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Ils observent un sit-in géant devant la wilaya de aïn defla depuis 37 jours : une journée avec les gardes communaux

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La ville des Lauriers nous accueillait, ce lundi, pour un reportage sur les conditions dans lesquelles vivent les quelque 4 500 gardes communaux qui, depuis 37 jours, observent un sit-in géant devant le siège de la wilaya. Il était 14 heures, lorsqu’au terme d’un voyage de quatre heures nous pénétrons dans ce qui nous a semblé être un camp pour prisonniers de guerre. Cette première impression ne nous quittera plus jusqu’à notre retour qui s’est fait de nuit. Les hommes que nous avons visités dans leurs tentes de fortune et avec lesquels nous avons passé plus de neuf heures étaient, de fait, des prisonniers de leur idéal incompris et trompé et parfois trahi. Cet idéal de liberté et de démocratie, ils en avaient fourni la preuve lors de la Décennie noire avec un rare sens de patriotisme et de courage. La première chose que nous remarquons dès l’approche du camp improvisé est que celui-ci est entouré par un puissant dispositif de sécurité, faisant naître en nous l’idée d’un camp de prisionniers de guerre : ces braves qui ont sauvé l’Algérie sont considérés comme une menace pour sa stabilité et sa prospérité, et étaient l’objet d’une surveillance sans relâche. Dès l’entrée quelques gardes communaux qui étaient devant les tentes nous ayant aperçus étaient venus à notre rencontre. Notre identité déclinée, ils nous ont manifesté leur sympathie en regard du soutien indéfectible apporté à la défense de leur cause par une partie des médias qui en a décelé dès le début la justesse des revendications. Cela fait, l’un de nos interlocuteurs, en référant au coordinateur national de ce mouvement revendicatif en l’occurrence, Hakim Chaïb, est allé nous annoncer auprès de lui. Peu après celui-ci est revenu nous informer que le chef ou «raïs», comme ils l’appelaient respectueusement, allait nous recevoir. Mais au moment de pénétrer dans sa tente après avoir slalomé entre des dizaines d’autres guitounes, car cette installation de fortune était au centre du camp, deux officiers de police surgirent, l’on ne sait comment, nous interpellèrent. Ils voulaient savoir qui nous étions et ce que nous voulions. Puis ayant pris connaissance ne nos identités et de notre profession, ils nous ont livré passage mais étaient restés à quelques pas à faire le guet.

Sous la tente du chef
L’homme ne nous est pas inconnu. Nous avons eu l’occasion de le voir dans plusieurs manifestations à travers le territoire national et même à la télé. Il est populaire. Cependant, nous sommes surpris de le voir à terre allongé sur un carton, cette position humiliante d’un homme que nous avons toujours vu debout et parlant haut et fort. Il tenait d’une main une cigarette et de l’autre un gobelet de café, c’était une manière de tenir bon au moyen de la nicotine et de la caféine. Il nous a semblé très fatigué, à sa gauche était assis un autre homme, c’est le coordinateur de la wilaya de Tébessa. Allongé, lui aussi, sur un carton et le buste enveloppé de l’emblème national, il montrait les orteils du pied droit sectionnés par une bombe lors d’un ratissage dans les monts de Tébessa. S’étant redressé pour adopter une position plus digne et plus respectueuse par égard à ses invités, après nous avoir souhaité la bienvenue, il nous a interrogé pour savoir si le jour que nous avions choisi et qui coïncidé avec les 37 jours qu’a duré le sit-in de Boufarik de l’année dernière. Car, a-t-il ajouté, si c’était le cas, nous nous trompions dans notre calcul si nous espérions que le sit-in d’Aïn-Defla prendrai fin au 37e jour comme celui de Boufarik. Au contraire, selon le «raïs» l’action revendicative va se durcir encore, car il est prévu en regard de l’absence de réaction des autorités concernées d’amener les femmes et les enfants sous les tentes, et de passer ainsi tout le mois de Ramadhan. À la fois amer et reconnaissant, dans le même temps qu’il dénonçait la lenteur désespérante de l’administration dans l’exécution des instructions émanant du Premier ministre il rendait un vibrant hommage à la solidarité et à l’hospitalité de la population d’Aïn-Defla qui leurs a permis de ne manquer de rien tout au long de leur séjour forcé dans cette wilaya. Évoquant les pourparlers engagés avec le ministère de l’Intérieur par les quatre coordinateurs de wilaya réfractaires, il s’est catégoriquement démarqué de ses tractations qu’il considère comme nulles et non avenues car se faisant dans le dos du mouvement revendicatif.

