Accueil ACTUALITÉ GUERRE DÉCLARÉE CONTRE LA CORRUPTION : 2019, une année judiciaire spectaculaire

GUERRE DÉCLARÉE CONTRE LA CORRUPTION : 2019, une année judiciaire spectaculaire

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Jamais l’opinion algérienne n’a été autant attentive à l’actualité judiciaire qu’elle l’a été en 2019, en raison des grands dossiers de corruptions traités.

L’année judiciaire 2019 a été fertile en événements, essentiellement, après la démission du président Bouteflika au début du mois d’avril dernier. En effet, cette période a été marquée par un incroyable revirement de situation, puisque ceux qui ont régné sur le pays pendant 20 ans ont été éclaboussés par de lourdes affaires de corruption. Les Cours de justice avaient, donc, du pain sur la planche et le scénario n’est pas prêt de changer en 2020, au regard des grands dossiers sur lesquels les différentes juridictions se penchent, et ce, grâce à l’accompagnement et le soutien de l’Institution militaire, qui n’a cessé d’épauler ce qui a été baptisé par la presse « opération mains propres ». Une opération qui a débuté, après l’émission de la fameuse liste des hommes d’affaires interdits de sortie du territoire national (ISTN). D’ailleurs, le premier qui a été arrêté, était l’homme d’affaires, patron de l’Etrhb, Ali Haddad, deux jours après sa démission de la présidence du Forum des chefs d’entreprise. En effet, celui-ci était sur le point de quitter le territoire par la frontière du poste frontalier d’Oum T’boul, dans la nuit du 31 mars au 1er avril. Il a été placé en détention provisoire en raison des deux passeports qu’il avait sur lui.

14 ministres en détention provisoire
Par la suite, les évènements se sont accélérés et la liste de personnalités placées sous mandat de dépôt s’est allongée, avec l’incarcération des anciens hauts dirigeants. En tête de liste figuraient les anciens Premiers ministres Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia qui ont rejoint la célèbre prison d’El Harrach, les 12 et 13 juin derniers. Les deux personnalités sont poursuivies dans plusieurs affaires, dont celles de Mahieddine Tahkout (CIMA motors), Oulmi Mourad (Sovac), Hacène Arbaoui (Kia) et Mazouz Ahmed (Groupe Mazouz). Ils sont poursuivis pour « octroi d’indus avantages à autrui lors de passation d’un marché en violation des dispositions législatives et règlementaires, abus de fonction, conflit d’intérêts, corruption lors de passation de marchés publics ». Le tour est venu ensuite à l’ex-ministre du Commerce, Amara Benyounès, qui a été incarcéré le 13 juin. Les deux anciens ministres de la Solidarité nationale, Djamel Ould Abbès et Saïd Barkat, auditionnés dans le cadre d’affaires liées à la dilapidation de deniers publics, passation de marchés en violation des dispositions législatives et règlementaires et faux en écritures publiques, avaient été placés, eux aussi, en détention provisoire, les 7 et 8 juillet derniers. De surcroît, l’ancien ministre de l’Industrie et des Mines, Youcef Yousfi a été placé, lui aussi, en détention après son audition dans le cadre de l’affaire Tahkout, le 14 juillet dernier. Youcef Yousfi est poursuivi pour « octroi d’indus avantages à autrui lors de passation d’un marché en violation des dispositions législatives et règlementaires, abus de fonction, conflit d’intérêts, corruption lors de passation de marchés publics et dilapidation de deniers publics. L’ex-ministre de l’Industrie et des Mines, Mahdjoub Bedda a été, quant à lui, placé en détention le 17 juillet, pour les mêmes chefs d’accusation, tandis qu’Amar Ghoul a connu le même sort le 18 juillet. Durant le mois d’août, trois ministres ont été incarcérés. Il s’agit de l’ancien ministre des Transport, Abdelghani Zaâlane, l’ancien ministre du Travail Mohamed El Ghazi, et le très puissant ancien ministre de la Justice, Tayeb Louh, qui a rejoint la prison d’El Harrach le 22 août. Celui-ci est poursuivi « pour abus de fonction, entrave à la justice, incitation à la partialité et incitation à faux en écriture officielle ». Au mois de septembre, c’était au tour de Moussa Benhamadi, ex-ministre de la Poste et des TIC, d’être incarcéré le 18 septembre, suivi quelques jours après, de l’ex-ministre des Transports, Boudjemâa Talaï. Le mois de novembre a été marqué par le placement de l’ancienne ministre de la Culture, Khalida Toumi en détention provisoire. Celle-ci est, elle aussi, poursuivie pour dilapidation de deniers publics, abus de fonction et octroi d’indus privilèges, dans le cadre de l’enquête menée sur la surfacturation d’une tente géante et de sa disparition après l’ouverture de la manifestation «Tlemcen, capitale de la culture islamique». D’autres ministres sont également, mis sous contrôle judiciaire. Il s’agit de celui du Tourisme et de l’Artisanat, Abdelkader Benmessaoud, l’ex-ministre des Finances, Karim Djoudi, ainsi que l’ancien ministre de la Santé, Abdelmalek Boudiaf.

