Lorsque l’environnement, la jeune discipline qui a un rapport direct et vital avec notre quotidien, s’invite au théâtre, cela donne chez nous, c’est-à-dire à l’échelle nationale, et en bon américain, une pièce comme Name By. En mauvais français : dans mon arrière jardin. C’est-à-dire loin de moi. Ou si l’on veut, mais en paraphrasant un peu, cela fait : pourvu que ce qui pourrait arriver aux autres n’arrive pas à moi.
La genèse de la pièce
L’idée s’inspire de la situation politique aux États Unis dans les années 60, selon Fayçal Boussaïd, un des assistants de la mise en scène. Le gouvernement américain avait alors pour méthode de travail de mettre de côté, dans son action, tout ce qui était jugé préjudiciable à l’intérêt général et de ne concentrer ses efforts que sur ce qui peut servir le pays. On appelle cela, en d’autres termes, le pragmatisme américain. Aujourd’hui, la préoccupation a une dimension qui déborde largement les frontières d’un pays. Elle est de l’ordre de la planète. Et on ne peut pas dire que ce qui arrive à l’échelle planétaire ne peut concerner un pays ! Le slogan américain qui reflète l’expression d’un sentiment nationaliste est égoïste ne saurait donc être de mise ici. Cependant, certains, par leur attitude, attitude proprement capitaliste, qui ne tient compte que de ce qui réussi, c’est-à-dire qui permet de faire des gains, ramènent tout à eux et ne se préoccupent du reste du monde que dans la mesure où il sert strictement leurs intérêts personnels. La Terre est malade ? Que leur importe sa santé pourvu que la leur prospère ?Hélas ce raisonnement est erroné et la santé de chacun est intimement lié à la santé de tous, de toute la planète même. C’est le but que se donne cette pièce, ou plutôt, c’est la catharsis qu’elle propose pour sortir de cette erreur, de cet aveuglement qui font voir l’ intérêt particulier, là où est la ruine, et partant la ruine générale. Ainsi ceux qui s’opposent, par exemple, à la construction des centres d’enfouissement technique, en leur supposant une nuisance qu’ils n’ont pas, car il est prouvé que leur voisinage ne comporte aucun risque, c’est à leur intention ,et à celle de ceux qui sont en retard d’un progrès, que le ministère de l’environnement, en collaboration avec la société allemande Gis, leader mondial dans les questions environnementales, a demandé au dramaturge Mahfoud Fellous, un artiste talentueux dans le théâtre vert, d’écrire une pièce sur ce thème qui sera jouée dans les 48 wilayas du pays. Ce qu’il a fait. Et la pièce, jouée à Tlemcen, puis à Bouira a eu un grand succès. La troupe théâtrale s’est rendue ensuite à Bordj Bordj Arreridj, Sétif, Batna, Constantine, Annaba, Skikda, où elle a joué deux fois la pièce dans deux grandes villes. Selon la représentante du ministère de l’environnement chargée de la sensibilisation, de l’éducation environnementale et du partenariat auprès de la sous-direction de ce ministère, en l’occurrence Ibtissem Guessoum, la représentation qui a commencé le 18 novembre se poursuivra jusqu’au 2 janvier 2015 pour boucler la boucle. Accompagnant la troupe dans sa tournée à travers le pays, la représentante du ministère avait pour mission de rendre compte dans un PV de l’impact que la représentation a eu sur les enfants et sur les adultes. À Bouira, la pièce a été jouée le 18, à Sour El Ghozlane et le 19 à Bouira, où la chargée du ministère a pu constater et se féliciter du résultat obtenu, cette wilaya ayant adhéré à fond à tous les projets de CET réalisés ou sur le point de l’être. (Ailleurs, et à Reghaïa, par exemple, l’annonce de la construction de cet établissement a provoqué selon la représentante du ministère de l’environnement, une si grande colère chez les citoyens que le trafic sur la voie ferroviaire et sur l’artère principale a été bloqué complètement, causant d’importants dégâts matériels, notamment sur le chemin de fer, tant le syndrome de la décharge publique de oued Smar est présent dans les esprits). Or, ce civisme, La porte parole de ce département voudrait qu’il soit réel et se traduise dans les faits et gestes quotidiens, comme de fermer le sachet contenant les ordures, afin que son contenu ne se répande pas en chemin. Elle souhaiterait aussi que les ordures soient sorties aux heures de la collecte afin qu’elles ne séjournent trop longtemps dans le bac et permettent la prolifération de moustiques et de rats. Enfin, elle tient à rassurer les populations sur la sécurité parfaite du CET qui ne laisse échapper aucune émanation dangereuse et aucune fuite souterraine pouvant accidentellement contaminer les conduites d’eau ou les sources.
