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ABDERREZAK DOURARI, DIRECTEUR DU CENTRE NATIONAL PÉDAGOGIQUE ET LINGUISTIQUE POUR L’ENSEIGNEMENT DE TAMAZIGHT : «Manipuler l’identité donne lieu à des guerres sectaires ! »

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De la polémique suivie d’événements sur le boycott- de part et d’autre- des langues amazighe et arabe, en passant par le modèle sociolinguistique en cours et celui qui s’adapterait au mieux pour l’Algérie, Abderrezak Dourari, directeur du Centre national pédagogique et linguistique pour l’enseignement de tamazight (CNPLET) revient, hier, dans la tribune du Forum du Courrier d’Algérie, pour en donner son avis de chercheur et d’universitaire.

Ainsi, pour l’invité du Forum, standardiser une langue est synonyme d’imposer un usage aux citoyens algériens issus de plusieurs communautés linguistiques et culturelles. Par contre, encourager le plurilinguisme et respecter les spécificités linguistiques de chaque région par «une gestion plurielle» de la chose culturelle et linguistique sera à même de consolider l’Algérianité dans toutes ses dimensions. «On ne peut pas imposer à un citoyen arabophone d’apprendre Tamazight dès lors que sa langue maternelle est l’arabe algérien. On ne peut pas non plus imposer l’arabe algérien à un citoyen kabylophone, à un Chaoui ou un Targui», a répondu Dourari à la question d’avoir sa lecture, sur le plan socioculturel du moins, de la campagne de boycott de la langue arabe dans des écoles en Kabylie en réaction à la position de parents d’élèves à Jijel qui ont exprimé leur rejet à la langue amazighe et son enseignement à leurs enfants. «La question identitaire à la manipulation politique. Amine Malouf (écrivain franco-libanais) l’a dit dans son livre Les identités meurtrières». C’est-à-dire que lorsque les identités sont manipulées de l’intérieur ou de l’extérieur, cela donne lieu à des guerres sectaires et des frictions sociales. C’est ce qui se passe aujourd’hui au Moyen-Orient. «Or, les questions identitaires voudraient qu’elles soient traitées scientifiquement», avertit le conférencier en renvoyant de ses propos au rôle que devra jouer dans le futur l’Académie algérienne de la langue amazighe.

«Il faut former des enseignants en Targui, Zénète, Chelhi…»
Qu’est ce qu’une identité en fin de compte ? «Dans ce grand contexte de variation, il y a des problématiques d’identité qui se posent. Mais moi, à défaut de temps, je me contenterai de parler de l’Algérianité. Nous sommes Algériens, nous avons un seul territoire qui nous appartient et dans lequel beaucoup de cultures et de langues qui sont d’usage. D’où un ensemble de choses qui nous sont communes. Un Algérien se reconnait comme tel et c’est largement suffisant. Comme c’est le cas pour l’Américain, le Français, le Russe, l’Egyptien etc. En Algérie, à un moment donné on nous parlait d’identité arabo-musulmane. C’est une identité fantasmée qui n’est pas fixe car elle n’a pas une portée sociologique réelle. Une définition qui ne distingue pas puisque tout le monde dans les pays arabo-islamiques l’est. En Algérie, on est différents des autres et on est les mêmes entre nous. C’est cela le principe d’identité», a expliqué Dourari.

«Nous enseignons une langue artificielle»
«Aujourd’hui, nous enseignons une langue quasiment artificielle fabriquée en réaction à une politique linguistique qui niait la réalité socio-amazighe. Donc les gens ont produit quelque chose d’aussi artificiel qu’on appelle, par exemple pour la langue arabe, l’arabe classique qui est celui de l’école. C’est ce que Salem Chaker (chercheur en langue berbère, ndlr) appelle aussi pour le kabyle, le kabyle classique qui représente 80% de l’enseignement comme il est issu d’une région à l’avant-garde de la revendication amazighe.» Ce qui n’arrange ni les kabylophones, ni les arabophones, ni les Targuis, ni telle ou telle autre communauté linguistique. C’est le résultat de la politique d’unicité, si non l’adoption d’une seule langue. Ce qui va, selon lui, à l’encontre de la vision multiculturelle et linguistique de l’Algérie, alors qu’il soutient le respect des spécificités socioculturelles et linguistiques en usages à travers les quatre coins du pays. «Nous sommes en pleine crise de langue et d’identité», estime le professeur des sciences du langage et de traductologie de l’Université d’Alger-2- avant de renvoyer de ses propos à l’érudit Ibn Khaldoun, et sa détermination du territoire berbère s’étendant de la Palmeraie de Sioua en Égypte jusqu’aux iles Canaries à l’Ouest et au Niger vers le Sud. «Pourquoi dès lors créer une seule langue ?», s’est interrogé Dourari. «Certes c’est un besoin identitaire. Au Maroc on a essayé d’unifier, depuis 2003, à travers l’IRCA (Institut royal de la culture amazighe), pour mettre en place ce qu’ils appellent l’amazigh standard. En conséquence, beaucoup de linguistes ont quitté l’IRAC à cause de cette langue unifiée qu’ils qualifient de fantasme. Au Maroc, en plus, ils en ont trois variétés linguistiques alors que nous, nous en avons plus de quinze.

