Confronté à une contestation d’une ampleur inédite en Colombie, le président Ivan Duque a entamé dimanche avec des élus une «grande conversation nationale» qu’il promet d’élargir aux «différents secteurs sociaux», pour tenter de calmer ce mouvement.
Après quatre jours de manifestations, M. Duque, chef d’Etat de droite très impopulaire après moins de 16 mois au pouvoir, a ouvert «le Dialogue social» avec les maires et les gouverneurs élus fin octobre, qui prendront leurs fonctions en janvier.
«L’objectif le plus important que nous avons devant nous est la construction d’une Colombie juste, une Colombie qui comble les brèches sociales», leur a-t-il déclaré, estimant que ces édiles ont «un mandat clair et récent, répondant aux aspirations des citoyens». La rencontre a porté, selon la présidence, sur des thèmes d’éducation, de santé, d’infrastructures, d’environnement, de paix, ainsi que de lutte contre la corruption et le trafic de drogue, deux fléaux dans ce pays qui peine à sortir d’un conflit armé de plus d’un demi-siècle. La contestation ne cessant pas, M. Duque, contesté pour ses politiques économiques, sociales et sécuritaires, avait avancé ces pourparlers qu’il comptait d’abord ouvrir mercredi.
Participation des Colombiens
Il a nommé coordinateur national du dialogue le directeur du Département administratif de la présidence, Diego Molano. Celui-ci a expliqué que les Colombiens pourront présenter jusqu’au 15 mars des propositions, «dans des espaces de participation», autour de cinq thèmes dont certains coïncident avec les revendications des manifestants: croissance équitable de l’économie, lutte contre la corruption, renforcement de l’enseignement public, paix et environnement. Opposé à l’accord de paix signé il y a trois ans avec la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), M. Duque a tenté en vain de modifier ce pacte qu’il juge trop laxiste envers les anciens rebelles désarmés depuis. Dimanche soir, il a d’abord rencontré au palais présidentiel Casa Nariño 24 futurs maires de chefs-lieux, puis les gouverneurs des 32 départements du pays, également élus le mois dernier. Le chef de l’Etat a poursuivi cette «conversation nationale avec les maires et gouverneurs élus de tout le pays» dans un centre de congrès de la capitale. A l’issue des réunions, la maire élue de Bogota, Claudia Lopez, a conseillé au président de plutôt parler directement avec les manifestants. «Le dialogue ne consiste pas à expliquer les politiques gouvernementales (…) non, le dialogue doit servir à reconnaître, avec humilité, des erreurs, procéder à des changements, sinon ce sera un dialogue qui n’aboutit à rien de concret, à rien de plus que des frustrations», a-t-elle estimé.
Nouvel appel à manifester
M. Duque devrait rencontrer lundi la Commission nationale de concertation du travail, regroupant ministres des Finances, du Travail et du Commerce avec des représentants des patrons ainsi que des salariés. Puis il continuera «les dialogues avec les différents secteurs sociaux». Mais Diogenes Orjuela, représentant du syndicat Centrale unitaire des travailleurs (CUT), a averti dans un tweet que cette commission «ne représente pas» le Comité national de grève, à l’instigation du mouvement le 21 novembre. Et la CUT a appelé «à rester mobilisés» car le gouvernement n’a «concrètement résolu aucun des motifs» de la contestation. Après une mobilisation moindre dimanche, une nouvelle manifestation et des «cacerolazos» ? concerts de casseroles jusqu’ici peu habituels en Colombie ? sont prévus lundi. Au pouvoir depuis août 2018, M. Duque, âgé de 43 ans et sans expérience politique si ce n’est un mandat de sénateur, ne bénéficie pas d’une majorité parlementaire. Il pâtit de 69 % d’opinions défavorables et son parti, le Centre démocratique (CD), a subi de sérieux revers aux élections locales du 27 octobre. Les syndicats avaient appelé à la grève jeudi contre des intentions de flexibiliser le marché du travail, reculer l’âge de la retraite et ouvrir le fonds des pensions au secteur privé. Ils avaient été rejoints par les étudiants réclamant des moyens pour l’enseignement public, les indigènes dénonçant une recrudescence de la violence, ainsi que des organisations d’opposition, et de défense de l’environnement, entre autres. Les manifestations, en majorité pacifiques, ont été émaillées de violences et brutalement réprimées par la police anti-émeute, faisant trois morts et quelque 300 blessés.
Un couvre-feu avait été instauré dans la nuit de vendredi à samedi à Bogota, pour la première fois depuis plus de quarante ans, ainsi qu’à Cali (ouest). La Colombie, l’un des pays les plus inégalitaires d’Amérique latine, est le dernier en date de la région à connaître une agitation socio-politique, après des crises en Equateur, puis au Chili et en Bolivie.