médecin qui la soignait avait, elle aussi, accouché sans problème quelques heures plutôt dans cette maternité. Deux cas, donc, sauvés de la césarienne. Mais combien d’autres y avaient recouru sans nécessité? Pour notre directeur, la césarienne est pratiquée cinq à six fois par jour à l’hôpital sur un nombre de 20 à 25 parturientes qui se présentent quotidiennement à ce service. Elles viennent de partout, même de Médéa, de M’sila et de Djelfa, assure-t-il. La maternité est dotée de 6 gynécologues, de 10 sages-femmes travaillant en équipes, et de moyens appropriés. Le service de chirurgie est sollicité par les gynécologues en cas d’accouchement difficile. Interrogé, pour savoir si les médecins qui envoient leurs patientes vers les cliniques privées ne peuvent pas être suspectés de connivence à ce propos, le responsable de l’hôpital élude la question en faisant d’abord savoir que la césarienne ne met pas la vie de l’accouchée en danger. En revanche, un accouchement difficile peut être dangereux pour elle. Et de citer ces femmes européennes qui, pour des considérations «esthétiques», préfèrent la césarienne. Tout de même sans accuser personne, il renvoie le médecin à «son âme et conscience». Car, ces opérations qui font appel à un chirurgien, un anesthésiste et un assistant sans compter les radios, les examens, les médicaments, le séjour, coûtent chers. Mais il y a le fait que sans ces césariennes, les cliniques privées chômeraient. La question des césariennes a soulevé, au début, un tollé, à Bouira, a tel point que le sujet a été abordé, il y a des années, en session ordinaire de l’APW. Il semble qu’elle refait surface. En effet, si la vie de la femme qui accouche par cette pratique ne court aucun risque, il reste que toutes les femmes ne peuvent se payer un tel «luxe».
Or, l’argent n’est pas tout dans cette affaire. Une femme enceinte à qui l’on explique que son cas relève du bistouri déprime facilement. Elle s’inquiète pour elle-même, c’est naturel. Elle s’inquiète aussi pour son bébé. Et là, encore, rien que de très naturel. Aucune femme au monde n’aime perdre le fruit de ses entrailles. On imagine aisément, donc, par quel stress, par quelle angoisse, passent ces femmes orientées vers les cliniques privées, mais que l’état de leur finance rabattent en désespoir de cause vers les maternités des hôpitaux pour un accouchement normal. Quelque soit le temps que leur consacrent les sages-femmes ou les gynécologues qui les examinent, quelques soient les mots qu’elles trouvent pour rassurer ces femmes, celles-ci restent sur les premières impressions produites sur elles par le premier diagnostic établi par leurs médecins. Pour elles, elles restent des femmes présentant un cas de grossesse à haut risque. Est-ce bon pour le moral d’une femme qui accouche ?
Nous interrogeons aussi ce responsable sur les femmes qui se font renvoyées chez elles sous prétexte que le travail n’avait pas encore commencé. Ce dernier fait remarquer que la maternité dispose de 15 lits pour accueillir les femmes qui vont accoucher et 25 lits pour celles qui ont accouché déjà. Selon lui, les femmes qui arrivent trop tôt ne peuvent être gardées. Certes, mais nous avons encore deux cas de patientes qui ont failli être renvoyées, alors qu’il ne leur restait que quelques petites heures pour accoucher. Il a fallu que les parents de l’une de ces deux femmes insistent tout particulièrement pour que l’une d’elles soit gardée. Elle a accouché cinq ou six heures plus tard. L’autre renvoyée chez elle, six ou sept heures plus tard. Heureusement, cette dernière, habitant à Bouira, elle a été ramenée à la maternité vers quatre heures du matin.
Création d’un service gynécologique et obstétrique
Monsieur Djamel Boutemeur reconnait qu’il y a un déficit en personnel, notamment paramédical et souhaite porter le nombre des gynécologues à 8, afin de permettre à la maternité de fonctionner de manière efficace et à ne susciter aucune grogne. Pour le moment, ce service ne tourne qu’avec quatre, deux d’entre elles étant en congé de maternité. Pour suppléer ce manque, l’hôpital Mohamed Boudiaf travaille en collaboration avec l’hôpital de Lahdaria. Six jours par mois, pendant tout le temps que durera ce congé, les femmes qui se présenteront pour accoucher et nécessitant une prise en charge spécialisée se verront, selon le calendrier établi à cet effet, dirigées vers l’un ou l’autre établissement. Mais les évacuations de ce type de parturientes vers l’hôpital de Lahdaria, qui dispose de 4 gynécologues, cesseront dès que les deux spécialistes en congé reprendront leur service. Cependant, pour faire disparaitre la pression régnant au niveau de la maternité, il a été décidé, il y a plus d’une semaine au cours d’une réunion, de la mise en place d’un service de consultation gynécologique et obstétrique, au sein de la polyclinique de Oued Dhous, à la sortie sud-est de la ville. Ce service est équipé de moyens permettant à la gynécologue qui y officie, d’effectuer chaque jour des consultations et des suivis des femmes enceintes. Celles qui se présenteront à la maternité pour des consultations de ce genre se verront désormais orientées vers ce service. Elles seront suivies du début de leur grossesse jusqu’à ce qu’elles présentent les premiers signes de la délivrance proche. Celles qui ont des pathologies lourdes, et dont