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ENIEM : 1 700 travailleurs dans l’incertitude

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Après plus d’une semaine de tensions, d’arrêt de travail et d’inquiétudes sur l’avenir de leurs emplois, les travailleurs et salariés de l’ENIEM, jadis fleuron de l’industrie nationale de l’électroménager, continuent à se mobiliser et appellent au départ de l’actuel PDG. Ce dernier réfute les accusations de « mauvaise gestion », nie l’existence de tout plan de licenciement et pointe du doigt des blocages au niveau de la BEA et des Douanes.

En ce mardi 1er décembre 2020, zone industrielle d’Oued-Aïssi (Tizi-Ouzou) : les 1 700 travailleurs et salariés de l’Entreprise nationale des industries de l’électroménager (ENIEM) ont été pris de court. En se rendant sur les lieux de travail, ils ont trouvé les portes de l’usine fermées et cadenassées à l’aide d’une chaîne métallique. Conséquence ? Ils se retrouvent désormais en chômage technique pour une période d’un mois (décembre en cours), leur annonce la direction de l’entreprise. Une situation inédite que l’équipe aux commandes a justifié la fermeture du site industriel par la situation financière très fragilisée de l’ENIEM, suite à « la persistance de blocages par la Banque extérieure d’Algérie pour l’octroi des crédits nécessaires pour le financement des approvisionnements, la rupture des stocks des matières premières, entraînant de fait l’arrêt de la production et l’abrogation de la production de l’électroménager à partir de collections CKD ».
Mais les travailleurs, appuyés par le Syndicat de l’entreprise, estiment insuffisantes les réponses apportées par la direction de l’entreprise qu’ils accusent, dans leurs témoignages au Courrier d’Algérie, de « mauvaise gestion » et de volonté « délibérée de casser l’ENIEM », appelant ainsi au départ du PDG, Djilali Mouazer, et son staff exécutif. Suspectant l’existence d’un plan « inavoué » de restructuration de l’ENIEM, avec 800 licenciements à la clé, les travailleurs se mobilisent, chaque jour, depuis, devant les sièges de la direction de l’entreprise et de la wilaya de Tizi-Ouzou, pour crier leur colère face au départ forcé en chômage technique. Les craintes et inquiétudes vont au-delà, car, selon les informations que nous avons récoltées auprès des représentants syndicaux, la direction a caché aux travailleurs qu’elle a bien l’intention de  « prolonger » la période définie préalablement d’un mois de chômage technique.
Certes, les travailleurs veulent une reprise, mais de nombreuses interrogations demeurent et motivent leur mobilisation quotidienne. « Les travailleurs de l’ENIEM sont sortis dans la rue après la décision unilatérale du premier responsable de l’ENIEM de les envoyer en chômage technique à partir du 1er décembre 2020, pour une période d’un mois renouvelable. Car nous savons qu’il s’agit d’un mois renouvelable, mais les responsables ne veulent pas être clairs là-dessus », a expliqué, Ould Oulhadj Mouloud, secrétaire du Syndicat des travailleurs, affilié à l’UGTA. Cependant, à travers leur mobilisation, a-t-il souligné, les travailleurs de l’ENIEM « refusent le chômage technique. Pourquoi ? Parce qu’ils savent clairement où vont les choses et la réalité sur la situation de leur entreprise », a-t-il indiqué en référence au fait que la prise d’une telle décision doit être légalement faite en concertation avec le partenaire social (Loi n° 90-11 relative aux relations de travail). Selon le syndicat de l’entreprise, « la convention collective de l’entreprise ENIEM dit dans ses articles 137 à 142, en rapport avec le chômage technique : “si l’employeur devrait procéder au chômage technique pour des raisons économiques, il est dans l’obligation de consulter le partenaire social, ou, à défaut, de réunir une Assemblée générale des travailleurs pour leur permettre de désigner leurs représentants afin de négocier et examiner le PV que leur remettra la direction et aussi obtenir toutes les clarifications sur le chômage technique” ». Chose que la direction de l’ENIEM ne semble pas avoir pris en considération, ce qui a précipité la colère de la base. « Le PDG de l’entreprise a pris tout seul cette décision Conseil d’administration, sans associer le partenaire social qu’il a ignoré depuis des années. Il a tout fait pour qu’il n’y ait pas de section syndicale au niveau des unités du complexe », regrette le représentant syndical rencontré lundi dernier lors d’un sit-in de protestation devant le siège de la wilaya de Tizi-Ouzou.
Ainsi, les revendications des travailleurs s’articulent autour de deux points essentiels : « l’exigence de l’annulation immédiate de la mesure de chômage technique » et « le départ sans délais et sans conditions des responsables de la direction de l’ENIEM ».

