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Pakistan : l’exode des chiites après les attentats

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Ali avait deux fils, Hassan et Hussain. Après la mort de Hassan dans l’attentat le plus meurtrier de l’histoire du Pakistan contre la minorité chiite, le vieil homme s’est résigné. «Pars», a-t-il lancé à Hussain, qui a tout abandonné pour rejoindre des milliers d’autres clandestins sur les eaux mortelles de l’espoir. Dans le quartier chiite de Mari Abad à Quetta, la capitale de la province instable du Baloutchistan, chaque famille porte en elle la mort et l’exil. Depuis une décennie, les violences sectaires déchirent le Pakistan et en particulier le Baloutchistan, où près de 200.000 chiites ont plié bagages, selon les organisations locales. Ici, chaque attentat pousse des jeunes dans les bras de la clandestinité. Comme le 10 janvier 2013, lorsqu’un kamikaze s’est fait exploser dans un salon de billard. Une dizaine de minutes plus tard, les secouristes accouraient sur les lieux lorsqu’un camion bourré d’explosifs disposé non loin de là par des jihadistes s’est embrasé. Bilan: près de cent morts, dont Mohammad Hassan, le fils d’Ali. Son frère Iqbal Hussain, lui, a survécu aux 38 éclats d’obus qui lui ont transpercé le corps. «Six mois après l’attentat, sa mère insistait: +j’ai perdu un fils, je n’en perdrai pas un second. Et ils sont partis+», confie Ali, dans le cimetière où un corridor de «martyrs» fixent les passants de leurs regards figés dans une éternité de plastique. La famille a emprunté 20.000 dollars. Hussain et sa mère se sont envolés pour Karachi (sud), puis «légalement» pour l’Indonésie. Là, ils ont remis leur vie entre les mains de passeurs. Et se sont embarqués sur un rafiot pour l’Australie, la terre promise, juste avant que le gouvernement conservateur resserre ses lois sur les clandestins. «C’était vraiment trop dangereux! Nous étions 200 sur une petite embarcation. La mer était agitée, nous appelions à l’aide», raconte par téléphone Hussain qui a finalement accosté avec sa mère sur les côtes australiennes. «Il n’y a pas d’espoir au Pakistan pour les jeunes chiites, mais ici c’est une nouvelle vie en Australie», assure Hussain à propos de son pays d’adoption, qui met en garde désormais au Pakistan dans des publicités au titre choc: «Pas question! Vous n’allez pas faire de l’Australie votre maison».

«Ma peau s’arrachait en lambeaux»
Cette nouvelle vie, Ali Raza y aspirait aussi. En 2011, ce jeune chiite de l’ethnie hazara, dont les traits asiatiques en font des cibles de choix pour les extrémistes sunnites, avait perdu son meilleur ami Yusuf dans un attentat à Quetta. Après l’attaque, Ali Raza n’avait plus qu’une idée en tête: partir! Son père, Syed Qorban, un marchand de pneus, l’a installé en Malaisie. En vain. «Il m’a appelé pour me dire qu’il voulait passer en Australie. Je lui ai dit: +n’y va pas+ mon fils», pleure encore le vieux Syed, les yeux creusés d’une tristesse infinie. En mer, leur vieux bateau et ses 250 migrants illégaux ont fait naufrage. Des corps décomposés ont été retrouvés, d’autres ont été avalés par la mer comme celui d’Ali Raza dont la famille n’arrive toujours pas à tourner la page. «Encore aujourd’hui, je me repens. Comment ai-je pu laisser ça arriver», pleure Syed. Mushtaq (nom modifié) était sur la même embarcation pourrie qu’Ali Raza. Mais il a survécu après trois jours de dérive en mer, sans eau potable, brûlé par un soleil sans merci. «Lorsque nous avons été retrouvés, mes lèvres étaient craquées, ma peau s’arrachait en lambeaux», raconte-t-il.
Rapatrié en Indonésie, il a retenté sa chance par les filières clandestines. Pendant une partie du trajet en mer, «j’étais sans connaissance, j’avais des flashbacks de la première traversée, je ne pouvais pas dormir, j’avais peur de mourir à chaque instant», confie Mushtaq, qui a finalement atteint l’Australie, son eden, pour y travailler…. dans un élevage de poulets. «En restant au Pakistan, j’avais peur d’être tué, en prenant la mer j’avais peur de mourir. Dans les deux cas, la mort m’attendait, mais au moins dans l’exil il y avait l’espoir».

Les passeurs, ces héros?
A Quetta, les chiites hazaras vivent désormais reclus en ghetto, sans trop d’espoir sur leur avenir dans leur foyer historique Afghanistan-Iran-Pakistan, qui ne semble plus vouloir d’eux. «Ici, chaque famille compte un jeune homme parti à l’étranger en clandestin, en Australie ou en Europe», via l’Iran et la Turquie, souffle Fawzia, une jeune femme au visage délicat et lumineux. ,Les «trafiquants» d’être humains y ont la cote. «Pour le reste du monde, ces passeurs sont peut-être mauvais, mais nous, nous leur accordons énormément de respect», assure Abdul Khalique Hazara, chef du Parti démocratique Hazara, principale formation de cette minorité. «Donnez-moi la paix et je dirai qu’il faut les arrêter… d’ici là je ne révélerai pas leur nom», tranche-t-il.
Au Pakistan, les trois dernières années ont été les plus meurtrières pour les chiites qui forment environ 20% de la population de ce pays de 200 millions d’habitants. Et l’allégeance récente d’ex-talibans à l’organisation Etat Islamique (EI), clairement anti-chiite, doublée du rapt de 30 hazaras en Afghanistan voisin, font craindre une escalade des violences contre une minorité jugée «déviante» par des radicaux accusés de transposer au pays le conflit entre l’Arabie saoudite sunnite et l’Iran chiite. Quetta demeure aujourd’hui le QG présumé des talibans afghans du mollah Omar, et du coup, à part des graffitis épars, Daesh, l’acronyme arabe de l’EI, reste ici invisible. Mais «si des extrémistes locaux se brouillent avec les talibans, ils risquent de se tourner vers Daesh», souligne M. Hazara. Ce qui pourrait pousser plus de chiites dans les bras de la mort… et de l’exil. Errant devant les tombes de ses deux frères, abattus pour leur seule confession, et de son fils Hassan, le vieil Ali, peau tannée et coeur noué, songe à cette décennie de misère qui lui a ravi ceux qu’il aime. S’exiler maintenant? «Si je pars à mon tour», dit-il, «qui pleurera sur leurs tombes?»

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