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Corée du Nord : le tir de fusée de Kim Jong-un provoque un tollé

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Le dirigeant nord-coréen a adressé un pied de nez aux millions de Chinois. Mais jusqu’où l’agacement croissant de l’opinion publique chinoise va-t-il ?

En tirant une fusée longue portée dimanche matin, Kim Jong-un a adressé un pied de nez aux millions de Chinois qui s’apprêtaient à tirer des feux d’artifice, selon la tradition ancestrale. « Kim a tiré son pétard comme un enfant au nouvel an », s’agace un internaute sur Weibo, le Twitter chinois. La plupart évoquent une « gifle » du trublion nord-coréen adressé à la face de la « grande Chine » renaissante de Xi Jinping.

Un encombrant allié
L’agacement croissant de l’opinion publique chinoise à l’égard de son « petit frère communiste » est au diapason de celle de son président, qui ne partage guère le tropisme nord-coréen de ses prédécesseurs. Tout au long de sa carrière, Xi a développé des relations étroites avec la Corée du Sud « capitaliste » puis sa dirigeante actuelle Park Geun-hye. Jusqu’au bout, la diplomatie chinoise a tenté d’empêcher son allié de mener cette ultime provocation, un mois à peine après un test « thermonucléaire ». Pékin a dépêché la semaine dernière son envoyé Wu Dawei à Pyongyang pour tenter de ramener Kim à la raison. En vain. Une nouvelle fois, les stratèges chinois doivent avaler les provocations de la fière « République populaire démocratique de Corée » (RPDC), qui offrent un prétexte en or à Washington pour avancer ses pions en Asie du Nord-Est, au grand dam des intérêts stratégiques chinois. Séoul vient ainsi d’annoncer des négociations en vue de rejoindre le système antimissile américain Thaad, qui vise officiellement la Corée du Nord, mais en réalité surveille la Chine.
Face à ces contradictions croissantes, l’heure est-elle venue pour Pékin de lâcher son encombrant allié devenu un fardeau ? C’est l’espoir affiché de la diplomatie américaine, qui presse chaque jour la Chine de changer de pied en coupant les vivres à Kim.

Aggiornamento chinois
En réalité, l’heure d’un aggiornamento chinois n’a pas encore sonné. En dépit de son agacement, la diplomatie chinoise maintient son soutien à Pyongyang, dont elle a rappelé officiellement le « droit souverain » à l’exploration spatiale dimanche. Une fin de non-recevoir adressé aux États-Unis. Cette attitude s’explique par une analyse froide des réalités stratégiques régionales et du contexte intérieur chinois.
Sur le front extérieur, le régime des Kim devient bien une nuisance croissante pour la diplomatie chinoise. Mais son effondrement entraînerait des conséquences jugées bien plus risquées à Pékin. Une éventuelle « révolution » à Pyongyang enverrait d’abord un signal inquiétant pour l’avenir du « parti unique » chinois, tout comme le printemps arabe a déclenché la paranoïa chez les caciques du parti. Surtout, une crise politique déclencherait l’instabilité sur le flanc nord-est de l’Empire, une éventualité qui donne des sueurs froides à un régime déjà obsédé par la défense de ses régions « frontières » au Tibet, au Xinjiang ou en mer de Chine. Dans l’ancienne Mandchourie, une forte minorité de Chinois d’origine coréenne laisse planer le spectre d’un irrédentisme coréen. Surtout, le chaos dans le royaume ermite pourrait conduire à un flot de réfugiés vers les provinces frontalières sous-développées comme le Liaoning où le chômage guette sur fond de désindustrialisation déclenchée par le ralentissement de la seconde économie mondiale. Avec à la clé de possibles troubles sociaux, véritable hantise du Politburo.

Un contexte chinois peu favorable
Sur le plan intérieur, le contexte politique chinois actuel est également peu favorable à un changement de cap. En coulisses, Xi Jinping, déjà président de la commission militaire centrale, a enclenché un bras de fer avec les généraux l’Armée populaire de libération (APL) pour mettre au pas ces hauts gradés, véritable « État dans l’État ». Une lutte à mort, et loin d’être encore gagnée selon les experts, avec pour enjeu le pouvoir sans partage sur la Chine rouge.
Le nouveau timonier doit avancer à pas comptés pour prévenir les résistances, alors qu’il se murmure qu’il a échappé de peu à un coup d’État militaire au début de son règne. Au sein du régime, l’APL est le principal soutien de l’alliance avec Pyongyang, forgée dans le sang de la guerre de Corée.
Couper les vivres à Kim sonnerait donc comme un casus belli à l’égard des généraux. Un pas que le président ne semble pas encore en mesure de s’offrir, alors qu’il bataille pour placer ses hommes de confiance au sein de l’appareil.
L’axe Pékin-Pyongyang a donc encore donc de beaux jours devant lui, en dépit des admonestations de Washington qui plaide pour un divorce. Il faudra patienter jusqu’au second mandat de Xi, s’il règne sans partage, pour éventuellement déceler un changement de cap.

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