EniemInquiétudes sur la disparition de 800 emplois
Autre question qui irrite les travailleurs « pendant la période de confinement, raconte Ould Oulhadj Mouloud, l’ENIEM a été la seule entreprise qui n’a pas assuré des salaires aux travailleurs pour la période d’arrêt de travail. J’ai écrit au PDG et lui ait dit que cela relève de la hogra. Il faut payer les travailleurs car vous êtes en train d’enfreindre même le décret présidentiel dans ce sens ». Le syndicat met en cause le plan de réorganisation et de redressement de l’ENIEM « mis en place depuis plus d’une année par le PDG », prévoyant, selon les affirmations des représentants des travailleurs, la suppression de près de 800 emplois au niveau du complexe industriel de Oued-Aïssi, à une dizaine de kilomètres du chef-lieu de Tizi-Ouzou.
Dans ce contexte, l’absence d’une communication claire et transparente entre l’employeur et les employés semble creuser davantage la méfiance de part et d’autre. Ce que de nombreux travailleurs, que nous avons approchés, considèrent comme une aberration. « Ce PDG n’a jamais, durant ses trois années à la tête de l’entreprise, daigné venir nous rencontrer ou nous parler. Il n’a jamais organisé une AG pour les travailleurs », fulmine A. K., qui dit travailler à l’ENIEM depuis plus de six ans. Comme lui, ce sont des centaines de travailleurs qui se retrouvent aujourd’hui au chômage technique, face à un avenir incertain et dans une région où décrocher un emploi stable relève en ces temps-ci de presque l’impossible. Dans les témoignages que nous avons recueillis, les abus sont patents : les travailleurs n’ont pas reçu leurs salaires depuis trois mois. Et la direction de l’entreprise leur a fait une proposition étrange : leur octoyer un prêt de 15 000 DA en guise de salaire, mais qu’elle récupérera ensuite directement et en l’état de leurs salaires après retour au travail. Certains ont évoqué que les cadres dirigeants de l’ENIEM ont bénéficié de plusieurs augmentations de salaires, alors que les simples travailleurs n’ont touché aucune revalorisation de leur modestes salaires. La difficile situation financière de l’ENIEM a contraint beaucoup à renoncer à leurs congés annuels suite à cette angoisse grandissante à l’idée de perdre définitivement ses droits et son emploi.
Et même des travailleurs qui ont cumulé assez d’années de service hésitent à le faire. K. S., un quinquagénaire, qui a cumulé plus de 31 ans de carrière. Lui, il n’est pas contre l’idée du départ, si l’entreprise lui octroie des indemnités et cotisations auprès de la CNAS comme le stipule la loi. Mais, « pas question que je parte sans rien ! », insiste-t-il. Le syndicat de l’entreprise a adressé plusieurs correspondances au PDG, l’alertant « qu’à travers sa décision, il se dirige droit face vers un mur en se retrouvant dans une situation où il n’y aura ni produit, ni partenaire social ». Ils lui ont fait part aussi de leurs inquiétudes, « car les travailleurs de l’ENIEM sont broyés, avec le risque de perdre l’outil de travail et les emplois avec ». Mais au lieu de recevoir une invitation pour s’asseoir autour de la table de dialogue, la direction a envoyé un huissier de justice pour prévenir les représentants syndicaux, ce qu’ils dénoncent et considèrent comme une « tentative d’intimidation à leur égard ».

