Accueil Culture+ Charlotte Rampling : «mon image et moi on vit séparées»

Charlotte Rampling : «mon image et moi on vit séparées»

0

Au cinéma, dans « 45 ans», elle joue une épouse dévorée par la jalousie. Après s’être racontée sans fard dans une autobiographie, l’actrice nous parle à cœur ouvert.
Elle porte sur sa vie un regard bouddhique. « C’était écrit », observe-t-elle. Aujourd’hui, comme une conjonction du destin, elle se retrouve simultanément veuve de Jean-Noël Tassez, décédé en octobre au terme d’un douloureux cancer ; interprète principale d’un film magnifique, « 45 ans », pour lequel elle est nommée aux prochains Oscars en tant que meilleure actrice ; et auteure d’un livre poignant,
« Qui je suis ». Poétique et sans langue de bois, elle évoque sa jeunesse, son enfance, un père militaire rigide, une mère fragile et joyeuse mais éteinte à jamais par la mort de sa fille Sarah, à 23 ans. C’est ce qui frappe chez cette actrice époustouflante : tellement intègre, elle est un diamant pur qui ne connaît pas l’hypocrisie. Les jeunes cinéastes ne s’y trompent pas : elle n’arrête pas de tourner. La plénitude à 69 ans ? « Il faut trouver le chemin de son destin. Ne pas se disperser en anecdotes. » Tout est dit.

« TOMBER AMOUREUX DE SA PROPRE IMAGE N’EST PAS UNE BONNE IDÉE… »

Paris Match : Votre film illustre une possessivité, une jalousie un peu étrange pour un couple de si longue durée, quarante-cinq ans de mariage !
Charlotte Rampling : Pourquoi ? Vous pensez que la jalousie a un âge ? Les sentiments ne vieillissent pas, surtout quand on les réveille. Ici, l’héroïne se surprend elle-même par la violence de son désarroi. Cette fiancée d’autrefois est morte, son mari ne l’a pas trompée… Alors pourquoi est-elle si désemparée ?

Cette soudaine jalousie va à l’encontre de ce qu’on appelle l’inéluctable usure du couple…
Là, ça dépasse l’usure du couple. Quand un événement vient réveiller en vous des zones mystérieuses, douloureuses, vous vous retrouvez bouleversée et vulnérable. J’incarne cette femme soudain en prise avec un questionnement terrible.

Avec un jeune réalisateur, est-il plus motivant ­d’aller au bout de vous-même ? Andrew Haigh vous découvre…
En effet, pour lui, en termes d’expérience et de vécu, je suis une étrangère. Mais les contrastes nous révèlent. Dans la création, la part de mystère est importante. On y puise une fascination ­mutuelle. Je contemple sa jeunesse, il observe mon expérience.

Comment jouez-vous justement de cette fascination que vous exercez sur les jeunes metteurs en scène ?
Je ne joue pas. Je cherche la vérité en moi. L’authenticité, c’est une quête. Un vrai chemin. Quand j’incarne un personnage, c’est comme si je suis moi mais avec un autre nom, un autre destin. Ces quarante-cinq ans de vie passée que j’incarne dans le film, je les connais pour les avoir vécus, mais autrement.

Le film montre les rides, les imperfections, les vêtements qui ne sont pas flatteurs… Où trouvez-vous cette capacité de mettre votre image à distance, sans coquetterie aucune ?
Je me suis débarrassée de la coquetterie il y a longtemps. Cultiver le narcissisme risque de tout foutre en l’air ! Tomber amoureux de sa propre image n’est pas une bonne idée… Dans le film, cette femme de 70 ans est ma trame, ma colonne vertébrale.

Le narcissisme n’est-il pas inhérent à la qualité de l’actrice ?
Je peux regarder mon visage à l’écran mais je ne suis pas obligée d’entrer en relation avec cette image. Il y a moi et il y a mon image. Je préfère qu’elles vivent séparément.

A vos débuts, la découverte de ce dédoublement dramatique fut une révélation.
Oui, soudain, je découvrais “ma” voie d’expression. Quelque chose s’ouvrait en moi. Le désir irrépressible d’aller plus loin. Une sensation grisante d’avoir saisi ma voix intérieure. Ensuite, il m’a fallu l’alimenter. C’est difficile de tenir le feu vivant à l’intérieur de soi. On est seul avec soi-même.

Donc, vos épreuves, la dépression, les deuils, la mort de votre sœur… vous ont nourrie ?
Bien sûr, ils ont élargi mon spectre. Inconsciemment. Et c’est en faisant ensuite des rencontres créatives, fécondes, que j’ai avancé.

