Et si nous examinions la Loi de finance 2019 autrement ? Il est clair que dans un souci de ne pas effrayer les électeurs à la veille d’une échéance présidentielle aux enjeux multiples, la loi de Finances 2019 se présente comme la troisième Loi qui maintient le statu quo et qui ne contient pas, par contre, de mesures libérales agressives comme celle de 2016 qui prévoyait la possibilité de privatisation, dans les cinq ans, des entreprises publiques hormis celle relevant du domaine stratégique de l’État.
Donc notre analyse ainsi développée ne repose en rien sur ce qui a été présenté comme arguments que les médias libéraux ont relayé des années durant, et aux arguments que livrent les leaders des partis de l’opposition. Nous savons que les critiques des adeptes de la droite libérale commencent d’abord par un catastrophisme. En effet ; depuis le temps qu’ils nous annoncent la ruine du Trésor algérien pour l’année suivante et il suffirait, à ce juste titre, de relire les journaux algériens pour avoir une idée sur combien ces derniers ont-ils puisé de l’approche du nihilisme et du désespoir pour commercialiser une certaine idée très en vogue dans un monde agité par des turbulences annonciatrices de changements majeurs.
Ce catastrophisme s’explique par la volonté d’effrayer les masses populaires et les travailleurs, d’ailleurs le premier résultat a été que les travailleurs, voire les salariés, ont hésité à revendiquer une augmentation de salaire alors que l’inflation finissait par anéantir le pouvoir d’achat de la classe moyenne. En réalité, le but de ce catastrophisme était de préparer l’ensemble des travailleurs à subir des coupes dans leur pouvoir d’achat : préparation psychologique à la suppression des subventions aux produits de base par le démantèlement du système de protection social qui pourtant constitue pour la masse des travailleurs un complément de salaire indirect. La condition qu’émettent le FMI et les experts libéraux autorisés à s’exprimer, à titre d’exemple, concerne de manière récurrente et cyclique la question de l’application des réformes qui sont imposées au pays pour être du goût des institutions mondialistes. En vérité, la notion de réforme n’est qu’un euphémisme pour désigner les attaques brutales contre les acquis sociaux des masses populaires. Mais en quoi consistent au final ces réformes ? Le dernier envoyé du Fmi (Fonds monétaire international) l’a clairement expliqué; il s’agit de suppression des subventions et d’amélioration du climat des affaires, usant comme argument le motif que les subventions profitent d’avantage aux riches qu’aux pauvres. Et là, la question qui se pose : pourquoi donc ces riches demandent-ils donc la suppression de ces subventions ? En réalité il s’agit, en supprimant toutes subventions, de dégager des revenus, voire des moyens financiers que les masses populaires offriront aux investisseurs, c’est-à-dire à la bourgeoisie afin de les encourager parce que les milliards qu’ils engrangent ne leur suffisent plus. L’autre argument qui revient sans cesse renvoie à la critique, sans cesse décriée, de l’utilisation de la planche à billets, cette soi disant incroyable décision du gouvernement d’avoir osé créer de la monnaie comme tous les gouvernements du monde jusqu’à il y a quelques décennies. Parce que le new deal qui permettait aux États-Unis de dépasser la crise de 1929, c’est bien la planche à billets, le plan Marshall c’est la planche à billets !
Lorsqu’en Europe il y a eu ce grand développement qu’on appelait les trente glorieuses, c’était aussi la planche à billets, c’était ces fameuses recettes keynésiennes qui disaient que l’État pouvait créer de la monnaie et que le développement économique qui s’en suivrait allait permettre à l’État de se rembourser. Autrement comment cela pouvait-il en être autrement ? De fait, les États qui appliquaient le fameux plan Marshall n’avaient pas de stocks d’argent frais, mais ils ont offert aux États européens des crédits pour encourager l’achat de leurs marchandises, et cet argent était imprimé sans qu’il n’y ait d’équivalent. Ce qui s’était passé en réalité, c’est que depuis le consensus de Washington, depuis que l’impérialisme occidental n’avait plus de rival, et depuis que la classe ouvrière ne parvenait plus à s’imposer, il a été décidé alors que les États, que les élus des populations ne devaient pas avoir de moyens d’intervenir dans l’économie. Et pour ce faire, les banques centrales devaient êtres autonomes et les États ne pouvaient pas créer de monnaie ; pis, les États devaient, depuis, emprunter auprès des banques privées.