Les larmes de Nasr-Allah
De son côté, le coordinateur de la wilaya de Tébessa, en l’occurrence Nasr-Allah Saïd, a considéré pour sa part que la wilaya de Tébessa a consenti un lourd sacrifice en pertes humaines de la double décennie noire. Rien que dans les rangs de la garde communale le compagnon du ‘’Rais’’ a fait part de 146 martyrs. Dans la foulée, il a raconté comment il a désamorcé une bombe découverte dans les monts de Chréa à Tébessa, lors d’une patrouille effectuée par la garde communale. L’ayant signalé aux chefs, et s’impatientant devant la lenteur de réaction des artificiers qui tardaient à arriver, Nasr-Allah qui pensait avoir des connaissances en matière d’artifice, a cependant réussi à neutraliser l’engin explosif en se servant d’un coupe ongles. On pourrait croire que cet exploit allait lui valoir de l’avancement et des compliments à lui et à ses deux compagnons. Erreur, ils ont été tous les trois sévèrement réprimandés pour le risque encouru. Le deuxième récit lui fait verser des larmes. L’homme qui a affronté les pires épreuves de sa vie consacré à la lutte antiterroriste se trouvait soudain désarmé devant un simple fait divers : le mariage de sa fille qui s’est déroulé sans sa présence, l’événement familial à en effet eu lieu la semaine dernière alors qu’il se trouvait en sit-in à Aïn-Defla. L’évocation même de cet heureux événement lui arrachait encore des larmes en notre présence, et nous fait considérer que ces hommes qui furent des héros restaient par quelques cotés des enfants. En conclusion il dira qu’il est intimement convaincu que cette action aboutira à la concrétisation des derniers points de la plate-forme de revendication, dont la reconnaissance du statut de Moudjahid pour les gardes communaux vivants et celui de martyrs pour les héros tombés au champ d’honneur.

Mokrane raconte ses déboires
À la droite de Hakim Chaib, se tenait un troisième homme. La quarantaine sonnée, et amputé de la jambe droite à hauteur du genou, Mokrane Norredine, est un ancien militaire que son patriotisme à pousser à s’enrôler dans les rangs de la garde communale, a faire face à la bête immonde et à sauver le pays du chaos programmé. Hélas, cet héroïsme si bien placé pourtant va lui coûter très cher. Alors qu’il effectuait un ratissage dans les monts de Zbarbar, dans la wilaya de Médéa, une bombe explosait sur son passage et lui sectionnant la jambe droite à hauteur du genou. N’ayant pas atteint l’âge de la retraite, il est déclaré invalide et touche à ce titre une pension dérisoire de 29 000 DA. Père de quatre enfants, Mokrane ne sait comment faire pour subvenir aux besoins de sa famille. Cette situation lui semblait intenable et exigeait une révision en rapport avec ses 15 années de service, et l’invalidité qu’il présente. Certes, il se félicitait d’avoir bénéficié d’un logement social. Mais qu’il est le seul citoyen qui ne bénéficie pas de cet avantage social ? Pour arrondir ses fins de mois, notre héros est obligé de se charger des travaux saisonniers pénibles qu’on lui donne. Signalons que Mokrane porte une prothèse qu’il a retirée pour se reposer et qu’il a gardé la position allongée pendant notre bref entretien. Toutes autres positions lui est absolument gênantes.

