L’annonce de la révision du Code de la famille, faite par le président de la République, dimanche dernier, à l’occasion de la Journée internationale de la femme, a remis au goût du jour le débat sur certaines dispositions contenues dans cette loi, et lesquelles jugées «discriminatoires à l’égard de la femme». Il s’agit des articles 48 et 53 qui privent l’épouse, contrairement au conjoint, de disposer de ses droits, à part entière, de demander le divorce sans présenter de «fallacieux motifs», que lui exige notamment la législation.
Il va de soi que ces dispositions remettent en cause même les garanties que lui confère la Constitution, en matière de parité des droits entre les deux sexes. Après l’adoption récente d’un projet de loi, criminalisant la violence à l’encontre des femmes, voilà que les hautes autorités du pays décident de revoir le Code régissant la famille, notamment en agissant sur le volet «divorce», en vue de doter, là encore, la femme d’un cadre juridique qui la place sur le même pied d’égalité que l’homme. Dans son message, Abdelaziz Bouteflika a reconnu que le Code de la famille en vigueur «n’est pas exempt de lacunes, et sachant que le divorce, dans toutes ses formes, et notamment le divorce à l’initiative de l’épouse (khol’ê), constitue, aujourd’hui, un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur dans notre société». Donc, le chef de l’État semble remettre en cause les limites dudit Code, en désignant notamment le divorce qui se fait par la voie de khol’ê. Un tel phénomène engendre la déstabilisation de la cellule familiale, d’où justement ce projet d’amendement, qui devrait, selon le président de la République, créer une stabilité en vue d’assurer l’immunité de la société contre les déséquilibres et les fléaux qu’elle subit, a-t-il précisé. Par ailleurs, tout comme le projet de la révision de la loi pénale condamnant la violence faite aux femmes, le débat autour de cette question risquerait de susciter de vives critiques parmi les partis islamistes, qui semblent s’apposer à tout projet susceptible d’assurer l’émancipation de la femme dans la société. En la matière, le chef de l’État a laissé entendre dans son message que le pays doit s’inscrire sur la voie de la modernité, où les lois devraient être adaptées à l’évolution de l’époque actuelle, le tout en veillant au respect de la religion musulmane, qui constitue la source de la législation, a-t-il ajouté. Ceci paraît, d’emblée, comme une réponse à même de convaincre les voix discordantes parmi l’opposition, sur le bien-fondé de cet amendement. Au lendemain de cette annonce, si les avis de l’opinion publique ne sont pas peu convergents, il n’en demeure pas moins que quelques langues ont émis des réserves.
«Abroger le divorce abusif»
Pour reprendre l’opinion de Chérifa Kheddar de l’association «Djazaïrouna» des victimes du terrorisme, il s’agit d’un «effet d’annonce», en qualifiant la révision de ce Code, qui devrait intervenir prochainement, de «petites modifications apportées pour les besoins des rapports que l’État algérien doit présenter aux différentes institutions onusiennes, vu ses engagements internationaux», a-t-elle estimé, sur le site «TSA» (Tout sur l’Algérie). Néanmoins, elle a précisé qu’elle soutiendrait le projet s’il venait à retirer les «discriminations du Code de la famille qui concerne le mariage, le divorce, l’autorité parentale et l’héritage».
En effet, la révision du Chef de l’État ne peut s’apparenter à une réforme, dès lors qu’il ne s’agit là que d’amendements qu’il conviendrait d’apporter aux déficiences constatées, en sachant, par ailleurs, que nombre d’acteurs de la société civile décrivent certaines dispositions de restreindre les libertés de la femme, plus précisément celles régissant la relation conjugale.
D’aucuns estiment impératif de procéder à l’abrogation de certains articles, d’en réviser d’autres, en plus de la demande d’acteurs politiques qui recommandent, quant à eux, d’opérer une mue profonde de la loi qui régit la cellule familiale algérienne. En effet, l’article cité (53) explique clairement et sans aucune réserve que la cessation de la relation conjugale émane de la seule volonté de l’époux ou bien du consentement des deux parties. Quant à l’épouse, elle ne peut demander le divorce sans fournir, ce qui conviendrait d’appeler, «un motif valable».
La femme est tenue de fournir au moins une «raison», parmi 10 dispositions énumérées dans le même article. Par contre, ce dernier dans sa version bis permet à la femme de se séparer volontairement de son conjoint, en s’appuyant sur la procédure dite khol’ê, même sans l’accord de son partenaire, en contrepartie d’une compensation financière qu’elle devrait lui verser. C’est ce qui est qualifié d’ailleurs par le commun des juristes et des associations de défense des droits des femmes, d’un divorce abusif. Le président de la Commission nationale consultative de protection et de promotion des droits de l’Homme (CNCPPDH), Farouk Ksentini, a rejoint ces voix, en recommandant, pour sa part, que cette révision doit impliquer l’abrogation du «divorce abusif». Me Ksentini a indiqué que l’homme, dans le présent Code de la famille, «jouit de la puissance maritale», à tel point qu’il ne laisse le choix au magistrat que de lui accorder sa demande de divorce, en dépit qu’elle soit sans motif, a-t-il encore soutenu.
À ces dispositions restrictives s’ajoute la répudiation, qui présente une autre voie de recours pour la femme qui voudrait rompre sa relation conjugale. Tout comme le khol’ê, elle est décriée du fait qu’elle est de nature à singulariser la femme dans sa relation conjugale, d’autant que ces dispositions ne sont pas susceptibles d’appel judiciaire, que lorsqu’il s’agit de traiter exclusivement de l’aspect matériel.
Pour sa part, le ministre des Affaires religieuses et des Wakfs, Mohamed Aïssa, a indiqué, avant-hier, depuis Tizi Ouzou, qu’il est «attendu de cette révision d’aboutir à un code qui soit en mesure d’être ancré dans la tradition musulmane, et qui soit moderne pour qu’il puisse prendre en charge les nouveaux problèmes de la famille et de la société algérienne».
D’ores et déjà, le Conseil national scientifique relevant de son ministère, composé de muftis, sociologues, psychologues et autres spécialistes de la religion, s’attelera à débattre du chapitre «divorce» du Code de la famille, en veillant à ce qu’il soit connoté de la religion musulmane. En même temps, cette révision devra, selon le ministre, aspirer à la modernité, seule à même de venir à bout des archaïsmes de la société en mutation.
Farid Guellil