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Bouira : être sage-femme à l’hôpital Mohamed-Boudiaf

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Les sages-femmes se confient sur leur métier et leurs conditions de travail. Toutes ont une haute opinion du métier qu’elles exercent, les unes le qualifiant de noble, les autres de formidable. Mais toutes s’accordent à dire combien il est fatigant à cause de la pression constante qu’il maintient tout au long de la semaine. Pour nous donner une idée de ce que peut être cette pression, le chef de service au niveau de la maternité de l’hôpital Mohamed-Boudiaf, et membre de l’Union nationale des sages-femmes algériennes, nous livre quelques statistiques. La moyenne de femmes qui viennent pour accoucher dans cet établissement est de 415 par mois, dont 111 césariennes, pour 25 sages-femmes travaillant par équipe de cinq. À titre illustratif, elle fait savoir qu’en janvier dernier 600 femmes avaient accouché contre 415 en février dernier. Alors qu’en Europe, une sage-femme peut accueillir en moyenne 900 femmes par an, en Algérie, cette moyenne peut se situer autour de 10 000. On peut mesurer, ainsi, la pénibilité d’un tel métier par l’ampleur de la tâche qui s’avère écrasante et par les conditions de travail qui sapent les efforts, et font douter des objectifs fixés dans le court terme: «sauver la vie de la mère et du bébé». Mais en dépit de l’absence de moyens et de l’importance du flux de parturientes dans nos maternités, ces femmes, dont l’art est d’aider à accoucher, acceptent de relever quotidiennement le défi.
Bien que le nouveau directeur soit loué pour la qualité de ses relations professionnelles avec l’ensemble du personnel de l’hôpital, et bien que les sages-femmes sachent qu’en cas de pépin elles peuvent compter sur la compétence indiscutable des cinq gynécologues. Il reste que la pression est palpable durant les quarante heures de travail effectuées par chacune d’elles dans la semaine. Dès l’entrée de la maternité, où nous nous sommes rendus, ce mardi, et où les parents des patientes attendent dans une espèce de grand hall, le climat qui règne est plein d’inquiétude et confine parfois à l’angoisse. Et cette angoisse traverse les parois sous forme de cris anxieux et parviennent jusque dans la salle d’accouchement, apportant un surcroît de stress aux sages-femmes. Notre intention est de leur permettre de s’exprimer à dire leur joie et leur peine en acceptant de faire ce métier qu’elles ont choisi par passion pour la plupart.

Hadda : «Nous crions pour chasser le stress»
C’est la doyenne, comme elle se plaît à se nommer elle-même. Elle comptabilise 27 ans d’ancienneté et se souvient du temps où la sage-femme est recrutée, directement, avec le bac et fait des études durant trois ans. Ayant travaillé à l’ancien hôpital rattaché aujourd’hui à la polyclinique du Château, elle a été placée à la tête de la maternité ouverte en 1994 au sein de l’hôpital Mohamed- Boudiaf. «Notre image gagnerait à être valorisée. Nous n’avons rien des accoucheuses rurales. Les accouchements sont réussis presque toujours. On déplore très peu de décès, malgré les conditions de travail. Imaginez un peu la réalité : nous disposons de dix lits pour les quinze ou vingt femmes qui se présentent à la maternité. On est obligé de leur dresser des lits de fortune. Et pour passer de l’une à l’autre, nous sommes obligées de slalomer entre elles ou de les enjamber. Le second point sur lequel je voudrais insister est qu’on dote la maternité de lits jetables comme cela se fait dans les grands hôpitaux. C’est plus hygiénique et cela permet de gagner du temps et de l’espace. Il y a le fait que le statut de la sage-femme n’est pas très clair, et s’il donne un avantage certain pour la promotion des jeunes, il fait l’impasse sur les plus anciennes d’entre nous. D’ailleurs, nous restons coincées entre les paramédicaux et les médecins sans que nous sachions de façon sûre à laquelle des deux catégories nous devons nous ranger. Enfin, on nous reproche nos cris pendant l’accouchement. Ils nous permettent de chasser le stress et de faire oublier à la patiente la douleur qui la tenaille. «Je souhaite à toutes les femmes bonne fête et toutes les sages-femmes bon courage, car elles en ont besoin pour ce qu’elles font tous les jours».

Hassina : «Avant, on faisait 48 heures par semaine»
Elle, sa façon de tourner le dos au stress généré par un travail aliénant, c’est de faire face à toutes les situations en conservant le sourire. Et ce sourire qui vient du cœur est aussi efficace que le cri de Hadda, qui est avant tout thérapeutique. Cette sage-femme qui a 18 ans d’expérience prétend pourtant avoir été orientée vers ce métier par le destin. Forte en maths, elle avait rêvé d’une carrière plus revalorisante. Mais son bac obtenu, elle avait fait une formation de trois ans puis orientée vers un service qu’elle a fini par aimer. Aujourd’hui, elle est très sollicitée à la maison où elle prodigue des conseils et des encouragements.« Nous sommes constamment sollicitées, par l’état de la femme autant que par le bébé. Il nous faut constamment être sur nos gardes. Nous ne savons pas quelle tournure va prendre la situation. Heureusement les gynécos sont là. En cas de complications, nous faisons appel à elles. Cela diminue la pression. Mais souvent, très souvent, les choses se passent bien. La femme accouche sans problème.

Le bébé se porte bien, c’est la joie
Avant, les choses étaient plus compliquées. Nous travaillions sans l’aide des spécialistes. Nous étions livrées à nous-mêmes. De plus, nous faisions 48 heures par semaine. C’était huit heures de plus qu’aujourd’hui. Et puis, les générations d’avant étaient plus fortes. Les efforts physiques et mentaux leur épargnaient le stress et leur permettaient d’accoucher dans les meilleures conditions. La génération nouvelle est plus disposée à la paresse. Cela favorise le stress et l’anémie chez les femmes enceintes. Et cet état passe aux bébés qu’elles portent. » Ce qu’elle dit aux femmes dans un sourire «Portez-vous bien et prenez soins de vos bébés.