La justice frappe fort contre les hommes d’affaires
Par ailleurs, la liste des hommes d’affaires inquiétés par la justice en 2019 est très longue. Outre Ali Haddad, les frères Kouninef, Mahieddine Tahkout, Issad Rebrab, Mourad Oulmi, Mohamed Baïri et ses deux frères, Abderrahmane Benhamadi (Condor) et ses deux frères, Ahmed Mazouz et Hacène Arbaoui sont tous poursuivis dans des dossiers de corruption.

L’affaire El-Hamel n’a pas dévoilé ses secrets
Épargné à plusieurs reprises par le juge enquêteur près la Cour suprême, l’ancien DG de la Sûreté nationale (DGSN), le général-major à la retraite Abdelghani Hamel a été rattrapé par la justice au mois de juillet 2019. Son affaire suscite de moult interrogations, surtout que de nombreux hauts cadres de l’état y sont cités. Bien que l’ouverture du procès dans cette affaire soit prévue pour les prochains jours, il n’en demeure pas moins que la Justice demeure prudente en dévoilant peu d’informations sur ce dossier des plus sensibles. Le moins que l’on puisse dire est que El-Hamel et ses trois fils, ainsi que son épouse, sont poursuivis pour des chefs d’accussations liés à l’enrichissement illicite, au blanchiment d’argent et à l’abus de fonction. Le directeur des domaines pour la région ouest d’Alger, Ali Bouamrirane, et l’ex-directeur de l’OPGI de Hussein Dey, Mohamed Rehaïmia, l’ex-directeur général des Douanes, Abdou Bouderbala, sont cités dans cette affaire. à ces derniers s’ajoutent, cinq anciens walis : deux
d’Oran : Abdelmalek Boudiaf et Abdelghani Zaâlane, d’Alger : Abdelkader Zoukh, de Tipasa : Ghelaï Moussa et Abdelkader Kadi, d’Annaba : Zoubir Bensebbane.

Les « Melzi » poursuivis pour « espionnage économique »
Hamid Melzi, l’ex-directeur général de l’établissement public « Sahel », a été placé sous mandat de dépôt au mois de mai dernier par le juge d’instruction du tribunal de Sidi M’hamed, dans le cadre d’une affaire d’espionnage économique. Plusieurs griefs sont retenus contre l’accusé, conformément à l’article 65 du code pénal, dont « la collecte d’informations, de nature à porter atteinte à l’économie et à la défense nationales, au profit d’une puissance étrangère » et « détentions de munitions ». Pour rappel, l’article 65 stipule qu’il « est puni de la réclusion perpétuelle, quiconque, dans l’intention de les livrer à une puissance étrangère, rassemble des renseignements, objets, documents ou procédés dont la réunion et l’exploitation sont de nature à nuire à la défense nationale ou à l’économie nationale ». Au mois de juin, la justice avait auditionné 24 personnes dans le cadre d’une seconde enquête impliquant la famille de Melzi. Celle-ci concerne la gestion des Résidences d’état et du Sahel. Parmi eux, l’ex-Premier ministre Ouyahia et Hamid Melzi ainsi que sa femme, ses deux fils et des cadres et employés, dont certains entendus comme témoins.

