Accueil ÉCONOMIE Abderrahmane Mebtoul : «les prévisions de consommation du gaz et de l’électricité...

Abderrahmane Mebtoul : «les prévisions de consommation du gaz et de l’électricité ont toujours été dépassées»

0

Le Courrier d’Algérie : malgré que le ministre de l’Energie a exclu toute augmentation des tarifs d’électricité, le P-DG de Sonelgaz persiste et signe : une hausse des prix de l’électricité et du gaz est inévitable. Comment expliquez-vous cela ?
Abderrahamane Mebtoul : D’abord il faut préciser que les prévisions de consommation ont toujours été dépassées, notamment à cause de la surconsommation induite par la faiblesse des tarifs.Malgré la faiblesse des tarifs en Algérie, gelés depuis 2005 entre 2 et 3 centimes le Kw/h, contre plus de 11 centimes au Maroc ou entre 8 et 17 centimes d’euro en Tunisie par exemple, le ministre de l’Énergie, Youcef Yousfi, a exclu de les augmenter. Pourtant, l’augmentation souhaitable des tarifs selon un rapport de la Sonelgaz (Société nationale de l’électricité et du gaz) devrait correspondre à une revalorisation de 11% par an pour pouvoir financer les investissements induits par l’augmentation de la capacité de production.Les causes sont multiples. Il y a d’abord le niveau alarmant des créances impayées. Si le groupe a réalisé un bilan consolidé de 2.050 milliards de dinars, en augmentation de 14% par rapport à 2010, et un chiffre d’affaires brut de 356 milliards de dinars, il peine néanmoins à recouvrer ses créances. Parmi les plus importantes d’entre elles le précompte TVA (taxe sur la valeur ajoutée) et le préfinancement des programmes publics.
À cet effet, le groupe Sonelgaz compte solliciter une nouvelle fois les pouvoirs publics pour le règlement définitif du dossier d’assainissement financier et pour la mise en œuvre effective du statut fiscal spécifique à ses sociétés. Ces dossiers des créances impayées ont constitué des facteurs aggravants qui ont maintenu la situation financière du groupe dans un déficit similaire à celui de 2010. Ces créances ont atteint un niveau élevé de 39,5 milliards de dinars, dont 13 milliards détenues essentiellement auprès de l’administration et 19 milliards auprès des clients privés, selon le rapport de Sonelgaz Pour certains responsables des sociétés de distribution, il est impossible de couper l’électricité à certaines institutions, notamment les écoles ou les hôpitaux. Ensuite, les branchements anarchiques, le taux de pertes de l’électricité a été 19,52%, en deçà des objectifs.
Dans l’activité du gaz, le taux de pertes s’élevait à 7,1%. Sonelgaz, perd annuellement plus de 10 milliards de dinars à cause de la fraude et de l’inefficience de gestion.Aussi, un argument développé par les managers de Sonelgaz, le problème d’opposition des particuliers de céder leurs terres et le code des douanes, amendé en 1997, qui serait un système de gestion par expédition, constituant un problème contraignant pour le développement de l’entreprise. Selon la direction de Sonelgaz, l’actuel code des douanes interdit les expéditions échelonnées, alors que l’ancien système autorisait l’importateur à donner des valeurs indicatives à certaines expéditions et faisait ressortir la vraie valeur des équipements importés dans le décompte final. Par contre, l’actuel code énonce que chaque expédition doit être déclarée indépendamment du contrat et doit correspondre à sa juste valeur, ce qui est impossible», selon Sonelgaz pour qui un contrat de fourniture d’une usine clés en main est un contrat forfaitaire global où les expéditions sont données à titre indicatif.

