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L’HISTORIEN FABRICE RICEPUTI, EN CONFÉRENCE À ALGER AVEC SA COLLÈGUE MALIKA RAHAL, SUR LES DISPARUS FORCÉS DE 1957-1958 : « L’Etat français n’a pas le courage de reconnaissance »

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Sous le thème « Les disparus forcés dans la grande répression d’Alger 1957-1958 », les historiens Malika Rahal et Fabrice Riceputi ont animé hier au Forum d’El Moudjahid une conférence autour des enquêtes menées par ces derniers, en présence de familles de disparus.

Menant actuellement une enquête de terrain fouillée, en rapport avec les lieux d’enlèvement, de détention et de torture des Algériens durant cette période, les deux historiens ont apporté certaines précisions sur leurs démarches visant à «contribuer à rendre justice à ces personnes et à mieux faire connaître un pan d’histoire trop longtemps occulté».

« La bataille d’Alger, une grande répression politique »
Selon le chercheur français, il est nécessaire d’apporter quelque précision sur les termes employés par le pouvoir colonial, lorsqu’il désignait les massacres et enlèvements perpétrés contre les algériens à cette période. « L’expression bataille d’Alger, on la trouve pour la première fois dans un livre publié en avril 1957, un petit livre qui n’a aucun intérêt, à part son titre, qui s’appelle « la bataille d’Alger » écrit par un journaliste européen de la radio Algérie, c’est la première occurrence, le premier emploi du terme qu’on voit, en avril, après la répression de la grève de huit jours. Ensuite, elle va être reprise systématiquement par les militaires en particulier, par la propagande française, parce qu’il permet de faire passer pour un affrontement militaire, un événement d’histoire militaire, pour marquer le fait que ce qu’on a fait en réalité, c’est une grande répression politique mise en œuvre pour faire cesser les attentats, la mort d’innocents dans les attentats aveugles. C’est en ce sens que les historiens récusent maintenant et préfèrent le terme de grande répression d’Alger, parce que la bataille d’Alger, ça suppose une confrontation de type militaire, qui en réalité a très peu existé. Je comprends bien aussi que l’utilisation de ce terme rappelle qu’il y a eu une forte résistance de la part des Algérois durant cette période », a clarifié Riceputi dans ce sens.

« Le succès de la grève des 8 jours a été occulté par le pouvoir colonial »
Afin de démontrer la légitimité des contestations algériennes face à la répression, et les craintes du pouvoir colonial devant cette légitimité qui pouvait mettre à nue la répression policière,  l’historien français a cité la grève des huit jours comme exemple. « Pour essayer d’expliquer pourquoi les historiens aujourd’hui mettent les guillemets sur la bataille d’Alger. Notamment la grève des huit jours. Il se trouve que je viens de faire des recherches importantes, c’est que cette grève est un succès éclatant, dans toutes les villes d’Algérie, mais aussi dans l’immigration en France, et comme la répression n’a pu être assez sévère, les taux de grève qui sont donnés très précisément par la surveillance policière sont très élevés dans tous les secteurs qui embauchent des travailleurs algériens en France. Un succès éclatant qui est totalement occulté, parce que le pouvoir colonial a réussi à le rendre en grande partie invisible, à l’extérieur, je ne parle pas de la mémoire des Algériens, en faisant tout pour donner une image d’échec de la grève. Ensuite, la deuxième chose qui apparaît clairement, c’est ce qui est en réalité à l’origine de la décision de militariser la répression à Alger, de donner les pouvoirs de police au général Massu, et précisément la panique que créé l’idée que pourrait avoir lieu une grève algérienne générale de huit jours très suivie. C’est la perspective d’une catastrophe politique envers Lacoste, parce que ce serait la preuve donnée au monde entier, à l’ONU en particulier, de l’échec total de ce qu’ils appelaient la politique de pacification. Et cela précipite la décision de donner le pouvoir de police à Massu le 7 janvier », a-t-il poursuivi.

