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Tunisie – Libye : une frontière à haut risque

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Le conflit libyen n’arrête pas de déborder sur la Tunisie dont la frontière est sous pression des jihadistes et des contrebandiers. L’économie de cette région en est affectée. «La Tunisie est désormais entrée en résistance», peut-on lire dans un article du quotidien tunisien La Presse intitulé «Daesh aux portes de la Tunisie» et paru le 17 février, peu après l’assassinat par le groupe État islamique (EI) de 21 chrétiens égyptiens sur une plage de Tripolitaine, en Libye. Depuis que le groupe jihadiste a planté en novembre 2014 son drapeau noir à Derna, à quelque 1 300 kilomètres à l’est de Tripoli, sa progression le long de la côte méditerranéenne est indéniable. Il a pu étendre son contrôle sur Benghazi, Syrte ou encore Sabratha, à une centaine de kilomètres seulement du poste frontière de Ras Jedir – une des portes d’entrée en Tunisie – sans qu’aucun des deux gouvernements se disputant le pouvoir, celui de Tripoli et celui de Tobrouk, ne lui barre la route.

La Tunisie menacée à ses frontières
Si certains Tunisiens minimisent le risque de débordement du conflit libyen, réfutant l’association entre «extrémisme» et «Tunisie», l’inquiétude reste perceptible. D’autant que la Tunisie est déjà la cible d’attaques au niveau de sa frontière avec l’Algérie. Deux jours après la revendication par l’organisation État islamique de l’assassinat de coptes égyptiens, quatre gendarmes tunisiens sont morts dans une attaque près du mont Chaambi, zone montagneuse du Nord-Ouest où opère la brigade Okba Ibn Nafa, affiliée à Al-Qaïda, et qui a notamment revendiqué la mort de 15 militaires en juillet 2014. Cette série d’événements a conduit le gouvernement à intensifier sa «lutte contre le terrorisme». «En ce qui concerne la frontière tuniso-libyenne», précise Balthassen Oueslati, porte-parole du ministère de la Défense. «Nous avons renforcé les points de contrôle, les patrouilles et les opérations de ratissage», afin d’empêcher «toute intrusion d’éléments indésirables ou d’éléments terroristes», dit-il.
«Plusieurs centaines de Tunisiens combattent aux côtés de Daesh en Libye»
Les «éléments terroristes» sont les jihadistes, dont la Tunisie serait un des plus gros pourvoyeurs. Ils étaient environ 2 000 à être partis combattre dans les rangs de l’EI en Syrie, estimait en juin 2014 le ministère de l’Intérieur. Si ce chiffre peut être revu à la baisse en raison du nombre important de décès et de retours au pays, il est contrebalancé par une autre tendance. Après le quasi-démantèlement d’Ansar al-Charia, autre groupe islamiste radical tunisien, classé organisation terroriste en août 2013, certains salafistes ont rallié le maquis libyen. «Plusieurs centaines de Tunisiens combattent aux côtés de Daesh en Libye», affirme Alaya Allani, professeur à l’université de la Manouba de Tunis et spécialiste des mouvements islamistes au Maghreb. Le groupe EI, dont la stratégie consiste selon lui à créer un «émirat» en Libye, y a établi ses camps d’entraînements, où sont orientées notamment les recrues d’Afrique du Nord. Ce nouveau développement en Libye ne pose pas pour autant le risque d’implantation de Daesh en Tunisie, avance l’universitaire, pour qui «les frontières sont bien contrôlées». Les questions de la radicalisation individuelle et du retour des jihadistes tunisiens restent toutefois posées.

Le durcissement des contrôles affecte l’économie de la région
Autre effet de la dégradation de la situation sécuritaire en Libye, la vigilance aux frontières pourrait être une arme à double tranchant. «Ces dernières semaines, on a vu la frontière tuniso-libyenne devenir plus hermétique, seuls passaient les convois humanitaires et les ambulances», observe le secrétaire général du Croissant-Rouge tunisien Tahar Cheniti, présent depuis 2011 aux postes frontaliers de Ben Guerdane-Ras Jdir et de Dhehiba-Wazen. Or, ces régions défavorisées tirent une partie de leurs revenus de la contrebande. Essence, électroménager ou quincaillerie «made in China» circulent de la Libye vers la Tunisie, et les produits alimentaires subventionnés dans le sens inverse. «Un contrôle trop strict des échanges pourrait pousser les jeunes à la violence sociale ou armée», alerte Hassan Boubakri, enseignant-chercheur en géographie à l’université de Sousse.

Le gouvernement un peu démuni
Face à cette situation, cependant, le gouvernement apparaît démuni. «Auparavant, afin d’éviter que les trafiquants d’armes, de drogue, ou les jihadistes n’empruntent les circuits du commerce informel, l’État exerçait un contrôle indirect sur les échanges en s’appuyant sur les barons de la contrebande», explique Hassan Boubakri. Mais le développement fulgurant de l’économie informelle transfrontalière depuis 2011 a brouillé les repères, affaiblissant notamment les pouvoirs locaux auprès de qui l’État déléguait son rôle sécuritaire. Il se replie donc sur le durcissement des contrôles à la frontière tuniso-libyenne… Au risque de voir éclater un conflit social.

Le climat se dégrade et assombrit les perspectives économiques
Sur le plan économique, les relations entre la Libye et la Tunisie pâtissent de la crise libyenne. Si le marché libyen reste la locomotive de certains secteurs économiques – le ministère tunisien du Tourisme a enregistré plus de 2 millions de visiteurs libyens en 2013 et près de 1,8 million en 2014 – la Libye, qui couvrait jusqu’à récemment 25 % des besoins tunisiens en pétrole, peinerait à honorer ses livraisons d’hydrocarbures selon un rapport d’août 2014 de la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (Cesao) de l’ONU. Par ailleurs, des dizaines de milliers travailleurs tunisiens ont dû quitter la Libye depuis 2012. Enfin, et surtout, l’insécurité en Libye vient assombrir les perspectives économiques de la Tunisie, qui sort d’une longue transition politique. «La Tunisie, comme tous les pays frontaliers avec la Libye, apparaît comme une zone à risque et elle a aussi des problèmes du côté de sa frontière avec l’Algérie», explique Saïd Haddad, chercheur associé à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman. «Cet environnement n’est pas propice aux investissements extérieurs dont elle a besoin pour se relancer», conclut-il.

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