Vous avez évoqué, à maintes reprises, la problématique des subventions et de la forte consommation intérieure. Qu’en est-il aujourd’hui de ce problème ?
Il est utile de rappeler que 98 % des exportations du pays sont issues des seuls hydrocarbures, y compris les dérivées qui constituent 50% des exportations hors hydrocarbures, et alors que les importations se dituent à 70/75% pour les besoins des ménages et des entreprises publiques et privées. Ceux-ci ont généré quelque 600 milliards de dollars de recettes en devises entre 2000 et 2012, selon les bilans de Sonatrach, la compagnie nationale des hydrocarbures. Cette manne a permis à l’Algérie d’éteindre sa dette extérieure, de diminuer artificiellement sa dette intérieure, et de disposer de réserves de change considérables, 178 milliards de dollars au 31/12/2014 ( ayant puisé 15,6 entre juillet et décembre 2014 et plus de 11 milliards de dollars en janvier 2015 selon le FMI, 194 milliards sans les 173 tonnes d’or. Environ 83% sont placés en majorité en bons de trésor américains et en obligations européennes à un taux fixe de 3%, (les intérêts ont rapporté entre 2011/2013 entre 3,5 à 4,5 milliards de dollars annuellement. L’Algérie peine toujours à maintenir le niveau des volumes exportés au-dessus de 55/60 milliards de mètres cubes, un seuil qui était bien conservé entre 2001 et 2008 et les prix élevés cachent une baisse du volume encore que le ministère de l’Energie rassure avec la mise en exploitation, courant 2O15/2016, de nouveaux gisements, mais tout reste une question non d’offre mais de demande face à la crise mondiale qui sera de longue durée. Pour calculer la durée de vie des réserves en Algérie, il s’agit de prendre en compte l’évolution des coûts et des prix internationaux, pouvant découvrir des milliers de gisements non rentables. Concernant le prix de l’électricité plafonné, Sonelgaz, suggère que le tarif devrait être revalorisé de 11% par an pour pouvoir financer ses investissements, induits par l’augmentation de la capacité de production. Aussi, la consommation intérieure risque d’être fortement augmentée après les décisions, courant 2012, d’installer d’importantes capacités d’électricité fonctionnant au gaz. En effet, suite aux coupures récurrentes d’électricité, il a été décidé de doubler la capacité d’électricité à partir des turbines de gaz. Sonelgaz dans son programme 2012/2017 vise à investir, avec l’appui du gouvernement, pour lui permettre d’augmenter sa production de 8.000 Mégawatts supplémentaires, portant le total à 12.000 Mégawatts pour un montant de 36,55 milliards d’euros. Dès lors, avec cette augmentation de la consommation intérieure, du fait de la décision de ne pas modifier les prix intérieurs, il y a risque d’aller vers 70 milliards de mètres cubes gazeux à l’horizon 2025 de consommation intérieure, dépassant le volume des exportations de 2013 et rendant problématique les extrapolations d’exportation de 85 milliards de mètres cubes gazeux prévus dès 2014. Le ministre de l’Energie a armoncé, octobre 2014, au rythme de la consommation actuelle de gaz , la consommation intérieure doublera, horizon 2030 (plus de 60 milliards de mètres cubes gazeux) et triplera à l’horizon 2040. Si l’on prend l’hypothèse d’exportation de 85 milliards de mètres cubes gazeux et 70 milliards de mètres cubes gazeux de consommation intérieures, il faudrait produire, dès 2025, 155 milliards de mètres cubes gazeux supposant d’importants investissements dans ce domaine, limitant le financement des secteurs hors hydrocarbures, devant arbitrer entre la satisfaction du marché intérieur et les exportations et donnant une durée de vie de 16 ans maximum, soit l’horizon 2030, les gisements marginaux étant non rentables..

