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Mahjoub Ben Bella : L’artiste qui répétait les pictogrammes des ancêtres pour les éterniser

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Né en 1946 à Maghnia, Mahjoub Ben Bella quitte l’Algérie en 1965 alors qu’il commence à peine ses études à l’école des Beaux-arts d’Oran. Il pourra étudier à Tourcoing puis à Paris. Établi en France, il vit d’abord de plusieurs métiers, avant de pouvoir assurer sa subsistance par son travail d’artiste.

La peinture de Ben Bella semble être le résultat d’un choix dont il ne s’écartera pas d’un iota durant plus de six décennies. D’abord à travers des sortes d’archétypes auxquels ont eu recours tous les peintres du signe, ces pictogrammes des ancêtres, Ben Bella s’engage pour la réhabilitation des langages traditionnels. Comme lui, beaucoup d’artistes pensent encore que si le passé ne doit pas être idéalisé, ni occulté, le patrimoine légué par les anciens est digne d’une investigation nouvelle. à ses débuts et pendant plusieurs décennies, il s’inscrit donc dans la suite logique de Aouchem, et perpétue sans le vouloir le vieux débat sur les concepts d’authenticité, sur la nécessité de sauvegarder les cultures locales minoritaires qu’elles soient kabyles, chaouies, mozabites, targuie ou autres. Adepte des performances physiques comme Mathieu qui a ouvert la voie, il commence à réaliser des œuvres monumentales, des céramiques, des objets, à côté de ses grandes et petites peintures sur différents subjectiles, toile, papier, bois et même pierre.
Dans les années 1980, il peint les pavés du Paris-Roubaix, L’envers du Nord, une fresque routière de 12 kilomètres (35 000 mètres carrés), en les tapissant de signes. Il procède un peu comme l’Algérien Rachid Khimoune, également basé en France et, qui, lui s’inspirait des décorations des couvercles et des panneaux de bouches d’égout qu’il a érigés en langage personnel et universel. Mêlant activisme politique et art, comme chez beaucoup d’artistes marginaux d’Occident qui essaient de s’imposer, Ben Bella réalise en juin 1988, à Wemblay, un hommage à Nelson Mandela. Travaillant dans un registre similaire du signe, Rachid Koreïchi, alors installé en Tunisie, faisait la jonction avec la politique et l’art en collaborant à l’illustration de recueils de poètes et d’auteurs arabes. Connotée culturellement, tout comme celle des peintres du signe, devenue une tarte à la crème d’une bonne partie de l’art arabe et algérien, la peinture de Ben Bella se cloisonne dans le cercle restreint de l’émigration, dont l’espace essentiel de monstration était la galerie de le Centre culturel algérien à Paris et le public était lié à l’Amicale des Algériens en France.
Au départ la peinture de Ben Bella est donc héritière de Mesli, de Cherkoui et d’Akmoun, et donc basée sur le signe berbère et sa récurrence. Répétitifs jusqu’à la scansion, ses tableaux imbriquent de petits motifs ressemblants à ceux de la culture berbère et aux lettres et signes empruntés ou apparentés à l’écriture tifinagh. Disposés en strates ou en fragments, ils se répètent longtemps avant d’échapper à cette récurrence qui bloquait cette peinture et l’emprisonnait dans l’ethnologie et la culture. Ben Bella ne cherchait pas à donner une signification linguistique ou religieuse à son travail qui, cependant, s’inscrivait dans un culturalisme handicapant. Avec l’aouchem (tatouage), les Berbères voulaient se distinguer des autres peuples envahisseurs (Phéniciens, Vandales, Romains, Arabes…) par des motifs corporels empruntés à sa culture. Ce patrimoine identitaire a joué un rôle important dans la peinture du signe. La croix, les x, triangles, quatre points, zigzags, carrés, losanges, etc. revenaient souvent dans ses œuvres anciennes, comme chez tous les peintres du signe, jusqu’aux artistes actuels comme Metmati ou Sergoua. Denses, entassés comme des fourmis, ces signes occupent tout l’espace de la toile comme la calligraphie fiévreuse sur un talisman. Les ocres, les gris, les bruns constituent une palette sobre qui renvoie à la terre. Certaines œuvres renvoient directement aux talismans, ces feuillets rédigés par les talebs afin de soigner ou d’exorciser des maux et des djinns. Nul ne doute de l’importance politique, sociale et culturelle de cette revalorisation du patrimoine berbère et/ou arabe mais l’art (la peinture en particulier) peut-il être réduit à cela ? Absolument pas, car l’art exige une inscription dans la modernité qui elle-même exige un langage personnel sans cesse renouvelé.
À quoi cela sert-il de peindre si l’on emprunte la composition, le dessin, les coloris au tapis ou à la poterie ? C’est une vision personnelle qui fait avancer l’art et le discours sur l’art, à condition bien sûr qu’elle soit articulée sur une technicité capable de créer au lieu de reproduire. Ces doutes et questionnements poussent certainement Ben Bella à se remettre en question. Et ce n’est qu’à partir des années 2000 que des couleurs joyeuses, vivantes, chaudes et froides commencent à varier les harmonies et les rythmes de son œuvre. D’une peinture qui a beaucoup de similitude avec celle de Koreïchi voire, celle d’Abdelkader Guermaz, Ben Bella va acquérir plus d’autonomie en remplaçant les signes proches de la culture berbère par des petits motifs empruntés au monde environnant de la modernité, ou peut-être au règne des organismes microscopiques. Alors que son processus créatif était d’abord fondé sur le réflexe et la répétition, Ben Bella va acquérir plus de force et son langage devenir non figuratif, création au sens plein du terme. Son œuvre deviendra le produit d’une opération complexe de composition, de mise en forme chromatique, de rythmes et d’équilibres, en un mot le résultat d’une véritable pensée esthétique quoique le sujet ne soit pas clairement défini ni définissable.

