Après avoir réclamé en vain l’aide des autorités kurdes syriennes, Ahmed Saleh a fini par demander de l’argent à ses proches expatriés pour réparer sa maison endommagée dans les combats contre les jihadistes à Kobané.
Les habitants de cette ville kurde du nord du pays en guerre, frontalière de la Turquie, ont dû compter sur eux-mêmes pour reconstruire la cité laissée quasiment en ruines après que les forces kurdes, soutenues par les Etats-Unis, en ont chassé le groupe jihadiste Etat islamique (EI) en 2015. Ahmed Saleh s’était réfugié en Turquie au début de la bataille avant de revenir à Kobané un an plus tard pour retrouver deux des trois chambres de sa maison détruites. «Nous avons été choqués par l’ampleur des destructions», dit ce cordonnier de 45 ans. Il pensait au départ que les autorités kurdes locales allaient l’aider, mais il a finalement «perdu espoir».
Le quadragénaire se tourne alors vers des membres de sa famille installés à l’étranger, qui lui ont envoyé de l’argent. «Mon fils en Allemagne et mon frère au Kurdistan irakien m’ont aidé», dit-il, précisant que 1.150 dollars ont jusque-là été dépensés pour les travaux. D’autres maisons dans son quartier de Boutane ont également été réparées, même si les impacts de balles restent visibles sur certains murs. Mohammed Naassan, un habitant d’un quartier voisin, a reconstruit sa maison avec l’aide de son épouse et de ses enfants et en piochant dans ses propres économies. «Notre maison a été complètement détruite par l’EI», affirme ce Kurde de 76 ans. «Des membres de la municipalité sont venus, ils ont pris note des dégâts, mais ils n’ont rien fait», regrette-t-il. «Personne ne nous a aidés, cela m’a coûté beaucoup d’argent».
«Une bonne chose»
Si plusieurs façades sont encore criblées de balles, les murs de nombreuses maisons ont été reconstruits ou repeints grâce à l’argent envoyé depuis l’étranger. D’autres habitations dans le nord de la ville restent en revanche entièrement détruites par des mois de combats acharnés.
En janvier 2015, les forces kurdes soutenues par la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis chassent l’EI de Kobané, après plus de quatre mois de violents combats. Trois ans plus tôt, en 2012, le régime syrien s’était retiré des régions majoritairement kurdes dans le nord du pays, où les autorités locales ont établi une autonomie de facto.
«Cinq mille maisons ont été détruites à Kobané, dont environ 70% ont été reconstruites», indique à l’AFP le responsable de la ville Anwar Mouslem. «Nous n’avions pas les moyens d’aider à réparer les maisons. Les expatriés aident leurs familles et c’est une bonne chose», ajoute-t-il. Les infrastructures ont également été endommagées, mais les autorités ont réussi à raccorder l’eau et l’électricité aux habitations et reconstruire 12 écoles, dit-il. Les coupures d’eau et d’électricité restent néanmoins courantes. M. Mouslem s’est dit déçu par le manque d’aide financière de la coalition internationale. «Jusqu’à présent, la coalition ne nous a apporté aucun appui, même si nous avons maintes fois répété la nécessité de reconstruire ensemble après avoir combattu l’EI ensemble», déplore-t-il. La coalition antijihadistes a alloué des fonds pour le déminage et la reconstruction d’infrastructures -réseaux d’eau et ponts- dans des zones reprises à l’EI.
Musée à ciel ouvert
Aujourd’hui, quelque 250.000 personnes vivent à Kobané, contre 400.000 avant le début en 2011 de la guerre, selon M. Mouslem. Si certains ont réussi à réunir l’argent nécessaire pour réparer leurs habitations, d’autres n’ont pas eu cette chance. «Nous n’avons pas les moyens de reconstruire», regrette Mouslem Nabu, 32 ans, professeur de langue kurde, qui loue désormais un appartement. Dans un autre secteur de Kobané, le plus endommagé, les responsables locaux ne veulent pas reconstruire.
Ils cherchent à le transformer en musée à ciel ouvert, un témoignage de la bataille intense menée contre l’EI. Selon M. Mouslem, les autorités ont payé des compensations aux locataires ou propriétaires de la moitié des 500 habitations dans ce secteur du nord de Kobané, qu’elles veulent voir vide. Mais pour Faydan Khalil, qui vit là avec son mari et sa belle-mère, ce projet constitue une double perte pour la famille.
«Mon mari a dû travailler dur pour qu’on reconstruise notre maison. Maintenant, ils veulent transformer la zone en musée et nous devons partir», déplore-t-elle. «Ils nous ont promis des terrains en guise de compensation, mais nous n’avons plus d’argent pour reconstruire une maison pour la troisième fois».