La pièce verte, Le décor est planté
Une famille algéroise possède une belle villa qu’elle met en vente. Le prix est fixé à onze milliards, mais au lendemain de l’annonce d’un projet de CET,non loin de là, il tombe à un milliard. Aucun acquéreur ne veut d’une usine de traitement des déchets devant sa porte, tant l’idée d’une contamination et d’une odeur fort incommodante est très répandue partout.
Très en colère, la famille, conduite par son chef Merzouk ,va mobiliser tout le voisinage et menace de bloquer l’accès principal de la ville. La directrice de l’environnement, informée de la situation, débarque sur le site et tente de convaincre les manifestants : le projet ne présente aucun risque pour la santé publique. Un ami de la famille, le docteur Brahim vole au secours de la responsable de ce secteur. Il déclare qu’un CET a une durée de vie qui varie entre cinq et quinze ans. Après, le site serait aménagé en espace vert. Et tout le monde sera content. Mais ses paroles, comme celles de la directrice du secteur de l’environnement font à peu près le même effet qu’un cautère sur une jambe de bois. Mais alors que tout semble perdu, voilà notre docteur qui revient à la charge. Non pas pour plaider encore une cause qui semble définitivement compromise, mais pour annoncer à la famille et aux riverains la nouvelle de méga-projets pour remplacer le CET, un stade de 50 000 places, un grand parking automobile, une gare routière… Stupeur et désolation chez le père de famille ainsi que chez les voisins. Alors se fait un revirement spectaculaire dans les mentalités et les positions. Tout le monde voudrait que l’on revienne à l’ancien projet. Mais n’était-ce pas trop tard ? Non, Dieu merci, car tous les nouveaux projets n’étaient qu’une ruse du docteur pour faire comprendre aux manifestants que s’ils refusent ce projet, d’autres le remplaceront pour occuper le terrain. Pour lui donner tout à fait raison, voilà qu’un soir, Merzouk, le père de famille qui pratique l’astronomie en amateur en observant le ciel avec son télescope, découvre une étrange planète en tout point semblable à la nôtre. Et cette jumelle de la Terre s’appelle Zarkoukou. Elle se matérialise sous forme d’une femme devant lui, et se met à danser et à chanter en conseillant à l’astronome improvisé de prendre soin de sa sœur qui est aussi belle qu’elle reste toujours aussi magnifique et en bonne santé. Merzouk est émerveillé par cette apparition délicieuse, mais voilà qu’une autre la chasse et prétend soumettre le savant à sa volonté : l’être immatériel s’appelle Monsieur Ordure. Il est d’aspect aussi repoussant que le costume qu’il porte. Il attire et fait peur à la fois, et Merzouk est obligé de l’écouter comme il a écouté la gracieuse Zarkoukou. Or que lui demande Monsieur ordure ?-De s’opposer au projet de CET, car monsieur ordure-au cas où on l’ignorerait- tire l’essentiel de sa nourriture des ordures. Et il prétend régner sur un empire en commandant des armées de mouches, de moustiques, de rats, de microbes etc… Son palais, ou plutôt sa prison, car en fait il est prisonnier comme ce génie des mille et une nuit ? Une bouteille de plastique recyclée. Heureusement. Et Merzouk qui le comprend respire: monsieur est hors d’état de nuire.
La pièce est simple et son auteur qui possède une longue expérience dans le domaine a du talent à en revendre. On est là sur un registre proprement molièrien. Ce coup de théâtre où l’on voit le docteur Brahim, ami de la famille, user de subterfuge pour amener tout son monde à épouser son point de vue n’est pas sans nous rappeler quelques tours pendables dont usait Molière, l’auteur de tant de pièces célèbres… Rendons aussi hommage aux acteurs Djamel Bounab qui joue le père de famille, à Bilel Ghazel qui joue le fils pacifique, à Boualem Mohamed El Hadj) qui joue le docteur Brahim et monsieur Ordure, à Dalila Ksili dans le rôle de la femme de Merzouk, à Gaoua Fériel dans ceux de la directrice de l’environnement et de Zarkouou pour leur prestation irréprochable sur scène.
Ali D.