Mais encore, sait-on que les banques privées elles-mêmes créent de la monnaie ? En réalité, une banque comme la Société générale ou El Baraka ou l’Algérienne Gulf banque lorsqu’ils accordent un crédit pour un logement, celles-ci créent de la monnaie en vérité parce qu’elles ne disposent pas de cet argent dans leur coffre-fort, il s’agit tout bonnement d’une création monétaire ex-nihilo c’est-à-dire à partir des crédits offerts.
Fraude et injustice : ces maux institués qu’il faudrait combattre
Ce qui intrigue, c’est moins la position de ceux qui critiquent le gouvernement lorsque celui-ci crée de la monnaie, que la position de ceux qui préconisent de contracter des crédits auprès des banques et d’autres institutions financières internationales, c’est-à-dire de s’endetter et de retourner à la dépendance politique et économique dont l’Algérie s’est péniblement sortie durant les années 90. Par contre, ce qui peut être contesté c’est la façon dont le gouvernement dépense cet argent créé. Il y a lieu de constater que les critiques des travailleurs et d’autres salariés ne sont pas les mêmes que ceux de la droite libérale, des médias, des experts libéraux, du Fmi et des lobbys des multinationales. Ce que reprochent les travailleurs à cette loi de Finances 2019 c’est le fait qu’elle ait été transcrite dans sa répartition des dépenses et qu’elle transcrit dans le calcul des recettes un système fait d’inégalité sociale, d’exploitation et d’injustice. Mais pas que, il se trouve aussi que les priorités du gouvernement ne sont pas toujours celles de la population algérienne à majorité de salarié qui ont une autre façon de voir les investissements nécessaires, les plans de développement durable du gouvernement qui œuvrent à l’accumulation des richesses dans les mains d’une minorité. En analysant les bilans on s’aperçoit que l’IRG des salariés qui est prélevé à la source des mensualités des salariés et des retraités est nettement supérieur à l’impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS), soit 26% contre près de 16%. À titre d’exemple, une société de montage de véhicules qui active en Algérie, qui vend par an quelques 100 milles voitures, par exemple est présentée comme étant déficitaire et donc exempte des impôts ; alors que les retraités et les salariés de cette société sont contraints de payer leurs impôts et sont donc poussés à survivre grâce à la solidarité entre familles. Non seulement ce système est injuste et ne fait payer que les pauvres, mais en plus, les riches bénéficient d’exonérations au nom de l’encouragement de l’investissement, et au final ceux-ci croulent sous l’argent qu’ils thésaurisent et qu’ils échangent dans le «Square Port Saïd» afin de le mettre à l’abri de tout contrôle. À cela s’ajoute la fraude fiscale et douanière qui permet à ces privilégiés qui prennent des bénéfices supplémentaires et qu’on entend régulièrement se réunir et discuter de la nécessité d’une amnistie fiscale, et tout cela sous une aveuglante bannière appelée Réformes et assainissement du climat des affaires. Mais il y a pire aussi, c’est que la fraude sociale est budgétisée dans la mesure où il est à chaque fois prévu que la CNR et la CNAS manqueront d’argent alors que le déficit de ces caisses est dû au fait que 55% des travailleurs du secteur privé ne sont pas déclarés, ceci sans parler des travailleurs sous déclarés et la hausse du nombre des retraités. Donc au lieu de combattre la fraude on budgétise le soutien aux caisses déficitaires.
Zacharie S. Loutari