Votre père, militaire, ancien sportif de haut niveau, vous a avoué tard dans sa vie qu’il aurait aimé être acteur…
Oui, et il aurait brillamment réussi. Il était très beau, charismatique, avec une énorme capacité de travail, il y serait arrivé.

Pourtant, il verrouillait ses sentiments. Et vous imposait la même chose. Very british !
“Sure” ! Et c’est pour cela qu’il existe depuis toujours en Angleterre des compagnies amateurs d’art dramatique dans les écoles et dans les villes. Elles nous servent d’exutoire. Comme ils s’expriment parfois avec difficulté dans la vie, les Anglais se lâchent sur scène avec délectation ! Alors que les Français sortent leurs tripes dans la vie !

« J’AI ESSAYÉ LES DROGUES, MAIS JE M’EN SUIS TENUE ÉLOIGNÉE ; POUR MOI, C’ÉTAIT LE DIABLE »

Cette latinité vous a attirée…
Elle m’a sauvée ! D’abord en Italie, où je découvrais l’ouverture, la passion, le goût de la beauté, les caresses, la chaleur, la spontanéité. Ce fut presque une illumination. J’avais 22-23 ans. N’oubliez pas qu’on sortait difficilement de la guerre. L’Angleterre était exsangue. Nue et crue.

Les sixties furent une sacrée revanche, surtout en Angleterre. Vous étiez aussi “sex, drug and rock’n’roll” ?
J’ai essayé les drogues, mais je m’en suis tenue éloignée ; pour moi, c’était le diable. “A real mindfuck.” Je sentais le danger des états hallucinés. Mes parents avaient déjà perdu une fille, ma sœur Sarah, je ne pouvais pas prendre le risque de sauter d’une fenêtre au détour d’un bad trip ! Sarah n’avait pas pu surmonter ses pulsions autodestructrices, j’allais, moi, tout faire pour survivre.

Vous êtes-vous défoulée pendant les années 1960 ?
Oh, oui ! Nous avions une sensation de liberté inouïe. Il y avait de l’argent, pas de chômage, pas de barrières sociales, pas de sida, on couchait avec qui on voulait, on était les enfants gâtés d’un moment éphémère et inoubliable.

Dans les années 1970, vous avez formé un couple très à la mode avec le regretté Bryan Southcombe, qui travaillait dans le show-business…
Un bon vivant, joyeux, hédoniste, on a fait un enfant dans la foulée, Barnaby, qui est réalisateur.

Mais c’est avec la même légèreté que vous l’avez quitté sur un coup de foudre pour Jean-Michel Jarre…
Et on a eu David… C’est étonnant quand on y pense, car les hommes français ne m’attiraient pas du tout et me voilà ­aujourd’hui : quarante ans de vie avec des Français !

Qu’y a-t-il de français en vous ?
Rien ! Enfin si… j’ai eu une éducation complètement française de 9 à 12 ans, dans une école catholique, moi, la protestante. Une immersion totale… Ensuite, bien plus tard, j’ai acheté une maison en Provence.

Au total vous avez élevé trois enfants puisque Jean-Michel avait une petite fille, Emilie. Les enfants ont-ils pu être une entrave à votre cheminement ?
Oui, bien sûr. Les enfants sont les rois du monde et ils vous dévorent. Mais on s’arrange, on jongle, on se débrouille pour que tout ce monde trouve sa place. Il y aura toujours des sacrifices. Mais ça n’est pas grave. La vie est ainsi. Les Anglais ont peut-être trouvé la solution : ils envoient leurs gosses en pension !

N’avez-vous pas envisagé de ne pas avoir d’enfants ?
Je n’ai pas eu le temps de m’interroger. Ils sont arrivés comme ça. A l’époque, on ne “programmait” pas.

Actrice intense et mère de famille… Etait-ce un burn-out qui a pu engendrer vos dépressions ?
Non, c’est intimement lié au chemin de la vie, à mon destin.

La vie vous a fait croiser Jean-Noël Tassez, ancien journaliste et conseiller en affaires, votre compagnon pendant dix-sept ans, que vous avez accompagné jusqu’à sa mort, en octobre 2015.
On s’est rencontrés à Paris lors d’un festival de ­cinéma. J’étais présidente du jury. Il a demandé à m’accompagner lors d’une soirée Armani. De mon côté, je savais qu’un homme que je ne connaissais pas avait flashé sur moi. J’étais ravie, étonnée, tout excitée car cela faisait un moment que j’étais séparée de Jean-Michel. J’avais la cinquantaine, je me sentais comme une jeune fille de 16 ans ! Vous ,voyez, les sentiments n’ont pas d’âge !

Article précédentTroubles en Tunisie : Habib Essid rassure et met en garde
Article suivantL1 Mobilis (17e journée) : statu quo en tête