Les secours, insuffisants, sont désarmés. Les survivants, angoissés, dorment sous la pluie et côtoient les morts restés coincés sous les gravats. Le retour du soleil dans la vallée de Katmandou lundi a apporté un répit aux 2,5 millions d’habitants de la capitale népalaise. Depuis samedi, à 11 h 58, et le séisme de magnitude 7,8 sur l’échelle de Richter qui a fauché la vie d’au moins 4 800 Népalais, une grande partie de la population campe à l’extérieur des habitations, à même le sol. La terre continue à trembler occasionnellement et la frayeur est omniprésente. Les quartiers sinistrés sont désertés alors que des secours plus ou moins informels tentent de retirer les cadavres et de déblayer les décombres. Çà et là dans la capitale, où un semblant d’activité normale reprend, des maisons effondrées, les immeubles aplatis en mille-feuilles qui ont comprimé les biens et les occupants. La destruction ne semble avoir obéi à aucune logique : elle a anéanti des bâtisses d’apparence solide et a épargné quantité de maisons dont l’équilibre paraît incertain. Face à cette loterie, les secours, eux, restent dramatiquement insuffisants et inéquitables. De nombreuses victimes sont encore ensevelies et l’odeur, dans les zones affectées, commence à être pestilentielle.
«On fait ce qu’on peut»
Si l’aide internationale s’organise avec les équipes de secouristes qui arrivent en masse, elle n’est pas encore réellement visible dans la capitale. Alors, les voisins se mobilisent. «Nous ne sommes que les gens du coin», commente Ganeshma. Il est juché sur une maison effondrée du quartier de Gangabu, entre d’anciens carreaux de salle de bain et des blocs de ciment. Ils sont ici une quinzaine d’hommes à travailler à mains nues pour dégager ce matin le corps d’une femme, dont seule la main, levée vers le ciel et blanchie par la poussière, émerge des gravats. Un volontaire retire les gravats et extrait du sari de la femme ses dernières possessions : une clé et quelques billets de banque. Dans la même rue s’active une équipe spéciale des forces de police. Deux cadavres couverts de mouches viennent d’être extraits des ruines. «Nous n’avons pas de grue et on travaille dans des conditions très stressantes, explique l’officier M. Adhikari. On fait ce qu’on peut…» Certaines forces de l’ordre arborent un casque jaune et l’insigne DMT des policiers formés à la gestion des désastres. Mais ils ne sont que 550 pour tout le pays. Ce matin, ils sont en échec face à un corps, coincé sous du béton armé. S’il s’écroule, tout peut s’effondrer. Un peu plus loin, dans le quartier de Samakoshi, près de Gangabu Chowk, les habitants s’inquiètent autour des ruines d’une habitation où quatre corps seraient prisonniers. «La police ne vient pas depuis trois jours, ni les équipes de secours», s’indigne Jaman Singh, 35 ans. «Et s’il y avait eu des survivants ?»
«Les gens sont en colère»
Des survivants qui peinent à organiser le quotidien. «Au moins 940 000 enfants ont un besoin urgent d’aide humanitaire», alerte un communiqué de l’Unicef. «Nous n’avons pas d’eau potable», se lamente Sneha Gahun, une jeune femme du quartier touristique de Thamel, réfugiée sur un terrain vague de Lainchaur. «Nous restons là nuit et jour, et nous collectons de l’argent entre nous pour manger.» Les sinistrés manquent de tentes et de biens de première nécessité. Amir Man Malaka, un enseignant de 52 ans, veut témoigner : «Les autorités ne sont pas venues, les gens sont en colère.» Comment aurait-il pu en être autrement dans une ville où, même en temps normal, le ramassage des ordures est un problème logistique ?
Dans un jardin transformé en quartier général pour les opérations de secours, les militaires grouillent et promettent de faire le maximum. Mais, pour ne rien arranger, la pluie se remet à tomber ce mardi matin. Dans les rues, on croise aussi des touristes occidentaux, vêtus de leurs vêtements de randonnée. Simon, un Français de 26 ans, regarde les décombres de l’hôtel Budget, à Thamel. Haut de six étages, l’immeuble a glissé dans un large bassin en contrebas, tuant au moins cinq personnes. «Deux heures plus tôt, je dormais sur la terrasse de cet hôtel, dit le Français, qui cherche à retrouver son sac dans les gravats. À côté de lui, sa petite amie sursaute soudain violemment au passage d’oiseaux dans le ciel. «Je n’arrive pas à m’y habituer, s’excuse-t-elle, car les oiseaux étaient affolés pendant le tremblement de terre.» Pour les habitants de Katmandou s’ajoute à la peur des nouvelles secousses et au dénuement l’angoisse de ne pas savoir ce que sont devenus leurs cousins, leurs parents ou leurs amis, restés dans les villages des montagnes proches de l’épicentre, 80 km plus loin. «Dans le district de Gorkha, tant de maisons sont détruites, dit Madhab Pokrel, 24 ans. Dans mon village de Barprak et de Laprak, il ne reste que 4 maisons indemnes sur les 1 200. Nous redoutons le pire.»