Réunis en collectif, dans un élan de solidarité sans précédent, les citoyens des villages Aït Amar Moussa, Aït Hamidouche et Tikaâtine, relevant de la commune de Boudjima (Makouda), sise à 35 kilomètres au nord de la wilaya de Tizi Ouzou, ont pris la noble initiative d’honorer la mémoire des trente cinq martyrs de la Guerre de libération issus de cette localité. Les villageois ont choisi la date historique du 1er Novembre 54 pour marquer d’une estampille indélébile la mémoire de leurs aïeux, voués corps et âme au combat libérateur, ô combien glorieux et juste. À l’instar de tous leurs compagnons d’armes en Algérie, ils sont tombés en héros après avoir consentis le sacrifice suprême pour le recouvrement de la liberté et de la dignité afin de s’affranchir de l’hégémonie colonialiste. Ces chouhada ont été glorifiés et leurs noms ont été gravés sur une plaque commémorative, dressée à leur honneur au niveau de l’esplanade de Tikaâtine, lieu de chute et de rencontres conviviales entre citoyens des trois villages. Cette stèle a été réalisée grâce à la mobilisation des villageois, et elle a été financée par l’Assemblée populaire communale. Cette cérémonie à laquelle ont pris part la population locale dans toute sa diversité, a été organisée de fort belle manière, et à juste titre, à la hauteur de la valeur morale, de l’esprit vaillant et de l’engagement nationaliste de ces martyrs. Cette sépulture érigée à leur effigie a été inaugurée dans un moment qui a marqué les esprits, et qui restera sans doute gravé dans le souvenir des habitants et consolidera davantage la mémoire collective. Tant, cet événement a suscité une émotion grandissante parmi l’assistance. Composée de femmes et d’hommes de tous les âges, des descendants issus des familles des chouhada, d’organisations et d’anciens moudjahidine, l’événement n’a pas été sans jaillir un sentiment de fierté, d’avoir «enfin» accompli le devoir morale, celui de ressusciter la mémoire de leurs martyrs, quand bien même, ils n’ont jamais été oubliés. Certains n’ont pas pu retenir leurs larmes, expression d’un sentiment immédiat qui renseigne combien il est prééminent de faire montre d’un geste de reconnaissance envers ces combattants, avec tout ce que cela représente aux yeux de leurs progénitures. Lorsque plusieurs témoins oculaires se sont succédés pour parler de ce qu’ils ont enduré, vu, où avaient eux même fait durant cette période, la faveur des aveux vivifiants qu’ils ont livrés, a fait dérouler des clichés, où l’assistance a été tenue en haleine des moments durant. Du coup, les témoignages poignants ont trouvé échos auprès des femmes, qui, elles, nourrissent la scène d’émouvants youyous. De plus, parmi des personnes présentes, certains ont eu l’ingénieuse idée de prendre note, de se saisir chacun en ce qui le concerne des esquisses, à même de contribuer à l’écriture de l’histoire. Ceci, dont le but, «étant de permettre aux générations à venir de mieux s’imprégner des vicissitudes traversées par la Guerre de libération», a-t-on expliqué. Par ailleurs, la réussite de cette initiative a été rendue possible grâce à la mobilisation sans relâche de la frange juvénile, qui a constitué la cheville ouvrière de l’événement. Des dizaines de jeunes, entre filles et garçons chacun dans son rôle, ont mis toute leur énergie en œuvre et ont prêté main forte à l’action, et ce, tout le long du processus de préparation de cette cérémonie, laquelle a été dédiée à la mémoire de ces hommes intrépides décédés entre 1954 et 1962. D’un geste symbolique, ces bénévoles, comme pour affirmer que le combat de leurs héros n’est pas un vain mot, encore moins un slogan creux, ont fait montre de volonté afin de perpétuer la lutte à leur manière.
«Après plusieurs jours de réunions autour de l’événement, les représentants des villageois ont concocté ce programme. Il s’agit pour nous de faire de cette journée commémorative, la première en son genre ici, une halte pour inculquer à la nouvelle génération l’histoire de leur localité et faire connaître les martyrs qui ont sacrifié leurs vies pour la liberté. Car, à l’instar d’autres régions, ces villages ont payé un lourd tribut durant la Guerre de libération», diront, sur place, Lounès Lamouri et Mansour Boudjemâa, membres du collectif d’organisation. Dans un silence olympien, la cérémonie a été entamée par la levée des couleurs nationales, suivies par l’entonnement de l’hymne national, en présence, sur le piédestal de la stèle imposante, du président de l’APC, du représentant de la daïra de Makouda dont relève cette commune, des délégués des organisations de fils de chouhada ainsi que des éléments de la Gendarmerie nationale. Ensuite, les membres du comité d’organisation inter-village ont tour à tour passé devant le micro pour saluer la forte mobilisation des citoyens, qui se sont levés, tel un seul homme, pour rendre un vibrant hommage à ceux qui ont pris les armes pour défendre leur mère Patrie, a-t-on retenu du message. Outre, la présence d’enfants, de jeunes filles et garçons, de vieux et des vieilles femmes issus de ces villages, nombre d’invités et d’autres habitants issus des environs immédiats ont tenu à être présents.
Durant cette cérémonie grandiose, une sonorisation a vibré sous le rythme incessant de chants révolutionnaires d’expression kabyle. Dans son discours d’ouverture, Smaïl Boukherroub, maire de cette commune, a indiqué à l’assistance que cette région a été pour beaucoup dans le combat libérateur. Plus au-delà, il a rappelé longuement, références historiques en appui, les batailles menées par les héros issus de cette région qui ont combattu les contingents de l’empire ottoman. Avant de persévérer plus tard pour perpétuer la lutte, et défier le colonialisme français. À ce titre, il a insisté sur l’importance pour la nouvelle génération de se pencher sur sa propre histoire. Lui succédant, un habitant a exposé devant les présents un document de recherche sur l’histoire de cette localité et les combattants ayant été à l’avant-garde contre les occupants étrangers. À midi, les invités et tous les présents ont été conviés à une waâda (offrande) pour manger un couscous offert en leur honneur.
Ce repas convivial pure produit ancestral, n’a pas été sans rappeler à beaucoup parmi eux les maisons de refuge s’offrant aux moudjahidine en foyers doux et d’aisance, leur permettant de s’en approvisionner en nourriture, et d’en profiter d’un moment de répit avant de reprendre le chemin du combat. L’école primaire de Tikâatine ayant abrité une partie des festivités, a été en quelque sorte cette maison d’aujourd’hui, ayant permis à tous les présents justement, de se réunir autour d’un couscous collectif.
L’adage qui dit que «l’histoire est un éternel recommencement» y trouve là, semble-t-il, tout son sens. Durant plusieurs jours, le collectif des trois villages a lancé une compagne de quête pour le besoin de mobiliser des fonds à cet effet. Des personnes philanthropes de la région et des citoyens lambda n’ont pas hésité à glisser la main dans la poche à des fins de contribution.
Farid Guellil