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Tunisie : la démocratie à l’épreuve de la guerre antiterroriste

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État d’urgence prolongé de deux mois, appel de certains médias publics à museler les ONG : la Tunisie opte pour un tout sécuritaire qui inquiète. Un simple communiqué à en-tête de la présidence de la République, deux lignes, a prolongé de deux mois l’état d’urgence en vigueur depuis le 3 juillet. Une décision prise par le président Beji Caïd Essebsi (BCE) en accord avec le chef du gouvernement Habib Essid. Depuis l’attentat du Bardo (22 morts, 45 blessés), le 18 mars, puis celui de Sousse le 26 juin (38 morts), les dirigeants du pays multiplient les déclarations sur le fait que la Tunisie est « en guerre contre le terrorisme ». La loi ad hoc, élaborée en premier lieu par le gouvernement islamiste en 2013, a été votée le 25 juillet 2015, date symbolique de l’anniversaire de la République. C’est 174 députés sur 217 qui l’ont approuvée. Dix se sont abstenus, le reste ayant préféré déserter le palais du Bardo qui abrite l’Assemblée des représentants du peuple. Un choix tactique qui peut se comprendre. La dizaine d’abstentionnistes font figure, pour certains médias, de dangereux desperados. Leurs photos ont été abondamment diffusées sur de nombreux sites d’information.

« Les plumes propagandistes sont de retour »
Le journal financé par l’État, La Presse de Tunisie, s’est interrogé noir sur blanc sur la complicité présumée desdits députés avec le terrorisme. Un des dix abstentionnistes est désormais sous protection policière 24 heures sur 24. Les ONG ayant remis en question certains articles du texte ont été accusées, par les mêmes médias, de collusion avec les groupes terroristes. Le journaliste Soufiane Ben Farhat a fustigé dans un article titré « N’en déplaise aux veules… » que « seulement 174 parlementaires y ont participé ». Et d’insinuer que les abstentionnistes et absents « se recoupent en partie avec les plus farouches opposants à la loi antiterroriste. Voire avec les souteneurs des terroristes et leurs bailleurs de fonds idéologiques et politiques ». L’heure n’est pas à la nuance dans les colonnes du quotidien payé par les contribuables. Ons Hattab, députée du groupe Nidaa Tounes, le parti du président Essebsi, a demandé que la justice se saisisse du cas de ces députés pour complicité avec le terrorisme. Et d’expliquer qu’elle a « bien exigé que les députés du terrorisme soient privés de leur immunité parlementaire pour que la justice puisse leur infliger les sanctions pénales qu’ils méritent. Pour moi, il n’est plus question que des députés qui incitent à la haine et soutiennent les terroristes puissent continuer à siéger au sein du Parlement et à tenir un discours double qui ne peut plus tromper personne ». Elle n’a pas été démentie par le secrétaire général de Nidaa, Mohsen Marzouk. « Les mécanismes de la démocratie ne sont pas acquis par certains élus », analyse Amna Guellaly, directrice du bureau tunisien d’Human Rights Watch. Elle constate « une atmosphère de lynchage permanent, un unanimisme autoritaire qui refait surface, toute voix dissonante étant un traître à la nation ». Par ailleurs, « les plumes propagandistes qui donnaient la ligne officielle sous Ben Ali sont de retour… » Le SNJT (Syndicat national des journalistes tunisiens) et RSF ont lancé une campagne d’affichage disant que « la liberté de la presse ne tient qu’à un fil ».

« La loi 2015 est à 80 % celle de 2003 », engagée par Ben Ali
Le texte, accouché aux forceps, a pour objectif symbolique de remiser au vestiaire la loi de 2003. La dictature Ben Ali avait alors habillé sa campagne de répression par ce texte. Qui fut réactivé en mai 2013. Pour Ons Ben Abdelkarim, la toute nouvelle présidente de l’association AlBawsala qui lutte pour la transparence, « la loi de 2015 est à 80 % celle de 2003 ». Sentiment partagé par Amna Guellaly pour qui « la loi étend la durée de la garde à vue à quinze jours, contre six en 2003, ce qui est un feu vert pour exercer la torture a plus large échelle ». Autre point d’inquiétudes : la définition du terrorisme. « Si quelqu’un jette une pierre contre un édifice public, cela relève du terrorisme », poursuit cette dernière. Elle insiste sur « la mise à mal de la justice en tant que contre-pouvoir ». La loi 2015 prévoit la création d’un pôle judiciaire antiterroriste. Mais « aucun budget n’a été prévu pour cette instance judiciaire ». Le recours à la peine de mort est martelé à maintes reprises dans le texte voté par l’ARP. Plusieurs avocats ont signalé des actes de torture à l’encontre de présumés terroristes, libérés depuis. Le ministère de l’Intérieur a procédé à plus de 96 000 arrestations depuis le 1er janvier 2015. Certaines journées, ce sont plus de 500 personnes qui sont arrêtées. HRW déplore « la litanie des communiqués qui annoncent des arrestations » et « l’absence totale de communication sur les enquêtes en cours ». L’ONG déplore également l’apathie ambiante devant les entorses faites au « minimum requis dans une démocratie ». Le ramadan, puis la saison des mariages, participe à ce phénomène. Pendant ce temps, soumis à un rythme extrême, les forces de l’ordre confient leur fatigue.

La garde nationale proteste contre le rythme de travail
L’annonce du port d’un brassard rouge par des unités de la garde nationale, en signe de protestation contre les douze heures de travail par jour, a été suivie dans les 24 heures d’un accord verbal avec le ministre de l’Intérieur. Soumis à un rythme intensif, les forces de l’ordre confient régulièrement hors micros leur fatigue. Le 12/12, douze heures de travail, douze heures de repos, fatigue les organismes et les esprits les plus vigilants. Plusieurs incidents en attestent. À Nabeul, un militaire s’est tué avec son arme. Il s’est endormi dessus sans avoir mis le cran de sécurité. Vacances et jours de repos ont été suspendus depuis l’attentat de Sousse. Confrontée au voisin libyen et à la résurgence du terrorisme en Algérie, la Tunisie est « dos au mur », selon l’expression employée par BCE. La guerre contre le terrorisme intervient dans un contexte néo-démocratique mouvant. L’alliance entre Nidaa Tounes et les islamistes d’Ennadha, pourtant premières victimes de la loi antiterroriste de Ben Ali, fonctionne à plein régime au Parlement. Assurant, quoiqu’il arrive, la majorité absolue au pouvoir en place. Les élections municipales sont reportées dans la plus grande discrétion. Prévues en 2015, voici que l’on évoque 2017. Le président de l’ISIE, l’instance indépendante en charge des scrutins, a demandé une feuille de route et un calendrier précis. Une demande pour l’heure sans réponse. Pour Ons Ben Abdelkarim, « le système est d’abord un état d’esprit, le pays est face à une administration qui n’a jamais eu le courage de changer, une administration qui a travaillé avec le RCD ». Et « Habid Essid, le Premier ministre, a toujours fait partie de cette administration ». Le but d’AlBawsala ? « Que l’on ne retombe pas dans l’État de droit aléatoire, que nous ayons des médias libres et indépendants, que la société civile soit forte. » Rendez-vous à la rentrée.
In Le Point.fr

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