Comment Aïn-Defla est choisie comme lieu du sit-in
Le coordinateur de la wilaya d’Aïn-Defla, Djalel Mergueb, a la quarantaine, lui aussi. Il entrait sous la tente, comme son camarade Mokrane, terminait son récit. Il était dehors. Il cherchait auprès d’âmes charitables de quoi nourrir les quelques camarades qui n’avaient pas reçu leurs repas du soir. En apprenant que des journalistes étaient sous la tente du chef pour rendre compte de la situation, il s’est présenté à nous pour déballer son sac. Ses traits burinés et halés par le soleil accusaient une grosse fatigue. Sur ses fortes épaules pesait une lourde responsabilité. Il était l’initiateur du sit-in et de son emplacement à Aïn-Defla. Pourquoi un tel choix de lieu ? Parce que, selon notre interlocuteur, la wilaya d’Aïn-Defla est, de toutes les wilayas du Centre, celle qui jouit d’une situation géographique que l’on peut considérer comme stratégique. Elle est à la fois proche des wilayas de l’Est et de
l’Ouest, comme du Sud, et est très proche aussi de la Capitale. Djalel se plaignait de ce fait des pressions exercées sur lui, et sur ses camarades par les autorités locales pour le rôle qu’ils jouent dans l’organisation de cette action revendicative. L’une de ses autorités serait allée jusqu’à le menacer de le radier de la liste des bénéficiaires de logements. D’autres mesures contraignantes, comme la fermeture des toilettes publiques et les cafés, pour obliger les manifestants à plier bagages et à rentrer chez eux, ont été prises samedi. En réaction, les manifestants avaient acheté des pots de fleurs et les avaient déposés devant le siège de la wilaya.

Un enfant de neuf ans en sit-in
Il a neuf ans et est natif d’Aïn-Defla, il arrive sous la tente du chef qui connaît très bien depuis que celui-ci mène le combat auquel son père ne pourra prendre part étant invalide. En effet, le père d’Abdallah a eu les deux membres inférieurs amputés par l’explosion d’une bombe. Le fils, alors, occupe la place du père dans le sit-in, et revendique ce que ce dernier ne peut faire au motif que l’on sait. Il juge la pension accordée à son père de «mésirable», au titre de l’invalidité, et exige une augmentation qui puisse permettre une vie décente à la famille qui se compose de plusieurs membres. Il fait part de sa volonté d’aller jusqu’au bout du sit-in, aussi longtemps qu’il durera. Il est désolant de voir des enfants, dont la place est à l’école, se mêler de politique et de social, hypothéquant ce qui leur reste d’avenir. Il est plus désolant encore que cette situation hautement navrante se produise le jour même de la Journée mondiale de l’enfance. Signalons par ailleurs que le montant de la pension fixée à 24 000 exclu du bénéfice du logement social. Autre instruction en faveur des 4 678 veuves de gardes communaux assassinés, seuls 362 ont bénéficié d’un logement, assurait, Hakim Chaïb qui a repris la parole.

153 manifestants en grève de la faim d’un jour
En réponse à la décision des autorités de fermer les toilettes publiques et les cafés maures, afin de briser l’action des manifestants, 153 ont observé dimanche une journée de grève de la faim. Les autorités ont ordonné que l’interdiction qui frappait les établissements publics soient levée. C’est ainsi que quittant la tente du chef, vers 19 heures, nous avons pu aller dans un des cafés qui ouvre sur la place publique, et accompagné du chef et de quelques autres manifestants, nous avons pu poursuivre notre entretien. Mais l’essentiel a été dit à l’intérieur de la tente, et tout les propos que nous avons tenus après ont une valeur anecdotique. Ainsi, le jour où le Premier ministre, Sellal, a effectué une visite à Médéa, on nous avait ordonné de ne pas nous montrer pendant que nous assurions la sécurité sur son passage, comme si l’on avait honte de nous, mais, passant outre à cet ordre, nous nous sommes quand même montrés et même salués le Premier ministre. La conversation sur un ton mondain s’est poursuivie jusqu’à minuit. Après quoi, nous nous sommes quittés sur une poignée de main fort amicale, le chef et ses camarades retournant sous leurs tentes pour continuer leur combat, et nous mettant le cap chez nous.
De nos envoyés spéciaux à Aïn Defla Omar Soualah et Ali D.

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