« Le PDG doit partir ! »
Pour les travailleurs mobilisés, inutile d’insister sur les arguments de blocage au niveau de la Douane de la matière première importée par l’ENIEM, car le problème réside, pour eux dans la gestion. « Nous savons que l’ENIEM souffre de blocage au niveau de la Douane et c’est le PDG qui est responsable de cette situation et personne d’autre. Les travailleurs ne sont pas sortis dans la rue pour dire au gouvernement de débloquer la marchandise, mais pour lui dire que le PDG doit partir. Il ne sait pas gérer. Au contraire, le gouvernement ne doit pas débloquer à ce PDG, car même en le faisant, nous n’allons pas rentrer chez nous avant que ce responsable parte », a fulminé le Secrétaire du syndicat ENIEM.
La mobilisation des travailleurs de l’ENIEM a commencé quand ils sont allés, ce mardi 1er décembre, à leur lieu de travail, avant de retrouver les portes d’accès au site complètement cadenassées. Ils ont alors observé une grande marche de la zone d’Oued-Aïssi, où se trouve le site industriel de l’entreprise, vers le siège de la wilaya dans la ville de Tizi-Ouzou. «On a été reçus par le wali qui a promis de porter nos sollicitations aux hautes autorités, et le lendemain, une délégation du ministère de l’Industrie est venu ici. Et les travailleurs ont tout dit et expliqué que la situation est vraiment intenable », rappelle Ould Oulhadj Mouloud, souhaitant que la tutelle «prendra des décisions salutaires pour le bien de l’ENIEM et de ses travailleurs ».
« Nous sommes, en fait, en présence d’un véritable crime économique qu’on ne peut raisonnablement pas imputer aux travailleurs. En ce sens, nous réclamons une commission d’audit pour situer les responsabilités de ce désastre à multiples facettes caractérisé par de nombreux travers, dont le détournement des fonds du PLD de leur vocation, dilapidation de deniers publics dans un projet mort-né censé développer la gamme des réfrigérateurs », écrit dans un communiqué le syndicat de l’ENIEM, qui chapeaute la mobilisation des travailleurs depuis son début. «Nous trouvons aberrant, voire indécent, que l’actuel P-DG de L’ENIEM se permette de toucher une prime variable de 120 millions de centimes alors que l’entreprise patauge dans les déficits», ajoute ce syndicat.

Vers une privatisation partielle ?
Alors que certains pointent une concurrence déloyale avec le privé, du fait des facilités du dispositif d’importation en CKD, d’aucuns reprochent au PDG de vouloir « casser » l’ENIEM en vendant les produits plus chers que ses concurrents.
Le syndicat reproche au PDG de s’allier avec les entreprises privées concurrentes pour « une privatisation partielle de l’ENIEM ». Par ailleurs, les doutes que partageait la majorité des travailleurs semblent se confirmer au lendemain de la dernière sortie médiatique du PDG, Djilali Mouazer. Ce dernier a reconnu, dans une émission TV, lundi dernier, sur le plateau d’une télévision privée, que « le partenariat et la sous-traitance avec les investisseurs et entreprises privées » est un des moyens qu’il privilégie pour trouver une solution aux difficultés financières de l’ENIEM.

Il a défendu cette option comme un choix inéluctable et difficile, mais qui pourrait éviter à l’ENIEM des licenciements massifs si les banques ne lui débloquent pas des crédits dans les plus proches délais. « L’ENIEM dispose d’actifs importants que ce soit en bâtiments ou en terrains. Nous avons 42 hectares de terrains et 15 hectares de bâtis. On a beaucoup de bâtiments et avec ces terrains on peut s’associer avec le privé algérien à travers des partenariats, dans un premier temps, dans les activités de l’électroménager ».
Alors que les travailleurs continuent à décrier la procédure de chômage technique, le PDG Djilali Mouazer a expliqué que la décision de d’envoyer les travailleurs au chômage technique a été prise pour aider l’entreprise à faire face aux difficultés financières. L’objectif, soutient-il, est de lancer un énième cri d’alarme aux pouvoirs publics afin de débloquer des fonds de roulement, car l’absence d’un soutien étatique à cette entreprise publique « qui doit toujours s’acquitter de son rôle social », aurait pour conséquence l’obligation, par l’équipe dirigeante de l’ENIEM, d’opter à conserver le moins d’emplois pour retrouver l’équilibre financier, très impacté par le fort ralentissement économique de ces derniers mois. Sur la destination des aides et crédits bancaires octroyés à l’ENIEM depuis des années, le PDG a affirmé que depuis qu’il est aux commandes, l’entreprise n’a pas reçu « grand-chose ». « La banque [BEA] ne nous a donné aucun crédit, ça je tiens à le souligner. La banque nous a donné une autorisation d’acheter, car il faut passer par une banque pour acheter de la matière première importée. La banque nous a donné donc un accord pour 1,1 milliard DA, sans accompagnement, parce qu’on a payé 500 millions de DA en droits de douane de nos propres moyens », se défend-il. Il a rappelé que l’entreprise « avait des délais de paiement de 9 mois, on devait donc payer en mars 2021, mais la banque a commencé à nous débiter dès le mois de mai 2020 ». L’ENIEM a été même obligée de payer avec un taux d’intérêt de 5 % et 10 %, c’est-à-dire sans sursis de payement, ce qui a pénalisé davantage l’entreprise, précise le PDG.

