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Disparition : Allalouche Ammar ou le poids de l’histoire et de la civilisation algériennes

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La mort de l’artiste-peintre, sculpteur et essayiste Ammar Allalouche est tombée comme une foudre. Il est décédé le jeudi 16 juillet, en son domicile à Constantine.

Par Ali El Hadj Tahar

Cet artiste né à El-Milia (Jijel) le 15 janvier 1939, a fait ses études à l’École nationale des Beaux-arts d’Alger (ENBA). Professeur à l’ERBA de Constantine de 1967 à 1997, il expose depuis les années 80 et a longtemps vécu en Tunisie entre 1996 et 2010, avant de revenir en Algérie. Il a organisé des expositions individuelles à Alger, à Constantine et en Tunisie.
Dès ses débuts dans l’art, le souci principal d’Allalouche était d’oublier l’académisme qu’il a acquis dans une école des Beaux-arts. D’ailleurs, depuis le début du vingtième siècle jusqu’aux années 1980, cette préoccupation était le credo d’une modernité qui voulait sacrifier ou réduire la part de l’héritage. L’artiste cherchera donc son langage en lui-même, par l’entremise d’un sujet lié à la société et la culture algériennes au sens large du terme ; c’est-à-dire sans se grimer des signes des ancêtres – devenus une recette facile pour remplisseurs de surfaces homogènes – mais à travers les mythes et des symboles collectifs plus profonds qui s’expriment à travers nos expressions populaires et traditionnelles les plus variées. Issus de notre subconscient collectif et de notre imaginaire, ces référents culturels profonds – qui se sont forgés pendant des siècles, voire qui nous suivent depuis des millénaires – forment la pâte épaisse et riche de l’univers de l’artiste, comme ils forment celle des Algériens que nous sommes et qui, partant, nous caractérisent et nous définissent. Allalouche a non seulement une bonne connaissance de l’histoire de l’art mais une grande culture : il connaît donc l’apport de la psychanalyse, de la philosophie, de l’architecture, du surréalisme et des grands courants de pensée, ce qui donne cette exigence à son art, qui a pourtant longtemps cherché un sujet et un style qui lui soient propres. Son sujet, il le trouvera vite : il concerne les Hommes, leurs préoccupations, leur culture et la mystique qui régit la société.
Dans la peinture d’Allalouche l’on retrouve donc d’abord et avant tout notre âme et notre personnalité d’Algériens… Parlant de son travail, il dit vouloir «développer l’esprit terré au fond de la matière»: cet esprit vibre dans un bijou ou un tatouage aurésien, kabyle, oranais ou touarègue… comme il vibre dans la glaise même qui façonne une poterie ou la terre que nous foulons. La question d’appartenance à un peuple, à une civilisation est essentielle chez ce peintre qui, à la revendication identitaire qui trône et qui a trôné dans le discours littéraire et artistique national, ajoute la notion de fierté d’appartenance à son peuple, ce qui est un concept nouveau dans la démarche intellectuelle algérienne. Chez tous nos grands auteurs et artistes modernes (de Kateb Yacine, Mammeri, Dib à Boudjedra et de Racim, Khadda et Issiakhem à Mesli ou aux autres contemporains) le credo était (durant la période coloniale) le recouvrement de l’identité nationale et son affirmation (depuis l’indépendance à ce jour). Faudrait-il peut-être exclure du lot Moufdi Zakaria qui avait cette impertinence qui consiste revendiquer fièrement non seulement une identité spécifique, mais une appartenance à une vraie civilisation, une revendication que l’Occident sait contrecarrer pour imposer sa domination à ceux qui ne la réclament pas avec la même insistance et le même tapage. La peinture d’Allalouche travaille donc notre conscience d’Algériens en profondeur ; et sans cette « fierté nationale », l’art et la culture algériens se perdraient dans les méandres des cultures inférieures. Voila également pourquoi les peintures de cette période sont les plus denses sur les plans intellectuel et émotionnel et posent les bases de la réflexion du peintre sur l’art et son rapport à la culture et à la société.
Elles nous renvoient à notre passé, avec une fonction mnémonique tout en nous renvoyant à nos angoisses, comme dans une thérapie susceptible d’enrichir l’esprit et l’imaginaire. Les personnages d’Allalouche portent tout le poids de l’Histoire et de cette civilisation qui s’exprime dans le détail d’une pose, d’une démarche, d’une pudeur. Le noir domine dans les peintures de personnages. Les scènes de vieux ou de paysans assis en cercle, les femmes et tous les personnages restituent non seulement des ambiances et des traditions, mais touchent à ce qu’il y a de plus profond en nous. Sur le plan technique, Allalouche traite des questions qui ont tourmenté tous les peintres du XIXe siècle et début du XXe siècle : l’expression de la figure humaine et la possibilité d’en explorer encore l’esprit et les tréfonds. Cela était-il possible après tous les grands explorateurs de l’âme humaine ? Picasso semblait être le dernier de ceux-là, au point où l’on disait qu’après lui la peinture figurative était morte, supplantée par l’art non figuratif car depuis des millénaires d’histoire de l’art tout ce qui relevait de la figure et de l’âme humaines aurait été dit. Que pouvait-on encore dire après Vinci, Michel Ange, Rembrandt, Van Gogh, Rouault…? Pourtant, d’autres artistes persévèrent encore, estimant que l’expression par la figure ne peut pas tarir tant qu’il y a des choses à dire sur l’Homme. Dans la mesure, évidemment, où cette peinture sache dire l’Homme avec une vision qui lui soit propre et une forme qui le soit aussi.

