L’Égypte refuse de parler d’attentat concernant le crash de l’avion russe pour ne pas avouer que le Sinaï, très touristique, est devenu une zone de non-droit. L’absence aux côtés du responsable du transport aérien égyptien des membres étrangers de la commission d’enquête lors de la conférence de presse de samedi sur le crash du vol 9268 était en soi un désaveu. Personne ne veut plus cautionner le refus des officiels égyptiens d’admettre que c’est bien une bombe qui a fait exploser en plein vol l’Airbus de la compagnie de charters Metrojet au-dessus du Sinaï.
Admettre l’existence de cet acte terroriste qui a réclamé des complicités dans le cœur de la partie la plus touristique du pays, la ville de Charm el-Cheikh, jusqu’à présent épargnée par les groupes islamistes, est difficilement acceptable pour le gouvernement Sissi. En effet, c’est reconnaître que le Sinaï tout entier est maintenant devenu une zone de non-droit. Ces 60 000 kilomètres carrés d’ergs et de montagnes rocheuses et désertiques, entre Méditerranée et golfe d’Aqaba, sont devenus en deux ans le terrain de chasse, quasiment invulnérable, du groupe islamique Ansar Beit-Al Maqdess (littéralement « les partisans de Jérusalem »). Une organisation qui a prêté allégeance en novembre 2014 à l’État islamique d’al-Baghdadi.
Opérations de plus en plus meurtrières
Comme ses actions, contrairement à celles de Daesh en Irak ou en Syrie, n’ont pas été des affrontements frontaux avec l’armée égyptienne pour la conquête d’un village ou d’une parcelle de territoire, on y avait jusqu’à présent prêté une attention distraite. Pourtant, un irrédentisme local contre ceux qui avaient renversé le gouvernement islamiste de Mohamed Morsi s’est peu à peu transformé depuis qu’il s’est affilié à cette organisation étrangère qu’est Daesh en un mouvement de mieux en mieux armé, et dont les opérations sont de plus en plus cruelles et meurtrières à la manière de l’EI : un hélicoptère militaire abattu au-dessus du Sinaï par un missile sol-air en janvier 2014 ; 30 soldats égyptiens tués à un contrôle par un kamikaze six mois plus tard ; assassinat de Hisham Barakat, un haut magistrat égyptien pourtant ultra-protégé ; décapitation d’un otage croate enlevé sur une route désertique près du Caire ; destruction cet été d’une frégate de la marine égyptienne par un missile d’origine russe 9K129 Kornet, probablement cédé aux islamistes par des extrémistes palestiniens. Sans compter de multiples attaques d’églises coptes ou catholiques, dont l’école de Beni Suef, gérée par des religieuses franciscaines, à tout juste 120 kilomètres du Caire.
Depuis plus d’un an, le Sinaï, qui était autrefois un terrain d’excursion très couru par les touristes étrangers à la recherche de la beauté infinie de ces étendues de sable et de pierres désertiques, est une zone quasiment interdite aux tour-opérateurs. Même le célèbre monastère Sainte-Catherine, fondé au VIe siècle et pourtant situé dans la partie plus méridionale de la péninsule, est interdit aux touristes.
Aveu
Dans un pays qui a perdu plus de 3 millions de visiteurs en deux ans et où Charm el-Cheikh semblait rester un paradis des bains de mer et de la plongée dans une eau turquoise, une oasis de sécurité dans un pays qui reste instable, la confirmation que le crash du vol 9268 a son origine dans un acte terroriste au décollage de l’aéroport de cette ville est un coup très dur pour l’Égypte. Car c’est en même temps l’aveu que, du nord au sud, toute cette partie de l’Égypte qu’est le Sinaï, même si physiquement son territoire n’a pas été conquis par les islamistes comme ont pu l’être Raqqa, Palmyre ou Mossoul, est devenue un territoire en état d’insécurité permanent. Toutefois, comme la vérité sur le crash de l’Airbus sera connue un jour ou l’autre, les autorités égyptiennes seraient bien avisées de ne pas jouer la politique de l’autruche. Et d’admettre la réalité : une partie de leur pays est un nouveau champ de bataille dans la guerre contre l’État islamique.