«L’Algérie, pour quelles didactiques pour les langues maternelles !»
Au cours de son intervention, Dourari a annoncé l’organisation prochaine d’un colloque international sur les thématiques en traits avec la langue amazighe.  «Vers une didactique des langues maternelles : quels impacts sur l’enseignement du tamazight et sa promotion ? Quel est le rôle du numérique pour favoriser sa diffusion ?», tel est le thème arrêté pour cette rencontre internationale, qui aura lieu mercredi et jeudi prochains, au niveau de l’Université «Mouloud Mammeri» de Tizi Ouzou, «Ce colloque intervient dans un contexte d’avancée considérable de Tamazight dans sa société. En sociolinguistique on distingue l’aménagement linguistique du statut sur le plan juridique et l’aménagement du corpus. En Algérie, à moment donné on ne reconnaissait pas du tout le pluralisme linguistique et encore moins Tamazight. Donc, pour faire vite, il fallait absolument éliminer ce processus», explique-t-il.
«En 1995, l’Algérie rentrait dans un processus de reconnaissance de son identité, sa pluralité et on a commencé à intégrer Tamazight dans le domaine officiel. En 2002, on a institutionnalisé cette langue et en 2016 elle est consacrée officiellement dans la Constitution dont son article 4 dispose que Tamazight est langue nationale et officielle dans ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national», revient Dourari sur les décisions portant consécration de Tamazight.
« Et si on parle de Tamazight dans ses différentes variétés au lieu de variétés régionales c’est qu’on a toujours peur de ce mot (régionales, ndlr) pour un ensemble de raisons qu’on peut trouver logiques étant donné l’histoire ancienne et récente du pays». Mais du point de vue de la sociolinguistique, le terme variante est faux, étant donné que quand on parle de variété régionale cela signifie qu’il y a des apparentements mais aussi beaucoup de différences du point de vue linguistique et socioculturel. C’est-à-dire que vous ne pouvez pas avoir la même culture exactement chez les Touaregs, à Ghardaïa, Annaba, Alger ou à Mostaganem. Ce qui n’est pas possible dans un pays aussi grand que l’Algérie. Preuve en est, Aller d’Alger à Londres est plus près que de faire Alger-Tamanrasset. Il y a une variation socioculturelle, linguistique et sociolinguistique. Pour cette dernière, on peut l’expliquer par le changement de la structure de la langue d’une région à une autre. Prenons des exemples: un kabylophone n’est pas obligé de comprendre le Targui, un Chaoui ne l’est pas avec le Zénète de Tlemcen, le Chenoui de Tipaza… etc. Pour le colloque, il s’agit d’un rendez-vous qui porte sur «la rationalisation de la langue Tamazight» dans tout le territoire national puisqu’il y a une revendication sur la généralisation pour le rendre obligatoire. Ceci pour le caractère militant. À notre niveau maintenant (CNPLET), puisqu’il y a des variétés de langues, laquelle pourra être rendue obligatoire. Ce n’est pas une mince affaire car le rapport de la société avec sa langue et sa culture, si non à travers la pédagogie dont le ministère de l’Éducation en est le décideur sur la question, comment procédera-t-il face à cette grande variation? Du point de vue encadrement par exemple on a besoin d’enseignants formés à ces variations. Au niveau du ministère de l’Enseignement supérieur, malheureusement, les enseignants du département de Tamazight sont formés en kabyle de Tizi-Ouzou, Béjaïa et de Bouira et le Chaoui de Batna. C’est-à-dire, qu’on n’a pas formé des enseignants pour le Targui, le Chelhi ou le Zénète de Tlemcen.
Farid Guellil

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