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SYRIE : À Damas, les maisons d’édition et les librairies agonisent

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Au cœur de Damas, les libraires et maisons d’édition, qui ont connu leur âge d’or au siècle dernier, ferment leurs portes l’une après l’autre, cédant la place à des magasins de chaussures ou des bureaux de change.

Rue de la Poste, Salem al-Nouri, dont le père a fondé la première librairie de la capitale syrienne en 1930, supervise les ventes de plus en plus faibles, en raison de la crise économique provoquée par la guerre en 2011. « Les gens ne peuvent plus payer pour lire, et les librairies n’arrivent pas à couvrir leurs dépenses », témoigne cet homme de 71 ans. « Notre librairie est menacée de fermeture, tout comme les autres établissements » de Damas. Dans un pays ravagé par la guerre, près de 90% des Syriens vivent désormais sous le seuil de pauvreté et peinent à assurer leurs besoins les plus élémentaires. La famille de Salem qui gérait trois librairies a déjà dû fermer en 2018 l’une d’elles, Aâlam al-Maârifa (« Le monde de la connaissance »). Mais Salem continue de se rendre dans cette librairie fermée pour épousseter les livres et se promener entre les étagères surchargées d’ouvrages. « Nous voulions léguer cette librairie à nos enfants et petits-enfants, mais la culture a beaucoup régressé dans le pays », déplore-t-il. Sur un vieux bureau traînent des photos de lui et ses frères, ainsi que celles de clients de renom qui fréquentaient leur établissement, dont des artistes, des poètes et d’anciens responsables politiques.

«Un luxe»
La libraire et maison d’édition Dar Oussama, fondée en 1967, agonise elle aussi. Khalil Haddad et d’autres employés tiennent cependant à venir régulièrement travailler, « même s’il nous arrive de ne pas vendre un seul livre pendant plusieurs jours ». « C’est vraiment un luxe de proposer aux gens d’acheter des livres par les temps qui courent, la priorité étant l’achat de nourriture et de médicaments », affirme ce septuagénaire qui a passé sa vie parmi les livres. Au cours des dernières années, plusieurs enseignes prestigieuses du centre de Damas, bien établies dans les années 50 et 60, ont mis la clé sous la porte. L’iconique librairie et maison d’édition al-Yaqza al-Arabia (« le Réveil arabe »), ouverte en 1939, a ainsi cédé la place à un magasin de chaussures. Maysaloun, du nom de la bataille entre l’armée arabe et les forces françaises en 1920, a elle été remplacée par un bureau de change. « Nous avons publié plus de 300 livres, et nous avions des dizaines de milliers d’ouvrages que nous avons liquidés lorsque nous avons décidé de fermer en 2014 », dit Sami Hamdan, 40 ans. Son grand-père a fondé al-Yaqza al-Arabia qui publiait comme d’autres maisons d’édition damascènes des ouvrages d’auteurs syriens et arabes ou des traductions, que les lecteurs s’arrachaient dans le temps. « Le facteur économique est essentiel, mais la technologie a également contribué » à la fermeture des librairies, « puisque des générations entières se sont tournées vers le livre électronique », explique-t-il. Le monde de l’édition était déjà en déclin depuis des décennies, admet M. Hamdan, mais « la guerre l’a achevé », ajoute-t-il.

«Tout pour survivre»
Après plus de 70 ans, Amer Tinbakji se résigne lui aussi à fermer son établissement ouvert en 1954. Depuis le début de la guerre, il a arrêté d’importer des livres, et ne peut plus en éditer en raison des sanctions et de l’effondrement de la monnaie nationale. Alors que près de 800 publications par jour étaient importées avant la guerre dans le pays, leur nombre est tombé à environ cinq par jour, souligne Ziad Ghosn, ancien directeur de l’institution étatique d’édition. Il explique que le prix du papier et de l’impression ont augmenté d’au moins 500% au cours des deux dernières années. Mais Samar Haddad, elle, est décidée à se battre. Elle a rassemblé dans un sous-sol la précieuse collection de livres de la librairie de son père, Dar Atlas, qui avait pignon sur rue dans le centre de Damas. « Nous avons perdu nos lecteurs l’un après l’autre. Beaucoup ont quitté le pays », déplore-t-elle, seule avec un employé à temps partiel parmi les rangées de romans oubliés. Mme Haddad se dit toutefois déterminée à ne pas fermer ses portes pour conserver l’héritage de son père: « Nous ferons tout pour survivre ».

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