L’ombre de l’ex-ministre de l’énergie et des Mines, Chakib Khelil n’a pas cessé de planer sur le déroulement du procès dans l’affaire dite Sonatrach 1. A aucun moment de la procédure judiciaire, l’ex-ministre de l’énergie et des Mines n’est cité ni comme témoin ni comme inculpé. Et pourtant, son nom est revenu à plusieurs reprises au cours des auditions des accusés dans ladite affaire qui a éclaboussé la compagnie pétrolière publique. Hier encore, le tribunal criminel d’Alger a continué, dans la matinée, les audiences des accusés dans le deuxième groupe lié à l’affaire Saipem Algérie. Il appelle Benamar Zenasni, vice-président de l’activité transport par canalisation (TRC), poursuivi pour «participation à association de malfaiteurs», «complicité dans passation de marché public en violation de la réglementation», «dilapidation de deniers publics», «abus de fonction» et «blanchiment d’argent». Des faits délictuels pour lesquels Zenasni est en détention depuis six ans. Il s’est étalé davantage sur la signature du contrat avec Saipem pour la réalisation du GK3. L’ex-vice-président de l’activité transport par canalisation, Benamar Zenasni est resté sur ses dires en assurant que c’est Chakib Khelil qui lui a donné l’ordre de ne pas annuler le contrat avec Saipem, en dépit des prix qui étaient plus chers de 60 % que le prix du marché. S’adressant au procureur de la République, l’accusé a indiqué qu’il est vrai que le prix l’a étonné, mais « contredire » les instructions du premier responsable du secteur de l’énergie qui avait « un œil » sur tout ses projets et les avis d’appel d’offre que Sonatrach lançait. Néanmoins, le prévenu qui avait de plus en plus l’air perturbé a indiqué qu’il avait remarqué une hausse des prix, et de ce fait, il a attiré l’attention du maître de l’ouvrage, directeur de la division réalisation Yahia Messaoud. «J’ai pris la décision de geler le processus », signale-t-il. En attendant, je voulais une étude. Après il est venu me dire que la hausse est de 60% alors que les pipes sont fournis par Sonatrach. Lui ne fait que la réalisation. J’ai dit à Messaoud que son analyse a été faite sur un pipe LZE de Hassi Messaoud, dont les caractéristiques ne sont pas les mêmes. La différence entre les deux marchés est le fait que le LZ02 relie le Sud à Arzew. Il traverse trois zones : Sud, Hauts-Plateaux et Nord. La réglementation de réalisation définit les caractéristiques des pipes dans chacune des régions.»Aussi, répondant aux questions de la défense relatives à la réputation de Saipem dans le marché mondial, le prévenu a assuré que celle-ci jouit d’une notoriété internationale. Il dira, de plus, que Saipem avait d’ores et déjà, réalisé des projets de grande envergure en Algérie. « Au niveau de Sonatrach, Saipem avait réalisé des projets d’une valeur de plus de 10 milliards de dollars », affirme-t-il au juge. Au sujet du cahier de charges, le prévenu dira que l’offre technique de Saipem correspondait au cahier de charge lancé par Sonatrach. Cependant, sur ce point, le prévenu s’est contredit, en assurant que 6 entreprises ont soumissionné pour le projet, pour se rétracter et affirmer qu’ils étaient 18.
«Au début on avait reçu 18 offres, mais avec la pré-qualification, on est arrivé à 6. Puis 4 se sont retirées pour arriver à 2 », dira-t-il. S’agissant des raisons qui ont poussé ces 4 entreprises à retirer, or, elles avaient passé le test de pré-qualification, ce qui témoigne de leur capacité de réaliser le projet, l’accusé n’a pas trouvé de réponse ou d’explication à fournir au juge. Sur ce, le juge dira que le niveau de Benamar Zenasni ne lui permet pas de manipuler la justice.
Pour ce qui est de sa rencontre avec l’ex-ministre de l’Energie, Chakib Khelil, en février 2009, le prévenu a encore rappelé que celui-ci l’a ordonné de poursuivre le processus et de ne pas annuler le contrat avec Saipem. Cependant, il a indiqué que le P-DG, Mohamed Meziane a tout fait pour faire baisser les prix du contrat GK3. Le marché pour lequel Saipem avait postulé constituait le troisième lot. Benamar Zenasni expliquera au juge qu’il a considéré le prix de l’entreprise italienne trop élevé et elle avait refusé de concéder la moindre réduction.
Le vice-président a décidé alors d’en référer à son P-DG qui lui demande de négocier. Saipem consent un rabais de 1% ce qui était grotesque. Benamar décide alors de geler le processus. Il est interpellé par le ministre qui le reçoit dans son bureau et lui intime l’ordre de renégocier. « Il m’a interdit d’annuler le projet et m’a demandé de négocier pour avoir une réduction de 28%. Ce qu’il a obtenu, en sachant pertinemment que c’était la seule multinationale qui avait les moyens de réaliser le projet. Et c’est ainsi que l’appel d’offres s’est transformé en consultation restreinte. Le prévenu l’explique par l’urgence décrétée, car la Sonelgaz était en train de construire une centrale électrique du côté de Koudiat Draouch et elle avait besoin que les pipes soient implantés. « Vous confondez entre l’urgence et la nécessité », lui fait remarquer le juge tout en insistant sur le fait qu’il avait enfreint non seulement le code des marchés publics mais aussi le mode d’emploi du gré à gré. Toutefois, l’accusé s’est mis dans le costume de sauveur de l’économie algérienne, en tentant de convaincre le juge, que le projet a apporté des bénéfices d’un milliard 700 millions de dinars. « Certes nous avons eu des difficultés, mais nous avons réussi à sauver les intérêts de l’Algérie », indiquera-t-il.
Réhabilitation du siège de Sonatrach à Ghermoul (Alger)
Dans l’après-midi, le tribunal avait commencé les auditions du troisième groupe concernant les personnes impliquées dans la conclusion du marché relatif à la réhabilitation du siège de Sonatrach à Ghermoul (Alger). Abdelwahab Abdelaziz, directeur exécutif était le premier interrogé dans le cadre de ce groupe.
Dans le cadre de cette affaire, il est retenu les délits de «corruption, blanchiment et complicité dans la dilapidation des deniers publics» à l’encontre de Nouria Meliani, la patronne du bureau d’études privé CAD, et inculpé Benamar Zenasni (vice-président chargé de l’activité commercialisation), Abdelwahab Abdelaziz, directeur exécutif, Aït El Hocine Mouloud, directeur technique des activités commerciales, Hassani Mustapha, directeur de l’activité Amont, Rahal Chawki, vice-président chargé de l’activité commercialisation, Cheikh Mustapha, Mohamed Sanhadji, ancien directeur des activités centrales, Yahia Messaoud pour le délit de «complicité dans la passation de contrat en violation avec la réglementation des marchés publics dans le but d’octroyer des avantages injustifiés». Pour Abdelwahab Abdelaziz, la décision de réhabilitation du siège de Ghermoul est venue d’en haut. En réponse à une question du juge, pourquoi avoir choisi le gré à gré dans le projet, Abdelwahab Abdelaziz dira que le P-DG aveint décidé le gré à gré vu qu’il y avait urgence. « Ce dernier m’avait précisé que les décisions venaient de haut pour choisir ce mode », signale-t-il. Mais lorsque le juge lui a demandé ou réside l’urgence, Abdelwahab Abdelaziz dira que la phase d’études pouvait «nous prendre plus d’une année». Sur ce point, le juge précise que le gré à gré concerne les avis d’appels d’offres qui ne sont pas quantifiables.
Lamia Boufassa