« L’histoire ne se fait pas sous la tutelle des Etats »
Dans son allocution, Fabrice Riceputi a souligné que l’existence d’une commission historienne était totalement inutile. « Le fait que la France reconnaisse enfin l’idée que dans tous les malheurs de la guerre d’indépendance d’Algérie, il y a une responsabilité première et essentielle, celle de la France et celle de la colonisation. Pour le dire, on n’a pas besoin de commission historienne, les travaux historiques là-dessus sont très nombreux. Cette commission n’a donc aucun sens. Pourquoi ne donner l’accès aux archives qu’à quelques historiens ? L’histoire ne se fait pas sous la tutelle des Etats », ajoutant au passage sur l’accès aux archives historiques, que « Il y a une fraction de l’Etat français qui résiste très fort à ce qu’on dévoile tout. Une très grande partie des archives coloniales librement accessibles aujourd’hui à tous, pas seulement aux historiens. Mais on doit déplorer le fait que les historiens algériens ont les plus grandes difficultés pour venir en France ». Enfin, concernant l’épineuse problématique d’une quelconque reconnaissance française, il a été clair à ce sujet. « Sur certaines chaînes de télévisions françaises et dans certains journaux, on voit bien qu’il y a de nouveau un terrain d’affrontement de la mémoire, et même sur les réseaux sociaux. C’est même plus grave aujourd’hui en raison de l’évolution politique que dans les années 1990. C’est cyclique et périodique, mais on n’arrive jamais à en sortir, parce qu’au sommet de l’Etat, nous ne sommes pas capables, on n’a pas le courage politique de faire la reconnaissance qui devrait être faite. Chirac en 1985 a eu le courage de reconnaître la responsabilité de la France. La France a été une puissance coloniale très importante sur tous les continents pendant quatre siècles. L’inventaire n’est toujours pas fait ».

Malika Rahal : « Poursuivre le travail d’investigation pour cibler individuellement toutes les disparitions »
Malika Rahal est agrégée d’histoire, spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Algérie et chargée de recherche au Cnrs en France. Elle dirige depuis janvier dernier l’Institut d’histoire du temps présent à l’Université Paris 8. Elle est l’auteure de « Ali Boumendjel, une affaire française, une histoire algérienne (2011) et de « L’Udma et les udmistes, contribution à l’histoire du nationalisme algérien (2017). Tout en appelant à « contourner les difficultés d’accès aux archives pour poursuivre le travail d’investigation historique », l’historienne insiste sur « la nécessité de poursuivre le travail d’investigation sur l’ensemble des disparus entre les mains des autorités durant la guerre », précisant que « Ce que les gens veulent savoir, c’est où sont les corps et éventuellement, après, la vérité sur ce qu’il leur est arrivé ». Apportant plus de précisions sur la méthodologie de travail afin de cibler géographiquement les éléments d’enquêtes des disparus, elle dira lors de son allocution : « Nous ne sommes pas assez nombreux à travailler sur ces enquêtes sur les disparus, et couvrir l’ensemble du territoire algérien et couvrir la totalité de la guerre de révolution, ce n’est pas possible physiquement, donc nous nous sommes concentrés sur l’ancien département d’Alger. Nous avons essayé avec l’aide d’un géographe de placer sur la carte les lieux de vie des personnes, leurs adresses, les lieux de travail, et les endroits où ont eu lieu les enlèvements, et tous les lieux de détention et de torture qui ont été mentionnés dans les trente premiers cas. Où que vous soyez à Alger, vous êtes à 500 mètres d’un lieu de torture. Notre objectif est de continuer ce travail avec tous les autres cas, et de pouvoir localiser chaque cas individuel, et le quartier le plus visible c’est la Casbah, suivi d’El Madania, El Hama, Champ de manœuvre et plus loin Hussein Dey. Tous les cas qui nous intéressent sur le projet, c’est toutes les communes du département d’Alger, de 1957 à 1958 ».

« Le cadre législatif après l’indépendance a facilité l’enregistrement des disparus »
Pour ce qui est de l’inscription des disparus au lendemain de l’indépendance, l’historienne algérienne a fait part de la loi en vigueur depuis 1962. « Concernant l’inscription des disparus, une loi est parue au journal officiel en octobre 1962, qui est assez unique. Qui prévoit que pourront être inscrits comme décédés, dans le registre des décès, tous ceux qui ont disparu dans des conditions susceptibles de mettre leurs vies en danger. Donc vous vous imaginez, on sort de la guerre, et n’importe qui, qui peut apporter des témoins, qui dit que mon père, mon frère a disparu, et que sa vie était en danger au moment de sa disparition, il y a une possibilité facilitée de les déclarer comme disparus. Encore plus intéressant, ce même texte prévoit que si jamais la personne réapparaissait, on pourrait enlever leur nom du registre des décès, dans un cadre législatif, pourquoi ? Parce qu’en fait, le pays est tellement chamboulé en 1962, qu’on imagine que tous les disparus ne reviendront pas avant plusieurs mois. Maintenant, les familles que nous avons rencontrées, nous ont dit qu’elles ont trouvé ces démarches relativement faciles »
À l’issue de ladite conférence, plusieurs membres de familles concernées par les disparus forcés ont témoigné, citons à cet égard la fille du martyr Rebaïne, laquelle s’est exprimée sur sa détresse, elle qui n’a pas connu son défunt père et ne connaît rien à son existence. « J’aimerais en savoir plus sur la vie de mon père, je me dois de la transmettre à mes enfants », a-t-elle annoncé avec énormément d’émotion.
Synthèse Hamid Si Ahmed  

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