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Ankara et Washington s’affrontent sur les Kurdes de Syrie

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«Terroristes» pour Ankara, rempart contre l’Etat islamique pour Washington: la Turquie et les Etats-Unis se sont affrontés vendredi à propos des combattants kurdes de Syrie, un dossier qui empoisonne les relations entre ces alliés au sein de l’Otan.

«Hypocrisie », « deux poids, deux mesures », « inacceptable »: le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu a lâché ses coups contre les états-Unis, dont des militaires des forces spéciales ont été photographiés par l’AFP dans le nord de la Syrie arborant sur leurs uniformes l’insigne des Unités de protection du peuple (YPG), une milice kurde considérée comme « terroriste » par Ankara.
« Il est inadmissible que des soldats des états-unis (…) utilisent l’insigne d’un groupe terroriste », a dénoncé le ministre turc devant la presse à Antalya (Sud). « Nous leur recommandons de porter des badges de Daech (acronyme arabe de l’EI), du Front al-Nosra lorsqu’ils sont ailleurs en Syrie, et de Boko Haram lorsqu’ils vont en Afrique », a-t-il ironisé.
Le Pentagone a reconnu la présence à des fins de « conseil et d’assistance » de soldats américains dans la province de Raqa, fief du groupe EI, où une coalition de combattants kurdes et arabes (Forces démocratiques syriennes, FDS) a lancé une offensive majeure contre les jihadistes.
Dans un geste d’apaisement à l’égard de l’allié turc ulcéré, Washington a demandé à ses militaires photographiés d’ôter l’écusson des YPG, a annoncé le colonel Steve Warren, porte-parole de la coalition militaire internationale contre l’EI en Syrie et en Irak.

Washington ‘soutient’ les YPG
Mais pas question d’abandonner les YPG. « Nous allons continuer à les soutenir », a même affirmé le porte-parole du département d’Etat, Mark Toner. Ce diplomate américain a nié toute crise avec Ankara, assurant que les états-Unis « comprenaient les inquiétudes de la Turquie » sur le dossier kurde.
Il faut dire qu’aux yeux d’Ankara les milices YPG sont étroitement liées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation jugée « terroriste » par la Turquie, accusée d’avoir commis des attentats à Ankara et qui mène depuis 1984 une rébellion meurtrière. Pour Washington aussi, le PKK est une « organisation terroriste étrangère ». Mais « au contraire, les YPG, comme d’autres forces dans le nord de la Syrie, combattent efficacement l’EI », a souligné l’Américain Toner. De fait, ces combattants kurdes se sont forgé une réputation de redoutables fantassins en chassant l’an dernier les jihadistes de l’EI de la ville syrienne de Kobané, à la frontière turque.
En fait, « les états-Unis voient les YPG comme un acteur local avec qui coopérer en Syrie, alors que la Turquie les considère à juste titre comme les partenaires du PKK en Syrie », résume l’expert Ozgür Unlühisarcikli, du German Marshall Fund, pour qui « il est improbable que les deux camps surmontent leurs différends dans un avenir proche ».

Chacun sa guerre
à long terme, le soutien américain aux combattants kurdes risque de provoquer une « érosion de la confiance » entre Washington et Ankara, analyse pour l’AFP Soner Cagaptay, du centre de réflexion Washington Institute.
Pour l’expert, « la Turquie et les états-Unis mènent deux guerres différentes en Syrie: Washington contre l’EI et Ankara contre (le président syrien Bachar) al-Assad ». Et « tant que cela sera le cas, les deux pays continueront d’être en désaccord au sujet des alliances à nouer en Syrie », explique-t-il. Longtemps accusée de soutenir des éléments radicaux opposés au président syrien, la Turquie a fini par rejoindre la coalition internationale anti-EI et met à disposition sa base aérienne d’Incirlik (sud) pour des bombardiers de plusieurs pays alliés. Mais en parallèle, la Turquie, qui dit ne faire « aucune différence » entre les groupes « terroristes », continue de voir dans les YPG une menace pour ses intérêts.
Invoquant régulièrement la fable du « Scorpion et la Grenouille », le président turc Recep Tayyip Erdogan estime que les groupes « terroristes » finissent toujours par « piquer » ceux qui les soutiennent. Jeudi, la présidence turque avait déploré la décision de plusieurs pays européens, dont la France et l’Allemagne, d’autoriser le Parti de l’union démocratique (PYD), aile politique des YPG, à ouvrir des antennes sur leurs territoires. Si le PKK figure sur la liste des organisations « terroristes » des états-Unis et de l’Union européenne, les Occidentaux refusent d’y ajouter les Kurdes de Syrie, malgré les demandes répétées d’Ankara.

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