L’écrivain algérien Amara Lakhous poursuit son exploration des préjugés racistes en Europe dans son dernier roman « Querelle autour d’un petit cochon italianissime à San Salvario » avec les tribulations d’un journaliste italien victime de son propre faux « scoop » sur un prétendu règlement de comptes entre clans mafieux rivaux.
Dans ce livre de 200 pages, écrit initialement en Italien et traduit en Français pour les éditions algérienne et française (Barzakh, Actes Sud), Amara Lakhous a choisi de situer son histoire à Turin, ville du nord de l’Italie à l’histoire jalonnée d’importants mouvements migratoires du Sud du pays, d’Europe de l’Est et d’Afrique. Au quartier cosmopolite de San Salvario, le journaliste Enzo justifie son absence vis-à-vis de son rédacteur en chef en prétendant être sur une piste sérieuse pour élucider les circonstances d’un double meurtre impliquant les milieux mafieux Roumain et Albanais. Ce mensonge, transformé en « Une » du journal par le rédacteur en chef, sera le point de départ d’un « cirque médiatique » dans lequel se retrouve embarqué Enzo, obligé de recruter un comédien pour tenir le rôle des différents informateurs du journaliste. Ces caricatures de « Gorge profonde »- surnom de la source anonyme à l’origine du Wategate, un scandale politique aux États-Unis qui a valu son poste à l’ancien président américain Richard Nixon (1974)-, alimenteront par leurs témoignages les différents rebondissements de l’affaire. Ce feuilleton médiatique est surtout l’occasion pour l’écrivain d’explorer à souhait les préjugés xénophobes contre les communautés d’Europe de l’Est à la veille de l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne. Le journaliste, principal narrateur du roman, est également confronté à un conflit communautaire entre ses voisins musulmans et chrétiens, survenu à cause de « Gino », un cochon qui a pénétré dans une mosquée provoquant la colère des fidèles envers son propriétaire et la solidarité des défenseurs de la cause animale. L’intrusion du cochon dans la mosquée suscitera, par ailleurs, l’ire de certains habitants de San Salvario, et alimentera davantage la haine envers la communauté musulmane du quartier, « incapable de s’intégrer » à la societé italienne. Alternant entre les deux « affaires », les onze chapitres du roman, racontés en majorité à la première personne par le journaliste, sont également truffés de références à la sombre histoire de la mafia italienne, à travers l’évocation de criminels de ses clans les plus connus, comparés aux fausses sources du journaliste. Amara Lakhous éclaire aussi sur la sociologie particulière de la ville de Turin dont la célèbre usine automobile avait attiré des travailleurs de tous horizons, avant de devenir- tel que décrit par l’auteur- un repère pour le trafic de drogue et la prostitution suite à l’essoufflement de sa principale industrie. Quant aux préjugés racistes, sujet principal du roman, ils sont abordés par l’écrivain comme une « maladie incurable » ancrée dans la société italienne depuis des générations. Ce constat est illustré notamment par les souvenirs d’enfance du héros du roman, victime, lui aussi, du racisme de ses camarades du nord à cause de ses origines méridionales. Avec ses multiples rebondissements, ses personnages hauts en couleurs, sa narration simple et son humour efficace, « Querelle autour d’un petit cochon italianissime à San Salvario », offre au lecteur une occasion des plus divertissantes de méditer sur une Europe en proie à la peur de l’autre. Ce troisième roman d’Amara Lakhous, confirme également le talent de conteur de l’écrivain qui privilégie la force du récit aux fioritures formelles et stylistiques, tout en explorant d’une nouvelle manière un sujet déjà abordé dans ses précédentes œuvres.