l’accouchement nécessite des soins particuliers, comme la césarienne, celles-là seront signalées et orientées vers la maternité. La maternité les orientera, à son tour, vers le bloc opératoire juste en face. Selon notre interlocuteur, on pratique entre cinq et six césariennes par jour ! C’est énorme ! Mais pour l’instant, cela évite les nombreuses évacuations auxquelles ces cas un peu spéciaux étaient, confrontées dans un passées récent, c’est-à-dire avant l’affectation de ces gynécologues. On sait à quel déficit en personnel spécialisé la wilaya faisait face, il y a quelques années, notamment dans les hôpitaux éloignés, comme ceux de M’chedellah, de Sour El Ghozlane et de Aïn Bessem. Les spécialistes des nouvelles promotions préfèrent les villes proches de la capitale pour pouvoir rentrer chez eux chaque soir et reprendre leur travail le lendemain. À cet égard, les villes comme Thénia et Lahdaria figuraient toujours en tête dans les fiches de vœux remplies par les nouveaux sortant de l’Université. Le manque de logements de fonction ou d’astreinte aggravait cette situation. Aujourd’hui, le problème de logement résolu et le ministère de tutelle sévissant, les hôpitaux, y compris celui de M’chedellah, ont leurs gynécologues. Mais l’organisation des services ne s’arrête pas là. Afin d’optimaliser ses performances, le service de maternité s’est assuré celui de la pédiatrie toute proche. Le directeur explique cette complémentarité comme suit. Un bébé qui nait avant terme, par exemple, est mis, si tôt sorti du ventre maternel, sur une table chauffante par la sage femme. Soigneusement couvert, il reste là trois ou quatre heures avant d’être transféré vers la pédiatrie, où il est, séance tenante, pris en charge par l’une des 5 pédiatres, et installé dans une des 6 couveuses qui existent à ce niveau. À l’heure des repas, ou si l’on veut du gavage, deux puéricultrices se tiennent au chevet, de jour comme de nuit. L’essentiel est de créer les conditions favorables à la poursuite du processus de croissance jusqu’au neuvième mois.
Mise en service prochaine du bloc opératoire central
Avec l’ouverture prochaine d’un service d’oncologie, et la réouverture prochaine du bloc opératoire central, la politique mise en place par la nouvelle direction qui consiste à optimiser les prestations de chaque service, trouve sa pleine justification. Un exemple simple : en ce moment, au niveau du bloc opératoire fonctionnel, 50 chirurgiens se relayent dans une salle opératoire. Avec l’ouverture fin mars prochain du bloc central qui fait l’objet depuis trois ans d’une grande opération de réhabilitation et d’aménagement, ainsi que d’un équipement neuf et moderne, va permettre le plein emploi de tout le personnel en exercice très limité au bloc opératoire actuel. Ainsi, avec les 6 salles opératoires répondant aux normes internationales, son service de radiologie, celui des stérilisations du matériel médical, les 50 chirurgiens de différentes spécialités, dont 5 chirurgiens pédiatres, 6 gynécologues pour l’extraction des fibromes, 7 médecins réanimateurs, c’est tout le monde qui trouvera à s’occuper pleinement à la grande satisfaction des malades, lesquels, pour le moment font contre mauvaise fortune bon cœur, confrontés qu’ils sont à la situation actuelle, caractérisée par un déficit en espace et en moyens. Alors, les cas nécessitant une césarienne ne poseront plus de problème, selon notre interlocuteur. Ni ceux demandant une intervention chirurgicale pour l’exérèse d’une tumeur du sein ou de l’utérus (pour ne pas sortir du sujet abordé qui est la femme qui accouche) ou pour stopper une hémorragie provoquer par un avortement accidentel. Concernant les fibromes, le responsable de l’hôpital mise sur une détection précoce qui empêche la généralisation des métastases dans le corps et sur les trois méthodes employées afin de parvenir à une guérison complète, alliant chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie. À propos de radiographie, s’il se félicite de l’acquisition d’un scanner et d’un mamographe neufs, il déplore, dans le même temps, l’absence d’un radiologue. Cette absence fait que le matériel de haut de gamme acquis chèrement reste dans les cartons. Les techniciens travaillent avec les moyens traditionnels mis à leur disposition. Au sujet des femmes qui accouchent prématurément ou qui avortent carrément, le responsable de l’établissement observe que les facteurs déclencheurs sont souvent dus à un état de nervosité violente, à un effort physique intense. En cas d’avortement, une opération de curetage, alliée à une action médicamenteuse pour arrêter l’hémorragie, est indispensable. Pour les évacuations, notamment des patientes qui présentes des complications, l’hôpital dispose de 6 ambulances, dont deux spécialement conçues et équipées pour les transports délicats. Au cœur de ce dispositif organisationnel imaginé par la nouvelle direction, la formation tient une large place. Ainsi la création d’un service d’oncologie a permis l’envoi en stage de 4 infirmiers et d’un médecin généraliste. Pour le personnel soignant, la nouvelle direction s’apprête à organiser un séminaire sur les pathologies lourdes. Il se tiendra à la fin du mois à l’Université de Bouira.Tous ces progrès pourront-ils un jour enrayer le recours qui semble se systématiser aux césariennes ? L’espoir est permis.
Ali D.