Près de deux mois ont passé depuis l’attaque de Ngouboua, sur les rives du lac Tchad, par les islamistes nigérians de Boko Haram mais les stigmates sont encore là : les maisons calcinées et surtout, la peur. Au moindre bruit suspect, Zara Isenik court «se cacher en brousse». C’était le 12 février. En moins de deux heures, la moitié de cette ville tchadienne de 6.000 âmes est partie en fumée. Zara dormait avec ses sept enfants. A plusieurs centaines de kilomètres de là, son mari, militaire, combattait les islamistes à la frontière entre le Niger et le Nigeria, où l’armée tchadienne intervient en première ligne. «Ils (Boko Haram) sont arrivés vers 4 heures du matin. Nous avons entendu les coups de feu résonner dans la nuit, et nous avons compris», explique-t-elle d’une voix douce, accroupie contre le mur calciné de sa maison. En fuyant, elle est tombée nez-à-nez avec un petit groupe de combattants «très jeunes, habillés en noir», kalachnikovs au poing. «Ils nous ont laissé partir». C’est à son retour, à peine deux heures plus tard, que la jeune femme mesure l’étendue des dégâts. «Tout avait brûlé. La télévision, mes vêtements, mes bijoux, les sacs de maïs que je devais vendre au marché… Et trois millions de francs CFA (4.500 euros) en liquide: toutes nos économies.» Les insurgés arrivés discrètement à bord de pirogues, ont d’abord attaqué le contingent militaire stationné à l’entrée de la ville, mais n’ont pas réussi à prendre le dessus. Alors en partant, ils n’ont rien épargné. Pas même les 67 moutons attachés à l’arbre dans la cour voisine de celle de Zara, qu’elle a retrouvés morts. Brûlés eux aussi. Au total, les habitants de Ngouboua ont recensé plus de 400 têtes de bétail et 200 motos incendiés. Le chef de canton, un soldat et plusieurs civils ont perdu la vie. Mais le chaos était tel que certains corps n’ont pas été retrouvés tout de suite.
«Le business doit reprendre»
Depuis l’attaque, la première de Boko Haram en territoire tchadien, l’armée a déployé des renforts autour de la ville, désormais entourée de plusieurs garnisons. «La sécurité est revenue, mais les gens ont toujours peur», reconnait un gendarme, fusil d’assaut à l’épaule, grenade accrochée au ceinturon.
La presqu’île de Ngouboua reste vulnérable par sa position géographique, à seulement 18 kilomètres de la frontière nigériane, mais très difficile d’accès par la route en cas de problème. Et si les attaques sur les îles tchadiennes restent rares, vendredi, une embuscade tendue par Boko Haram dans un village proche de Ngouboua a fait sept morts. Ainsi, beaucoup d’habitants ayant fui à l’intérieur des terres ne sont toujours pas revenus. Certains viennent en journée vendre leurs maigres récoltes de sorgho, mais préfèrent passer la nuit en brousse. Assis sur une natte dans son minuscule magasin de pagnes, le chef des commerçants se désole. «48 boutiques remplies de marchandises ont été détruites. Les gens ont tout perdu, et ils n’ont pas les moyens pour reconstruire leurs maisons», explique Al Hadji Mbodou Mai. Autour de lui, le marché resté désert durant de longues semaines reprend peu à peu des couleurs.
Oignons, épices, quelques tomates et gombos viennent à nouveau remplir les étals en bois installées en plein soleil, à 45 degrés. Mais les habitants ruinés doivent en outre faire face à la flambée des prix. Depuis que la navigation vers le Nigeria est stoppée à cause de l’insécurité sur le lac, les marchandises transitent par la route, depuis le Niger, les camions contournant le lac par le nord. «Nourriture, vêtements, savons: tout vient du Nigeria, même la monnaie. Ici on ne connait à peine le franc CFA (monnaie officielle au Tchad)», soupire le commerçant en montrant une liasse de nairas: «Le business doit reprendre. Il faut éradiquer Boko Haram».