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Égypte : Au Caire, le tourbillon de couleurs des derviches tourneurs

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Au beau milieu d’un théâtre de pierres du Caire, Ali et Mohammed tournoient. Pied gauche, pied droit, bras levés et soudain, ce n’est plus qu’un festival de couleurs: en Egypte, les derviches s’envolent dans un tourbillon de jupes colorées.

Si Istanbul est connue pour ses derviches aux longues robes blanches inscrits au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco, au Caire l’art des adeptes du soufi Jalal al-Din Roumi se conjugue en couleurs sous le nom de «tannoura», la jupe en arabe. Mohammed Adel, 20 ans, est fils, petit-fils et neveu de derviches tourneurs dans un pays qui compte plus de quinze millions de soufis et près de 80 confréries. Il a personnellement veillé au dessin de sa robe violette aux volutes cousues de vert et de jaune. «C’est moi qui ai choisi les couleurs et les formes qui sont cousues sur les jupes», assure-t-il à l’AFP avant d’entrer sur la scène d’un festival folklorique. Car ce sont ces jupes qui sont le clou du spectacle.

«Je m’évade»
A chaque fois, le rituel est le même: Mohammed commence par tourner dans le sens contraire des aiguilles d’une montre, le bras droit tourné vers le ciel –pour recueillir les bénédictions divines– et le bras gauche vers le sol –pour les distribuer au public. Puis il accélère le rythme. Au fur et à mesure de la chorégraphie, il délasse les cordelettes qui tiennent les différentes jupes qu’il a enfilées au-dessus de sa longue robe. Celle du dessus représente le ciel, celle du dessous la terre et en faisant tournoyer la première au-dessus de sa tête alors que la seconde forme un disque ondoyant autour de sa taille, il raconte la création du monde et la séparation du ciel et de la terre. Une prouesse physique car chaque épaisseur pèse près d’une dizaine de kilos et peut tomber à chaque instant s’il dévie de sa trajectoire ou perd le rythme de ses pieds qui le font tournoyer. «Au début, bien sûr, j’avais le tournis, parfois même je tombais. Mais à force de m’entraîner tous les jours sans exception, soit sur une scène soit à la maison, je m’évade ailleurs avec la musique», assure Mohammed. Au son d’incantations soufies, des basses des percussionnistes, des litanies lancinantes des flûtes traditionnelles et des rababs, ces instruments à cordes tendues sur des peaux de bêtes, il semble inarrêtable, tout comme l’autre danseur de tannoura de la troupe des Arts populaires de Giza, Ali Morsi, tout de bleu vêtu.

«Pour l’amour de Dieu»
L’un à côté de l’autre, mais sans que jamais leurs jupes ne se touchent, ils enchaînent les acrobaties, lançant leurs jupes en l’air avant de les rattraper en plein vol ou dépliant et repliant le fanion de leur confrérie tout en continuant de tourner. «C’est comme si je volais, je ne sens plus mon corps, je ne suis plus sur terre, je ne pense qu’à Dieu et à rien d’autre», assure à l’AFP Ali Morsi, 25 ans et derviche tourneur depuis onze ans «pour l’amour de Dieu et du prophète Mohamed». Car si en Egypte la tannoura s’est toujours voulue festive, s’invitant dans les concerts, les festivals ou les mariages, elle puise son origine dans la tradition mystique de l’ordre musulman mevlevi fondé au XIIe siècle par le grand poète et mystique persan Jalal al-Din Roumi à Konya, en Turquie actuelle. Aujourd’hui, elle fait les beaux jours du tourisme égyptien qui tente de se relever de dix années de tourments politiques depuis la «révolution» qui renversa en 2011 l’autocrate Hosni Moubarak et de la pandémie de Covid-19. Et ceux d’Ali et de Mohammed qui assurent ne pas pouvoir imaginer vivre d’autre chose que de leur art.

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