Après la Suède, l’extrême droite fait une nouvelle percée en Europe avec la victoire de Giorgia Meloni aux législatives de dimanche en Italie, où pour la première fois depuis 1945 un parti post-fasciste est aux portes du pouvoir.
En restant dans l’opposition à tous les gouvernements qui se sont succédé depuis les législatives de 2018, Fratelli d’Italia (FdI) s’est imposé comme la principale alternative, passant de 4,3% à environ un quart des voix, selon les premiers sondages de sortie des urnes, devenant ainsi le premier parti du pays. La coalition qu’elle forme avec l’autre parti eurosceptique d’extrême droite, la Ligue de Matteo Salvini, et Forza Italia, le parti conservateur de Silvio Berlusconi, récolterait jusqu’à 47% des suffrages. Et avec le jeu complexe du système électoral, elle devrait s’assurer la majorité absolue des sièges aussi bien à la Chambre des députés qu’au Sénat. Si ces résultats se confirmaient, FdI et la Ligue remporteraient ensemble « le pourcentage le plus élevé de votes jamais enregistré par des partis d’extrême droite dans l’histoire de l’Europe occidentale de 1945 à aujourd’hui », a relevé le Centre italien d’Etudes électorales (CISE). La formation fondée fin 2012 par Giorgia Meloni avec des dissidents du berlusconisme devance le Parti démocrate (PD) d’Enrico Letta, qui n’a pas réussi à susciter un vote utile pour faire barrage à l’extrême droite et ne recueille qu’entre 17 et 21%. Le taux de participation à la clôture des urnes chute à 64,07%, contre 73,86% en 2018. La coalition a un « net avantage aussi bien à la Chambre qu’au Sénat », s’est réjoui sur Twitter Matteo Salvini.
Vox
Ce séisme intervient deux semaines après celui qui, en Suède, a vu la victoire d’un bloc conservateur comprenant les Démocrates de Suède (SD), parti issu de la mouvance néonazie qui a réalisé une forte percée, devenant la première formation de droite du pays nordique. Dans ce qui a été (mal) perçu à Rome comme un avertissement sans frais, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a rappelé que l’UE disposait « d’instruments » pour sanctionner les Etats membres portant atteinte à l’Etat de droit et à ses valeurs communes. « Les Italiens ont offert une leçon d’humilité à l’Union européenne qui, par la voix de Mme von der Leyen, prétendait leur dicter leur vote », a cinglé sur Twitter le président du Rassemblement national français Jordan Bardella. Bêtes noire de Bruxelles, le Premier ministre hongrois Viktor Orban et son homologue polonais Mateusz Morawiecki ont adressé dès dimanche soir leurs « félicitations » à Mme Meloni. M. Orban, par la voix de son directeur politique, le député Balazs Orban, a ajouté ce message: « Nous avons plus que jamais besoin d’amis partageant une vision et une approche communes de l’Europe ». Meloni « a montré la voie vers une Europe orgueilleuse et libre de nations souveraines », s’est réjoui de son côté le leader du parti espagnol d’extrême droite VOX, Santiago Abascal.
« Grande inconnue »
Fratelli d’Italia doit son succès autant aux promesses non tenues de ses adversaires et au vent de « dégagisme » qui souffle sur la péninsule qu’au charisme de sa dirigeante. Cette Romaine de 45 ans qui, jeune militante, disait admirer Mussolini, est parvenue à dédiaboliser son image et rassembler sur son nom les peurs et les colères de millions d’Italiens face à la flambée des prix, au chômage, aux menaces de récession ou à l’incurie des services publics. Le gouvernement devra notamment gérer la crise causée par l’inflation galopante, l’Italie croulant déjà sous une dette représentant 150% du PIB, le ratio le plus élevé de la zone euro derrière la Grèce. Dans ce pays à l’instabilité gouvernementale chronique, les experts s’accordent déjà sur la courte espérance de vie de la coalition victorieuse, un mariage de raison entre trois alliés aux ambitions concurrentes. Pour Mme Meloni, « le défi sera de transformer son succès électoral en leadership de gouvernement qui puisse s’inscrire dans la durée, c’est cela la grande inconnue », a estimé dimanche soir Lorenzo De Sio, professeur de sciences politiques à l’université Luiss de Rome. Mme Meloni, sans expérience gouvernementale à part un passage éphémère au ministère de la jeunesse (2008-2011), aura fort à faire pour gérer ses encombrants alliés, bien plus expérimentés: Silvio Berlusconi a été plusieurs fois chef de gouvernement et Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur et vice-Premier ministre. Dans le dossier ukrainien, l’Europe et les alliés de l’Italie, membre de l’Otan, scruteront également la répartition des portefeuilles entre les trois partis. Car si Giorgia Meloni est atlantiste et soutient les sanctions frappant Moscou, M. Salvini s’y oppose.