«Les gens nous disaient : Vous allez probablement être attaqués parce que vous êtes étrangers», souffle, encore tétanisée, Saima Tanveer, une Pakistanaise rescapée avec son mari et leurs deux enfants du conflit au Yémen, leur terre d’adoption.
Depuis le début du conflit, le Pakistan a rapatrié plusieurs centaines de ses ressortissants coincés au milieu de ce conflit complexe auquel le pays refuse de prendre part au grand dam de l’Arabie saoudite, son allié à la tête d’une coalition arabe. Avant que le Yémen ne s’embrase, Saima coulait des jours heureux à Aden, dans le sud du pays. Elle enseignait l’anglais dans une école gérée par des Pakistanais. Son mari était comptable. Ils aimaient se balader avec leur garçon de huit ans et leur fille de cinq ans à la « corniche », pour profiter du bord de mer, à mille lieues de Peshawar, ville du nord-ouest pakistanais qui a été le théâtre en décembre d’un raid des talibans contre une école, fatal à 154 personnes.
A Aden, leurs relations avec les Yéménites étaient plus que cordiales, même si le couple pakistanais parlait peu l’arabe. « Ils nous respectaient beaucoup parce que nous étions venus ici enseigner », raconte la trentenaire au visage orné de sourcils finement dessinés. Mais la guerre est venue briser leur rêve yéménite. Le 23 mars, les rebelles chiites Houthis, qui s’étaient déjà emparés de Sanaa (nord), foncent sur Aden où s’était retranché le président Abd Rabbo Mansour Hadi avant de s’exiler en Arabie saoudite. Le pays bascule vers la guerre civile. Saima et ses collègues ferment leur école. « Il y avait des bombardements incessants, des échanges de tirs, des tanks circulaient sur les routes, c’était effrayant », dit-elle, « bien pire » que dans son Pakistan natal, endeuillé régulièrement par des attentats talibans. « Au Pakistan, nous savons qui est la police, qui est l’armée, mais là (au Yémen) nous ne savions pas qui était Houthis… qui était avec le gouvernement et il y a tellement de groupes en plus », raconte-t-elle.
«Ils coupent les têtes ici»
Saima, sa famille et d’autres Pakistanais vivaient à une vingtaine dans une résidence d’Aden. Après le 23 mars, « les gens venaient continuellement nous dire: « vous allez probablement être attaqués parce que vous êtes étrangers», se souvient-elle. « Ils nous disaient, si quelqu’un frappe à la porte, n’envoyez pas un homme, car ils vont peut-être l’assassiner, mais une femme cela va peut-être attirer la sympathie ». Peu après le début des bombardements aériens contre les rebelles Houthis par la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite, le Pakistan a dépêché un avion à Hodeida, sur la mer Rouge, afin d’exfiltrer une partie de ses ressortissants. Mais Hodeida est située à plus de 400 kilomètres. Et le parcours était très risqué. « On nous a dit: vaut mieux mourir dans votre maison que d’aller à Hodeida », se souvient Saima. Pour les évacuer, les autorités pakistanaises prévoient alors d’envoyer un avion à Moukalla, plus près d’Aden, mais dans un fief jihadiste. Début avril, des combattants d’Al-Qaïda y ont libéré 300 détenus dans un raid contre la prison centrale, puis paradé dans les rues. Saima qui avait travaillé six mois à Moukalla, lors de son arrivée au Yémen il y a deux ans, se renseigne auprès d’une collègue sur place. « Elle était en pleurs… elle m’a dit : «ils coupent les têtes ici», raconte Saima, qui n’a jamais su s’il y avait bien eu des décapitations. Mais le téléphone arabe avait fait effet. « Personne ne voulait nous y emmener ». Incapables de rejoindre Hodeida ou Moukalla, les Pakistanais ont patienté le coeur en vrac à Aden, changeant souvent de lieux pour passer la nuit. Un navire chinois est finalement venu chercher 170 d’entre eux, au sud du Yémen où la situation humanitaire était déjà « catastrophique » selon la Croix-Rouge. Mais la demi-heure de route en convoi séparant le port et l’hôtel où Saima et ses proches s’étaient finalement réfugiés fut un calvaire. « C’était horrible! Il y avait des tirs de partout, deux balles ont percuté la voiture…. Mais c’était notre seule chance de sauver notre vie », soupire Saima. Le navire chinois a ramené les Pakistanais à Djibouti, d’où Saima et sa famille se sont envolés pour le Pakistan. Mais ils n’ont qu’une envie: retourner dans un Yémen pacifié.