Son art est le reflet de notre conscience et de nos pensées profondes
Apporter quelque chose à la compréhension de l’humanité, à travers la peinture figurative n’est pas chose aisée. Dans le cercle presque fermé de ce genre, Allalouche a anxieusement cherché son sujet, sa matière, sa voie. À la fin des années 1980, il peint une série de mausolées dominés par des noirs et des ocres, où la lumière est parcimonieuse et la mort d’une présence insistante. Une thématique à hauts risques car sa nature profonde n’est pas le tragique. Certes, ce sujet concerne des fondements essentiels de notre culture qui accorde une place au mystère et aux phénomènes du subconscient. Il permet au peintre d’explorer l’âme de son peuple et, tout comme un ethnologue, Allalouche n’a jamais cherché à juger ou à condamner, mais à s’interroger sur le sens des phénomènes et leurs incidences. Dans ces sujets il y a comme une inquiétude, une sorte de peur, mais également de la fascination : d’ailleurs, qui n’est pas séduit par la beauté et la blancheur d’un mausolée posé près d’un olivier ou d’un palmier ?
Constantine a inspiré directement ou indirectement plusieurs artistes, dont Jean-Michel Atlan (le premier peintre qui soit revenu aux signes de notre culture), Allalouche, Djamel Larouk, Amine Khodja et d’autres plasticiens de cette ville pour qui le noir semble être la couleur de prédilection. Là aussi, c’est l’allégorie et le symbole qui priment, avec des structures qui évoquent une ville aux brassages complexes, et dont Nedjma (Kateb Yacine) décrit et le mystère et la mystique. C’est par un réseau de fils ténus qu’Allalouche nous renvoie à cette cité qui a posé strate sur strate les couches successives et impénétrables de sa beauté et de son histoire où le berbère, le romain, l’arabe et les autres cultures se sont stratifiés pour constituer une belle harmonie.
Il y a quelques années, je fis découvrir le peintre abstrait américain Willem de Kooning à Allalouche – comme je l’ai fait à Issiakhem – et il en tomba amoureux et essaya de suivre sa voie avant de revenir quelques années après à ses figures humaines. Paysages abstraits et personnages se relaient dans les travaux de la période 1987-1990, puis l’artiste revint aux sujets de société et aux scènes de la vie courante où la femme est le centre primordial. Parfois, Allalouche intègre des motifs traditionnels comme l’ont fait Issiakhem et Mesli, donnant ainsi à ses personnages la puissance de figures tutélaires. Parfois, une sorte de figure monstrueuse nous fait face : la terreur a une gueule qui nous glace le sang.
Beaucoup d’artistes travaillent dans ce semi figuratif qui autorise l’expression, tout en traitant de la réalité et de thèmes qui l’inscrivent dans une éthique sensible à la condition humaine. Tantôt le sujet est traité avec des couleurs vibrantes, tantôt en cherchant la douceur calfeutrée des bleus et des verts tendres. Dans certaines de ces peintures s’expriment alors les saisons et les paysages, avec une terre chargée de moissons, des blés qui ploient sous le soleil ou des prairies mouillées d’une rosée matinale. Car la terre et le paysage d’un peuple se lisent même sur le visage de ses femmes et de ses hommes.
A. E. T.

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