Internationalisation des signes
Les signes vont s’internationaliser, sortir du terroir, ressembler parfois à des motifs de tapisserie murale ou de quelconques motifs textiles courants. De véritables labyrinthes de formes lilliputiennes, de motifs colorés cernés de noirs, réalisés avec minutie, de manière quasi-répétitive, s’entassent, se bousculent, s’alignent, réitérant une improvisation où la main joue un rôle fondamental. Comme presque tous les artistes algériens, Ben Bella n’a jamais essayé de théoriser sa peinture, de lui donner une explication, une articulation philosophique, psychanalytique ou autre, la laissant à son caractère hasardeux et aléatoire. Peut-on donc la dire abstraite ? Aux antipodes de l’abstrait expressionniste américain, et sans lien avec la peinture lyrique française, on peut qualifier d’informelle, sans plus. On peut lui trouver beaucoup de similitudes avec Jean Dubuffet par son caractère brut, par ces univers complexes où se bousculent des formes qu’on ne sait identifier, par ces linéaments qui ont peut-être rapport avec quelque chiffrage de la réalité ou avec le dessin répétitif et mystérieux d’un enfant ou des graffitis inconscients. En tant qu’artiste, Ben Bella s’inscrit non pas en avance sur les politiques et l’esthétique mais dans leur sillage. Ni avant-gardiste ni à la traine, il continue à se revendiquer de la culture de son peuple, parfois en balance ou en opposition avec la modernité. Il essaie cependant de s’introduire dans la modernité, de s’adapter à notre temps et d’en faire un langage total et suffisant.
Avec l’arrivée de galeristes arabes et moyen-orientaux en Occident dans les années 1990 et 2000, Ben Bella commence à avoir une certaine visibilité, notamment après la tenue de son exposition individuelle au Musée d’Art Moderne d’Alger (MAMA) du 25 mai 2012 au 30 septembre 2012. Les collectionneurs d’Arabie Saoudite et d’autres pays du Golfe s’intéressent alors à son travail qui commence à décoller, pour être acquis par plusieurs musées. Ben Bella, un cet artiste prolifique qui a réalisé quelque 15000 œuvres, a organisé plusieurs expositions personnelles et participé à de nombreuses expositions collectives dans des centres d’art, puis des musées et des galeries d’Europe et du Proche-Orient.
C’est sans conteste le MAMA qui a consacré cet artiste même si nos musées ne possèdent probablement aucune œuvre de lui… Pas même le Musée national des beaux-arts d’Alger qui, soit dit en passant, n’a même plus de site Web et qui se laisse représenter sur l’Internet par l’Association des Musées de la Méditerranée ! Par contre, le musée de l’Institut du monde arabe (IMA) possède seize de ses peintures, grâce à la Donation Claude & France Lemand. Mahjoub Ben Bella a été enterré au cimetière de Tourcoing, sa ville d’adoption.
Ali El Hadj Tahar

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