Accueil MONDE Ce que Poutine trame en Syrie

Ce que Poutine trame en Syrie

1

La Russie a sensiblement augmenté sa présence militaire sur le littoral syrien pour sauver Bachar el-Assad, et protéger ses propres intérêts. Un engagement militaire russe se précise en Syrie, contredisant les démentis répétés du Kremlin. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), ONG disposant du plus vaste réseau de sources sur le terrain syrien, plusieurs centaines de conseillers militaires et de techniciens russes sont présents depuis le début du mois de septembre dans la province de Lattaquié (ouest du pays), fief du régime de Bachar el-Assad. Leur mission : la construction d’une longue piste près de l’aéroport militaire de Hmaymime afin d’y accueillir de gros porteurs, mais aussi l’élargissement de l’aéroport de Hamidiyé, situé dans la région de Tartous, autre bastion du régime syrien. De troublantes informations qui viennent corroborer les dires de plusieurs responsables américains, qui alertaient dès la semaine dernière sur la possible construction d’une « base aérienne avancée » de la Russie à Lattaquié. Ces officiels indiquaient en effet à l’Agence France-Presse (AFP) avoir repéré aux abords de l’aéroport international Bassel el-Assad de Lattaquié une dizaine de véhicules blindés de transport de troupes, plusieurs dizaines de soldats russes, ainsi que des bâtiments préfabriqués. Ce lundi, Washington persiste et signe en affirmant avoir découvert sept chars russes T-90 censés protéger la « base aérienne avancée » située à Lattaquié. Selon un responsable américain cité par l’AFP, les troupes russes se comptent désormais « en centaines », et la capacité d’accueil des préfabriqués est estimée à « 1 500 personnes ».

Tergiversations rhétoriques
Si le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a catégoriquement rejeté toute livraison militaire « supplémentaire » à son allié syrien, il a finalement admis que certains avions russes atterrissant en Syrie transportaient, en plus de l’aide humanitaire, « des équipements militaires », mais « conformément aux contrats existant » avec Damas. Quant aux soldats russes, dont la présence en Syrie a été trahie par des selfies postés sur les réseaux sociaux, le ministre russe des Affaires étrangères a précisé qu’il s’agissait, malgré leur jeune âge apparent, « d’experts militaires qui aident l’armée syrienne » au maniement des armes russes.
Officiellement, la Russie n’est présente en Syrie qu’à travers ses installations logistiques militaires dans le port de Tartous (Ouest), où elle possède un point de ravitaillement technique permettant à ses navires de s’amarrer, et qui ne compterait plus aujourd’hui qu’une demi-douzaine de marins. « La Russie est militairement présente en Syrie depuis plus de quarante ans », rappelle Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe. « Elle y possède depuis 1971 plusieurs dizaines, si ce n’est des centaines, de conseillers militaires pour réaliser des missions de formation et de renseignement. » Moscou disposerait notamment d’une station d’écoutes performante à Lattaquié, et opère, par le biais de ses instructeurs, le puissant système de défense antimissile qu’elle a vendu à Damas.

Accès stratégique à la Méditerranée
« Ce qui prime pour la Russie en Syrie n’est pas l’intérêt économique, mais l’accès à la mer Méditerranée. Et le soutien à Bachar el-Assad s’inscrit dans cette stratégie », souligne le géographe Fabrice Balanche, directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient. Or, cette présence russe est aujourd’hui menacée par les avancées de la rébellion syrienne en direction du littoral. Depuis le mois de mars, l’armée de Bachar el-Assad multiplie les revers face à l’Armée de la conquête, une coalition de brigades rebelles d’inspiration islamiste radicale. Née de la décision de l’Arabie saoudite, du Qatar et de la Turquie d’unifier leurs efforts contre le président syrien, cette alliance dominée par le Front al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaïda, contrôle désormais la totalité de la province d’Idleb (Ouest). Et demeure aujourd’hui en position idéale pour lancer l’assaut contre la province de Lattaquié, berceau des el-Assad.
« La moitié de la population de Lattaquié étant sunnite, il s’agit pour la rébellion (sunnite) de l’axe le plus facile pour accéder à la mer Méditerranée », rappelle le géographe Fabrice Balanche. « Or, le corridor de Lattaquié est hautement stratégique pour la Russie, qui se doit d’envoyer des hommes pour protéger cette zone, lieu de sa présence actuelle ainsi que de son expansion future. » Fin juillet, Bachar el-Assad lançait un véritable appel au secours, implicitement destiné à ses parrains iranien et russe, en concédant manquer cruellement de ressources dans son armée face à la rébellion.

Moscou contre la rébellion
Un appel qui semble avoir été entendu. « On assiste depuis plusieurs mois à des vols continus de cargos russes à destination de Damas et de Lattaquié, avec à bord des roquettes et des conseillers russes pour l’armée syrienne », indique Rami Abdul Rahmane, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Au-delà de l’intérêt stratégique que revêt le littoral pour la Russie, « Poutine ne souhaite fondamentalement pas que le régime de Bachar el-Assad s’effondre », analyse Arnaud Dubien, de l’Observatoire franco-russe. « Ce serait désastreux pour son image, pour la crédibilité de la Russie en tant que pays protecteur dans la région, sans oublier le risque de voir la contagion islamiste gagner le Caucase », rappelle ce spécialiste de la Russie.
Outre ses avions cargos, Moscou a récemment envoyé vers la Syrie au moins trois navires en provenance du port russe de Novorossiisk, sur la mer Noire. Photographiés lors de leur traversée du détroit du Bosphore, ils transportaient des véhicules militaires camouflés. Assiste-t-on dès lors aux prémices d’une opération russe d’ampleur ? Pas encore, si l’on en croit Vladimir Poutine, qui a exclu toute intervention militaire directe en Syrie, ce que confirme le directeur de l’OSDH Rami Abdul Rahmane : « Les Russes ne combattent pas pour l’instant en Syrie. » D’autant que les quelques centaines de « conseillers » russes présents actuellement dans le pays ne semblent pas en mesure de changer l’équilibre des forces sur le terrain.
En revanche, le Kremlin a précisé que la Russie allait continuer de « fournir l’aide nécessaire » au régime syrien dans sa lutte contre le terrorisme. Et par « terrorisme », Moscou entend aussi bien l’organisation État islamique (EI) que la rébellion islamiste qui menace directement le régime syrien dans son fief de Lattaquié. « La mission des soldats russes ne devrait pas être offensive mais défensive, à savoir empêcher les rebelles du Front al-Nosra d’atteindre Lattaquié », estime le spécialiste Fabrice Balanche. « Daesh (acronyme arabe de l’EI, NDLR), situé beaucoup plus à l’est, est bien plus loin. » Or, à la différence des djihadistes de l’EI, combattus par une vaste coalition internationale dont ne fait pas partie la Russie, l’Armée de la conquête, soutenue par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, bénéficie jusqu’à présent d’une relative liberté d’action de la part des États-Unis.

Article précédentBéjaïa : de nouveaux horizons pour la municipalité de Ouzelaguen
Article suivantGrèce : les jeunes électeurs du Syriza se sentent trahis par «Alexis»

1 COMMENTAIRE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.