Que pensez-vous des actions du ministère de l’Energie pour faire face à cette situation ?
Le constat en 2015 est que 96% de l’électricité est produite en Algérie à partir du gaz naturel, 3% à partir du diesel (pour les régions isolées du Sud), 1% à partir de l’eau et que face aux contraintes analysées précédemment , il y a une prise de conscience qui fait que le gouvernement axe sa stratégie pour une transition énergétique maîtrisable autour de cinq axes privilégiant un bouquet énergétique , ayant les moyens de son financement mais privilégiant le transfert de savoir-faire managérial et technologique , où un partenariat gagnant/gagnant pourrait se réaliser dans le cadre du co-développement. Le premier axe est d’améliorer l’efficacité énergétique par une nouvelle politique des prix( prix de cession du gaz sur le marché intérieur environ un dixième du prix international, occasionnant un gaspille des ressources qui sont gelés transitoirement pour des raisons sociales. En Algérie, il existe un véritable paradoxe : la consommation résidentielle (riches et pauvres payent le même tarif ; idem pour les carburants et l’eau) représente 60% contre 30% en Europe et la consommation du secteur industriel 10% contre 45% en Europe, montrant le dépérissement du tissu industriel, soit moins de 5% du produit intérieur brut. À cet effet, une réflexion est engagée pour la création d’une chambre nationale de compensation, que toute subventions devra avoir l’aval du Parlement pour plus de transparence, chambre devant réaliser un système de péréquation, segmentant les activités afin d’encourager les secteurs structurants et tenant compte du revenu par couches sociales, mais impliquant une nouvelle politique salariale. Le second axe, l’Algérie a décidé d’investir massivement à l’amont pour de nouvelles découvertes. Selon le président de la République et le Premier ministre pour le pétrole/gaz non conventionnel, et comme cela est mis en relief dans l’audit que j’ai dirigé et remis au Premier ministre Abdelmalek Sellal le 24 février 2015 sur ce sujet assisté d’experts nationaux et internationaux , il est au stade de l’exploration , l’exploitation n’étant pas prévue avant 2025 sous réserve de la rentabilité économique et de la protection de l’environnement , étant prévu d’autres techniques que la fracturation qui économiserait l’eau et les produits chimiques .L’autre axe est le développement des énergies renouvelables. L’Algérie a réceptionné à la mi-juillet 2011 une centrale électrique hybride à Hassi R’mel, d’une capacité globale de 150 MW, dont 30 MW provenant de la combinaison du gaz et du solaire. Cette expérience est intéressante. La combinaison de 20% de gaz conventionnel et 80% de solaire semble être un axe essentiel pour réduire les coûts et maîtriser la technologie. À cet effet, le CREG (l’agence de régulation) a annoncé, le 28 mai 2013, que deux projets de décret destinés à accompagner la mise en œuvre du programme algérien de développement des énergies renouvelables, sont en cours de finalisation, et seront prochainement promulgués. Des mesures incitatives sont prévues par une politique volontariste à travers l’octroi de subventions pour couvrir les surcoûts qu’il induit sur le système électrique national et la mise en place d’un Fonds national de maîtrise de l’énergie (FNME) pour assurer le financement de ces projets et octroyer des prêts non rémunérés et des garanties pour les emprunts effectués auprès des banques et des établissements financiers. Le programme algérien consistait au départ à installer une puissance d’origine renouvelable de près de 22 000 MW d’ici à 2030, dont 12 000 mégawatts par an dédiés à la demande nationale de l’électricité et 10 000 MW à l’exportation. D’ici 2030, environ, 30/40% de la production d’électricité destinée à la consommation nationale sera d’origine renouvelable. Le ministre de l’Energie vient de faire savoir que l’objectif de l’Algérie est de produire, dans les 20 ans à venir, 30 à 40% de ses besoins en électricité à partir des énergies renouvelables.

En conclusion que pouvez-vous dire ?
En résumé, se pose cette question stratégique : quel modèle de consommation énergétique pour l’Algérie à l’horizon 2025/2030, non encore mis en place ; part du gaz/pétrole conventionnel, du gaz/pétrole non conventionnel sous réserve de la protection de l’environnement et des nappes d’eau et des énergies renouvelables ? Faute d’insérer les opérateurs d’électricité et de gaz au sein d’une vision stratégique, afin d’impulser des investissements nouveaux qui deviennent urgents, il y a une forte probabilité à des délestages croissants. Cela renvoie à l’urgence d’un MIX énergétique ne devant exclure aucune option, l’énergie étant au cœur de la sécurité nationale, insérée au sein d’une plus grande cohérence et visibilité de la politiques socioéconomique, à l’Etat de droit et donc à une gouvernance renouvelée.
Entretien réalisé par I. B.

Article précédentL’urgence d’une transition énergétique raisonnable et maîtrisée
Article suivantJSM Béjaïa : les Vert et Rouge tiennent au maintien

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.