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Mahieddine Bachtarzi : le ténor de l’opéra d’Alger

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Né le 15 décembre 1897, Mahieddine Bachtarzi est issu de l’une des plus vieilles familles d’Alger, descendante directe des Turcs, comme c’est le cas pour la famille Bestandji, autre famille de musicien.

Pétri d’une éducation musulmane traditionnelle reçue à la mosquée de Bab el Oued à Alger, celui qui deviendra Bach Hazzab, autrement dit chef des lecteurs dès ses 14 ans, psalmodie le Coran lors des prières rituelles journalières de sa voie chaude et limpide. Notre ténor incarne à lui seul le grand siècle culturel algérien alors en pleine tourmente coloniale. Le ténor est également l’inventeur du théâtre algérien aux côtés du comique Rachid Ksentini et de l’acteur Allaoua, il fut le directeur artistique de l’Opéra d’Alger pendant de nombreuses années, et l’animateur infatigable des troupes artistiques du Maghreb. Ce palmarès n’exempte pas Mahieddine Bachtarzi d’être un inconnu des archives. Si le mérite en vient à l’historienne de l’art Dounia Bouzar-Kasbadji d’avoir mis en valeur le grand homme dans ses travaux, les indices ont longtemps été lacunaires pour une si grande carrière. Dans le cadre de la préparation de l’exposition « Générations, un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France », je n’ai pu que m’intéresser à ce personnage pluriel mais secret du fait même de l’absence d’archives mobilisées pour évoquer son parcours et mesurer aujourd’hui l’apport culturel et artistique des populations maghrébines en France. À la fois francophile et nationaliste, inscrit dans le sillage des nationalistes qui finiront par demander l’indépendance, le « Caruso du désert », surnom donné par la presse française d’alors, est tiraillé toute sa vie par cette ambivalence. Dans le « recueil de chanson Mahieddine » publié en 1937, le regretté Claude Liauzu[1] avait mis en exergue sa chanson « Maarefnache Ache men reriq Nakdou » (Nous ne savons quelle voie prendre ), interdite pour la teneur politique de ses propos :« Plus de cent ans que le colon accuse L’Arabe d’être ignare et imbécile, Mais quand tu cherches à apprendre il rit(….) Il est chez lui dans ton pays, et dans ton pays c’est toi l’étranger ».Si le texte de cette chanson ne laisse aucune place au doute sur ses opinions, c’est pourtant le même Mahieddine qui écrit des hymnes à la gloire du front populaire ou qui traduit la Marseillaise en arabe …Cet attachement à la France et à sa culture côtoie le sentiment d’injustice qui traverse son œuvre. Reconnu par ses pairs comme étant le premier musulman, disait-on, à adhérer à la SACEM en 1929 – comme en atteste son dossier d’admission -, on retrouve sa trace au sein des archives de la SACD pour ses nombreuses représentations théâtrales. La création à Paris de sa pièce de théâtre intitulée « Phaqo » en 1939 – ce qui signifie « Prenez conscience »-, exhorte ses compatriotes en exil à défendre leur identité algérienne et combattre le poids injuste du système colonial. S’il entretient des rapports amicaux avec quelques intellectuels français comme Jean Cocteau [2], il collabore majoritairement avec des intellectuels et des artistes maghrébins, notamment le recteur de la Mosquée de Paris, Si Kaddour Ben Ghabrit. Également diplomate et écrivain à ses heures, il invite Mahieddine à participer à sa pièce « La ruse de l’homme », donnée en représentation de Gala au théâtre de la Madeleine en l’honneur du sultan du Maroc, Moulay Youssef, comme le rapporte un article du Figaro daté du 22 juillet 1926.Il faut rappeler que sa carrière musicale et théâtrale démarre dès les années 1920 sous la tutelle de son maître de chant arabo-andalou, le juif algérien Edmond Nathan Yafil, alors à la tête de la troupe el Moutribia. Tout commence par ma rencontre avec le « dernier des Mohicans » : l’acteur et chanteur Habib Reda. Beau-frère du ténor mais également ancien de la troupe Mahieddine, le fringant monsieur de 93 ans vit aux états-Unis depuis de nombreuses années. Traducteur de Molière en arabe, bienfaiteur des associations étudiantes musulmanes de France, on découvre encore le carton d’invitation pour l’inauguration de la mosquée de Paris le 15 juillet 1926, lors de laquelle il chantera le premier appel à la prière dans les rues de Paris… Les archives à ce moment précis me font toucher du doigt toute la richesse de son parcours : directeur artistique des catalogues de musique arabe de Gramophone, il découvre de nouveaux talents comme le comique troupier Mohamed el Kamal. Ennuyé par la censure, on retrouve les correspondances portant sur la défense de ses œuvres, mais aussi la transcription phonétique de ses textes arabes en lettres latines.Concernant sa carrière cinématographique, c’est dans Sérénade à Meriem de Norbert Gernolle en 1947 ou dans Kenzi de Vicky Ivernel l’année suivante, qu’ils s’imposent dans ces comédies musicales en arabe produites par l’actrice Simone Berriau, disponibles dans les archives du CNC. C’est encore de manière fortuite que le réalisateur Mustapha Hasnaoui finit par me faire visionner une archive de la Fox datant de 1926, intitulé « Arabian orchestra » : quelle ne fut pas mon émotion quand je vis le visage poupin du ténor entouré de son maître Yafil, sur les auteurs de Nice lors de sa toute première tournée en France…
Pendant la guerre d’Algérie, sa francophilie, ses relations avec les hommes de Messali auront raison de sa position de pionnier du militantisme artistique en faveur de l’indépendance, auprès des hommes forts du FLN. On lui préfère le comédien Mustapha Kateb pour diriger la troupe artistique du FLN qui entre dans la clandestinité en s’installant à Tunis. Il poursuit sa carrière après l’indépendance en Algérie, à travers des spectacles et ses activités dans les écoles de musique.
Le Maître meurt le 6 février 1986 en laissant derrière lui de nombreux disciples, une école algérienne de musique arabo-andalouse de qualité, une vie artistique maghrébine en France enracinée et le souvenir d’un parcours hors du commun.

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