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La Tunisie au péril de l’état islamique

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Les affrontements spectaculaires, lundi 7 mars, entre des commandos de l’organisation état islamique (EI) et les forces de l’ordre de Ben Gardane, principale ville tunisienne sur la frontière avec la Libye, confirment la gravité du défi djihadiste auquel la Tunisie doit faire face.

Grande première, l’offensive de l’EI – dont le bilan s’élève à 54 morts (36 parmi les assaillants, 11 parmi les forces de sécurité, 7 parmi les civils) – a consisté à occuper physiquement le cœur d’une grande ville (Ben Gardane est peuplé de 60 000 habitants) dans un geste à très haute portée symbolique.
Certes, les assaillants de l’EI ont fini par être éliminés par les forces de sécurité tunisiennes, mais la manière dont ils ont pu se rendre maîtres de très longues minutes du cœur de Ben Gardane, au point d’établir des points de contrôle et de tenter de rallier la population à leur cause, laissera des traces dans les esprits. Ce modus operandi est radicalement nouveau par rapport aux deux autres types d’action jusque-là éprouvés : la microguérilla rurale à partir de repaires montagneux (les monts Chaambi, Semmama, Selloum ou Mghila) dans le centre-ouest de la Tunisie ; et la tuerie de masse perpétrée par un kamikaze (ou deux) dans des agglomérations urbaines.
C’est en recourant à cette deuxième méthode, plus médiatique que des escarmouches dans des montagnes recluses, que l’EI s’était imposée au fil de l’année 2015. Il l’avait inaugurée contre le musée du Bardo à Tunis (22 morts, dont 21 touristes étrangers). Avait ensuite suivi l’assaut contre un hôtel de la station balnéaire de Port El-Kantaoui, près de Sousse, le 26 juin (38 touristes étrangers tués, donc 30 Britanniques). Enfin, un kamikaze s’était fait exploser le 25 novembre sur le seuil d’un bus de la garde présidentielle au cœur de Tunis (13 tués).
Depuis la fin 2014 et le début 2015, l’état islamique n’a cessé d’élargir son influence au sein d’une galaxie djihadiste en Tunisie jusque-là dominée par la brigade Okba Ibn-Nafaa affiliée à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), très active dans les massifs montagneux du Centre-Ouest, près de la frontière algérienne. La Tunisie a été le théâtre d’une rivalité entre l’EI et Al-Qaida, mais celle-ci n’a pas donné lieu à des affrontements fratricides comparables à ceux qui ont pu les opposer en Libye ou en Syrie.

5 500 Tunisiens partis se battre sur des fronts du djihad
L’ascendant pris par l’EI résulte de sa plus grande capacité à attirer désormais une frange radicalisée de la jeunesse tunisienne qui, réactualisant une vieille tradition tunisienne de moudjahidine (combattants) s’enrôlant sur des fronts étrangers (causes du nationalisme arabe dans les années 1950, 1960 et 1970), est particulièrement exposée à la tentation du djihad international. Selon des chiffres contenus dans une étude des Nations unies publiée l’été 2015, quelque 5 500 Tunisiens seraient partis se battre sur divers fronts étrangers du djihad (tous groupes confondus). La Syrie en absorbe l’essentiel (4 000), devant la Libye (entre 1 000 et 1 500). Là est le cruel paradoxe tunisien : alors que la Tunisie est le théâtre, depuis son « printemps » de 2011, d’une transition démocratique unique dans le monde arabo-musulman, elle est simultanément le plus gros exportateur mondial de djihadistes (au regard de sa population de 11 millions d’habitants).
L’autre raison de l’hégémonie acquise par l’EI dans la mouvance djihadiste est que le réseau de l’AQMI a davantage été touché par la répression des forces de sécurité. Au lendemain de l’attentat du musée du Bardo, les autorités ont mené une offensive résolue contre les maquis d’Okba Ibn-Nafaa dans le Centre-Ouest, tuant, le 28 mars 2015, son chef, l’Algérien Khaled Chaïb, alias Lokman Abou Sakhr. Sa mort a de toute évidence affaibli la brigade liée à AQMI.
Enfin, l’enracinement de l’EI en Tunisie se nourrit directement de sa dynamique d’implantation dans la Libye voisine, où le chaos politico-militaire a permis l’éclosion de bases djihadistes. Les djihadistes tunisiens sont en nombre à Syrte, la place forte de l’EI sur le littoral central de la Libye, mais ils étaient aussi très actifs autour de Sabratha (située à 100 km de la frontière tunisienne), où l’EI disposait d’une présence plus discrète. Le raid américain du 19 février contre une ferme près de Sabratha, où une cinquantaine d’extrémistes (dont la majorité était de nationalité tunisienne) ont péri, a redistribué la donne stratégique dans cette région.
Confrontés désormais à l’hostilité de milices libyennes liées à Fajr Libya (« aube de la Libye »), la coalition politico-militaire qui domine la région de la Tripolitaine à partir de Tripoli, les groupes de l’EI ont dû se disperser, ce qui a eu pour effet de les rabattre sur la frontière tunisienne toute proche. Selon des analystes à Tunis, le projet d’établir une willaya (province) de l’EI à Ben Gardane a pu ainsi voir sa tentative d’exécution accélérée. Les assaillants du 7 mars ont pu agir – dans un premier temps – avec d’autant plus d’aisance que nombre d’entre eux étaient originaires de la ville. Ils opéraient d’une certaine manière leur retour au pays après le détour libyen. C’est cet effet boomerang qui n’en finit pas de menacer désormais la Tunisie, dont la transition démocratique post-2011 est un contre-modèle à abattre pour les djihadistes.

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