Des procès historiques
L’année a été marquée, entre autres, par deux procès historiques. Le premier a eu lieu au mois de septembre et concerne l’affaire sur « les réunions secrètes », dans lequel ont été condamnés Saïd Bouteflika, frère et conseiller de l’ex-Président Bouteflika, ainsi que deux anciens chefs du Renseignement sécuritaire, les généraux Mohamed Mediène (alias Toufik) et Athmane Tartag, et de Louisa Hanoune, SG du Parti des travailleurs, à une peine de 15 ans de réclusion criminelle. Le Tribunal avait également condamné à 20 ans de prison l’ancien ministre de la Défense et ex-chef d’état-major de l’ANP, Khaled Nezzar, son fils Lotfi, ainsi que Farid Benhamdine, gérant de la Société algérienne de pharmacie, tous les trois jugés par contumace dans la même affaire. Ces trois mis en cause sont en fuite à l’étranger et font l’objet d’un mandat d’arrêt international. Les mis en cause sont poursuivis pour « atteinte à l’autorité de l’Armée» et « complot contre l’autorité de l’État ». Ces actes sont punis par les articles 284 du code de justice militaire et 77 et 78 du code pénal. Lors de ce procès qui a duré deux jours, au tribunal militaire de Blida, le général Athmane Tartag a refusé de comparaître, tandis que Saïd Bouteflika, s’était retiré et a refusé de répondre aux questions du juge. Pour sa part, le général Toufik a refusé de parler de « réunions », mais plutôt de « rencontres » avec le conseiller de l’ex-Président alors encore en exercice « pour apporter sa contribution dans la résolution de la crise que traverse le pays ». Le deuxième procès a eu lieu, au début du mois de décembre et a concerné l’industrie du montage automobile. Dans ce procès, qui a duré quatre jours, au tribunal de Sidi M’hamed,  deux anciens PM, Ouyahia et Sellal, poursuivis pour « dilapidation de deniers publics », « octroi d’indus avantages » et « abus de fonction », ont été condamnés, respectivement à 15 et 12 ans de prison ferme. Ouyahia et Sellal ont également écopé d’une amende de 100 millions de centimes chacun pour les mêmes charges. La même juridiction a, de surcroît, prononcé la privation d’Ouyahia de ses droits civils et politiques et la saisie de tous les revenus et biens acquis illicitement. Le tribunal a également condamné, par contumace, à 20 ans de prison ferme, l’ancien ministre de l’Industrie et des Mines, Abdessalem Bouchouareb (en fuite) contre lequel un mandat d’arrêt international a été lancé. Les deux anciens ministres de l’Industrie, Youcef Yousfi et Mahdjoub Bedda ont écopé, quant à eux, de 10 ans de prison ferme. Quant à lui, l’ancien ministre des Travaux publics et des Transports, Abdelghani Zaâlane, poursuivi dans l’affaire du financement de la campagne de l’ancien Président, il a été acquitté.

Le tribunal a également condamné l’ancienne wali de Boumerdès, Nouria Yamina Zerhouni, à 5 ans de prison ferme
Pour ce qui est des hommes d’affaires, poursuivis dans les affaires de montage automobile et de financement de la campagne électorale pour le 5e mandat avorté, des peines de 3 à 7 ans de prison ferme ont été prononcées. À cet effet, les deux hommes d’affaires, Ali Haddad et Ahmed Mazouz, ont été condamnés à une peine de 7 ans de prison ferme, tandis que Hassan Larbaoui a écopé d’une peine de 6 ans de prison ferme assortie d’une amende de 600 millions de centimes. En outre, une peine de 3 ans de prison ferme a été prononcée à l’encontre de Mohamed Baïri. Le directeur général du Crédit populaire d’Algérie (CPA), Aboud Achour, a, quant à lui, été condamné à 3 ans de prison ferme. Dans le même sillage, une peine de 5 ans de prison ferme a été prononcé contre Amine Tira (cadre du ministère de l’Industrie), et 2 ans de prison ferme pour Mahmoud Chaïd (directeur financier de la campagne électorale de Bouteflika) et Hadj Saïd (chef de cabinet du FCE). Farès Sellal, fils de l’ancien Premier ministre, a écopé de 3 ans de prison ferme, tandis que la directrice de l’Industrie de la wilaya de Boumerdès a été acquittée. Ces affaires ne sont qu’une partie de l’iceberg. La justice devrait, en ce début d’année, accélérer la cadence du traitement de ces dossiers. Autrement, l’actualité judiciaire promet d’être tout aussi chaude en cette année 2020.
Lamia Boufassa

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