Face à la mobilisation décrétée par les miliciens chiites Houthis pour s’emparer du sud du Yémen, les forces loyales au président réfugié dans cette région peinent à s’organiser et à maîtriser le recrutement de soldats. Le président Abd Rabbo Mansour Hadi, qui a fui la capitale Sanaa (nord) en février pour s’installer à Aden, deuxième ville du pays tout au sud, a lancé une campagne de recrutement de 20.000 soldats pour pallier la faiblesse de ses troupes. Celles-ci n’ont rien fait pour empêcher l’entrée dimanche des Houthis dans la ville stratégique de Taëz, à moins de 180 km d’Aden, où ils ont notamment pris le contrôle de l’aéroport. L’opération de recrutement de forces pro-Hadi, qui vise les jeunes des provinces du sud, connaît du succès, comme en témoignent les grappes dépenaillées de candidats autour des centres de recrutement d’Aden.
Mais l’enregistrement se fait au compte-gouttes et dans le chaos, selon des correspondants de l’AFP. Les chiffres disponibles font état de «plusieurs milliers de recrues» déjà enregistrées, mais il reste à les entraîner, à les armer et à les discipliner, avoue un membre de l’entourage de M. Hadi sous couvert d’anonymat.
La lenteur de la procédure n’entame pourtant en rien l’enthousiasme des candidats qui, une fois enregistrés, se répandent dans les rues pour clamer leur intention de «faire la peau aux Houthis», soutenus par l’Iran chiite.
Tribus
M. Hadi, appuyé par l’Arabie saoudite sunnite, passe une partie du temps à recevoir des tribus du sud et d’autres régions dont il cherche à s’assurer le soutien. La donne tribale est essentielle pour contrôler le Yémen, et M. Hadi passe pour être beaucoup moins doué pour gagner la loyauté des tribus que son prédécesseur Ali Abdallah Saleh. Chef de l’Etat de 1978 à 2012, M. Saleh n’a pas supporté d’être évincé du pouvoir et il est aujourd’hui allié aux Houthis, auxquels il apporte un soutien crucial grâce aux fidèles qu’il a conservés dans l’armée. M. Hadi peut compter sur son ministre de la Défense, Mahmoud al-Soubaihi, présenté comme un bon chef militaire, et sur des supplétifs de l’armée, les «Comités populaires», qui semblent motivés et bien préparés derrière leur chef Abdelatif al-Sayed. Mais «il serait erroné de croire que le président Hadi est capable de mobiliser assez de forces pour libérer le pays», a estimé l’émissaire de l’ONU au Yémen, Jamal Benomar.
«Il est également erroné de croire que les Houthis puissent lancer une offensive et prendre le contrôle (de tout) le pays». En conséquence, M. Benomar a appelé à une solution politique, mais sur le terrain la surenchère continue. Les Houthis, avec la complicité d’une partie de l’armée, fidèle à M. Saleh, n’ont cessé de progresser depuis qu’ils sont entrés à Sanaa en septembre, étendant leur influence dans le centre jusqu’à Taëz, verrou important vers Aden.
Appels à l’aide
En face, M. Hadi a été défié à Aden même par un général rebelle, Abdel Hafedh al-Sakkaf, qui l’a attaqué avant de fuir la ville. Ses troupes restées à Aden et qui se disent loyales à M. Hadi ont manifesté lundi devant leur camp abandonné, réclamant d’être réintégrées au sein des forces gouvernementales et de recevoir leur solde. «Le nouveau commandant nous joue des tours», et reste introuvable, a déclaré un soldat, Iman al-Charaabi. «Nous nous sentons perdus», a renchéri un autre, Saqr al-Moghrabi. Selon des analystes yéménites, l’une des erreurs de M. Hadi est de n’avoir pas restructuré l’armée de manière à mettre fin aux interférences tribales et aux fidélités à M. Saleh. Signe des difficultés de M. Hadi, considéré comme le chef de l’Etat légitime du Yémen par les Nations unies, ses lieutenants multiplient les appels à l’aide. Dans des déclarations diffusées lundi par la chaîne de télévision Al-Hadath, le ministre par intérim des Affaires étrangères Ryad Yassin a demandé aux monarchies sunnites du Golfe d’intervenir militairement pour «stopper l’expansion houthie». Il a aussi souhaité que le Conseil de sécurité de l’ONU «impose une zone d’exclusion aérienne sur les aéroports contrôlés par les Houthis».
A la question de savoir si Riyad pourrait aider militairement le président Hadi, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud Al-Fayçal, a répondu que si aucune solution politique n’était trouvée, les pays de la région prendraient les «mesures» nécessaires pour «protéger» leurs intérêts face à «l’agression».