Près de deux milliards DA de commandes annulées
Sur les accusations du syndicat de l’entreprise à l’équipe dirigeante de « mauvaise gestion », confortées dans leur constat que les entreprises privées de l’électroménager n’ont pas connu durant la même période des arrêts de travail, le PDG, Djilali Mouazer, a répondu qu’ « on n’est pas soumis aux mêmes normes de gestion que le privé ». « À l’ENIEM, il n’y a pas de problème de gestion. Mais les sociétés privées bénéficient d’une souplesse dans la gestion. Pour eux, quand cela ne fonctionne pas, on procède à des licenciements pour réduire les charges. Chose qu’ils ont déjà faite en licenciant des milliers de travailleurs. Alors que nous, durant toute cette période, on a maintenu tous nos effectifs. On n’a pas cherché des solutions de facilité. Nous avons 1 700 travailleurs et on n’a pas voulu aller à des licenciements », a-t-il expliqué.
Pour rappel, la masse salariale de l’ENIEM est évalué à 11 milliards et 500 millions DA/mois (environ 140 milliards annuellement). Le chiffre d’affaires réalisé est de l’ordre de 5 milliards DA. « On ne veut pas licencier des travailleurs, sauf si vraiment il n’y a aucune autre alternative, a-t-il tranché. On est actuellement en train de chercher avec le ministère de l’Industrie une solution, d’abord urgente, pour débloquer au plus vite ce qu’on a comme matière bloquée au niveau des Douanes. Ensuite, convaincre la banque de nous donner un fonds de roulement d’exploitation pour faire face au premier trimestre 2021 ». Analysant la situation de l’ENIEM, il poursuivra : « On est bloqué depuis janvier 2019. Il n’y a pas un accompagnement de la banque. La banque nous a donné 6 milliards DA de crédits (tous crédits confondus). Nous avons donné des garanties de remboursement pour 60 milliards DA, c’est-à-dire 10 fois plus de ce qu’on a comme dettes ». Il a dit que les retards dans l’attribution des crédits par la banque a fait rater à l’entreprise son plan de redressement en 2019, au moment où l’ENIEM avait signé pour près de 2 milliards DA de contrats pour fournir des sociétés publiques, mais qu’elle n’a pu honorer faute de financements nécessaires. En 2020, l’ENIEM a été contrainte d’annuler un contrat de 500 millions DA avec une commande publique ministérielle, suivi par d’autres annulations pour les mêmes motifs. Le PDG a promis de demander une enquête sur le traitement de la banque BEA au dossier de l’ENIEM, annonçant que son équipe est déjà sur la voie de l’élaboration d’un rapport sur cette question.
Pendant ce temps, les travailleurs s’inquiètent quant à une reprise ou pas du travail. Pourront-ils regagner leurs postes dès ce janvier, c’est-à-dire à la fin de cette période d’un mois de chômage technique ? Pas si sûr, selon le PDG : « Tout dépend de l’intervention et de l’apport de l’État maintenant », estime-t-il, soulignant qu’il avait demandé un prêt en urgence de la banque de 500 millions DA pour pouvoir redémarrer la machine de production dès le premier trimestre 2021. Cela est-il suffisant ? Les interrogations demeurent toujours …
Hamid Mecheri

2La direction de l’ENIEM « refuse » de répondre à nos questions
Pour avoir l’avis de la direction de l’entreprise sur la crise à l’ENIEM, sinon sur la situation des travailleurs mis en congé technique, nous avons tenté de prendre attache avec le PDG à Tizi Ouzou. Mais le jour de notre visite, lundi passé au quartier général de l’ENIEM, il se trouvait à Alger, en réunion au ministère de l’Industrie, nous a-t-on expliqué sur place. Toutefois, nous étions reçus par le directeur marketing et communication, M. Debiane Mourad, mais ce responsable a refusé de répondre à nos questions, sous prétexte qu’il n’était pas autorisé à faire des déclarations. Quoiqu’il nous a promis de faire parvenir nos questions au PDG. Depuis lors, au moment où nous écrivions ces lignes et jusqu’à 17H30 de la journée d’hier, aucune réponse ne nous est parvenue.
H. M.

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