Lynda : «Un rôle multiple»
« J’ai quitté la salle de natalité pour le service génécologie, dont j’ai la charge. Cela me permet d’être près de mes deux enfants, le soir. Mais la pression reste la même. Nous la subissons de la part des femmes qui viennent au service comme ceux qui les accompagnent. Les unes comme les autres ont besoin d’être rassurées. Il faut donc en toute circonstance garder son calme et trouver la réponse adéquate. Naturellement, ce n’est pas toujours facile. Notre rôle est multiple. Il fait de nous des accompagnatrices de la femme enceinte, depuis le début de la grossesse jusqu’à la délivrance. Non, ce n’est pas facile. Il arrive même de paniquer. Une femme qui pour une raison ou une autre fait un pic de tension de 18/12, par exemple, vous laisse peu de marge de manœuvre. C’est une course contre la montre, où l’enjeu est deux vies. Il faut appeler d’urgence un réanimateur et la gynécologue. Le cas n’est pasfréquent, et généralement cela se passe bien. Mais l’alerte est chaude. »
Un toxémie ou un simple stress peut être à l’origine de cet état pathologique. Et d’ajouter cette anecdote pour illustrer les liens d’amitié et de fraternité qui se créent parfois dans la maternité :«Un jour une femme vient pour accoucher. C’est le ramadhan, et c’est l’heure de la rupture du jeûne. Le mari tarde à ramener le repas. Alors, je l’invite à partager le mien. Elle accepte de bon cœur. Le temps passe. Un jour j’emmène un de mes enfants chez un professeur qui donne des cours chez lui. C’est cette femme. Non seulement elle se fait une joie d’accepter de prendre l’enfant à ses cours, mais elle refuse que je la paie. Nous sommes devenues de vraies amies. Je souhaite beaucoup de santé et de joie à toutes les femmes. » Ahlam n’a pas le temps de répondre à nos questions, et nous, nous n’en avons pas davantage de temps pour attendre qu’elle libère la femme sur la table. Elle dit un mot avant de nous quitter avec son port de tête royale : Ma joie…

Fahima : «Beaucoup de femmes accouchent et peu de moyens»
Si Lynda a onze ans d’ancienneté et Ahlam deux ans, Fahima en a huit. Elle partage absolument l’avis de beaucoup de camarades qui trouvent que la démographie est galopante, elle déplore un déficit de moyens notoire. Par exemple : «Les tables d’accouchement se déteriorent. Elles n’offrent plus les commodités qu’au moment de leur mise en service. Résultat : cela se traduit pour nous par un surcroit de peine dans l’exécution de notre tâche quotidienne. Or plus de commodités, plus de moyens, dans la plupart des cas, moins de risques et moins de césariennes. D’autre part, le sentiment que nous ne sommes pas seules, qu’à tout moment une gynécologue se tient prête à intervenir, nous rassure et nous donne plus de confiance en nous-mêmes. Ce que je dis aux femmes «Bonne continuation dans leur combat de tous les jours».

Kahina : «Ce n’est pas une science exacte»
Elle est de la même promo que Ahlam. Son atout, à elle, face au stress qui naît d’une tension constante, sa foi en ses capacités et en elle-même ! En effet, une telle impression de force se dégage en elle qu’on la croirait inusable. Les bras encore tout mouillés, car elle vient faire accoucher une jeune femme, elle se prête gracieusement pour cet entretien. Nous lui demandons le nom du bébé. Ah, où avait-elle la tête quand la jeune maman le lui a dit ? Qu’à cela ne tienne. D’un bond, elle s’enquiert du prénom et revient nous l’apprendre. Il s’appelle Lyès. Elle aussi sourit. Elle aborde la question du statut dont on attend beaucoup, car, pour l’heure, c’est la bouteille d’encre. Son enthousiasme lui fait parler de son métier avec amour, avec passion, même. «C’est un métier noble. Je le trouve formidable. En cas d’accouchement normal, nous sommes là. Nous travaillons en équipes et j’ai quatre autres sages-femmes avec moi. Nous pratiquons le roulement. Mais en cas de complication, ce sont les gynécologues qui s’en occupent. Ce genre d’incident, on en voit des fois. Tout semble bien se passer. Et puis, soudain, les choses se compliquent. Un accouchement, ce n’est pas de la science exacte. Au dernier moment, tout peut basculer, et c’est Le branle-bas du combat. Heureusement ainsi que je viens de vous le dire, les gynécos veillent au grain. Et tout rentre dans l’ordre. Avant, les sages-femmes travaillaient la peur au ventre. Nous, on n’a plus peur. Bien entendu, il y a des décès. Mais c’est que le bébé a de graves problèmes de santé. Nous faisons alors un BCF. c’est un examen pour contrôler l’activité du cœur fœtal. Si ces battements semblent inaudibles, a priori, on fait appel à la gynéco pour un examen échographique. Si le cœur est à l’arrêt, une césarienne s’impose.» Et dans un sourire qui irradie son visage rond et juvénile de bonhomie : «Mon vœu aux femmes à l’occasion du 8-Mars, beaucoup de joie et de bonheur.» Dans une des nombreuses allées propres et rectilignes qui sillonnent la cour, le directeur qui revient de la DSP, où il avait affaire le matin, commente dans un sourire les efforts de ce service névralgique de son établissement : «7000 bébés par an, cela vous peuple un grand village ou une petite ville.»
Ali D.

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