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Abderrahmane Mebtoul : «Les entreprises publiques doivent revoir les méthodes de promotion actuelles»

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Le Courrier d’Algérie : L’application de la directive du Premier ministre qui oblige les administrations publiques à mettre en retraite les cadres de plus de 60 ans alimente toujours les débats. Certains posent la problématique de la relève. Quel commentaire faites-vous à ce sujet ?
Abderrahmane Mebtoul : Je dirai d’abord que les entreprises publiques ou les administrations doivent revoir les méthodes de promotion actuelles qui n’ont pas eu les effets positifs sur le terrain, encore que les intentions étaient parfois bonnes, par la mise en retraite anticipée des cadres ayant atteint l’âge de 60 ans ce qui est une aberration et a fait fuir de nombreuses compétences hors de ces entreprises sans que ne soit préparée la relève. Je donne l’exemple de Sonatrach. Rendre plus efficiente Sonatrach suppose donc plusieurs actions stratégiques : la replacer dans le contexte national et international ; un audit financier, la consolidation actuelle du bilan de Sonatrach ne pouvant déterminer exactement les centres de coûts du fait de la faiblesse de la comptabilité analytique, un audit des immobilisations corporelles et surtout non corporelles ; -un système d’organisation en temps réel se fondant sur des réseaux et non plus sur l’actuelle organisation marquée essentiellement sur une vision hiérarchique verticale ; la gestion du partenariat et des contrats et une gestion rationnelle des ressources humaines par des formations permanentes.

La ressource humaine et les institutions sont des facteurs stratégiques pour l’efficacité du management des entreprises. Qu’en pensez-vous ?
Dans ce cadre, comment ne pas rappeler que l’élite algérienne est caractérisée par sa marginalisation sociale selon la revue américaine Foreign Policy de juillet 2010 qui vient de consacrer une enquête minutieuse aux pays les plus vulnérables au monde. À cet effet, la revue américaine a même classé l’Algérie parmi les plus vulnérables au monde avec une note de 8,6 sur 10 pour la disparition et la dispersion de l’élite, s’agissant d’une des notes les plus mauvaises du monde. Selon cette revue, les conditions de vie déplorables des cadres et cerveaux algériens, les très bas salaires et l’environnement politique défavorable hypothèquent l’avenir de l’Algérie qui risque de se retrouver sans son intelligentsia pour construire son avenir (voir notre autre contribution dans ce présent ouvrage). Car, pour avoir une appréciation objective, il faut analyser non pas la balance commerciale mais surtout la balance des paiements en tenant compte des mouvements de capitaux dont les transferts de dividendes et de services car nous assistons à un déficit du service de la dette inquiétant. Ce poste a plus que triplé par rapport à 2004 passant d’une moyenne de 4 milliards de dollars à 12 milliards de dollars en 2011 concernant principalement les importations de services au titre des infrastructures publiques, et par des entreprises du secteur des hydrocarbures. Aussi, il y a lieu de revoir les méthodes de promotion actuelles (bourse de l’emploi notamment) qui n’ont pas eu les effets positifs sur le terrain, encore que les intentions étaient parfois bonnes, avec la mise en retraite anticipée des cadres ayant atteint l’âge de 60 ans ce qui est une aberration et a fait fuir de nombreuses compétences hors Sonatrach- Sonelgaz sans que ne soit préparée la relève.
Aussi l’objectif est-il d’évaluer et de rendre plus performant les ressources humaines, par une formation permanente impliquant un audit mettant en relief nettement la typologie du personnel existant, l’adéquation de la formation aux besoins de Sonatrach-Sonelgaz, la disponibilité des compétences adéquates, les politiques de recrutement, l’évolution de la productivité du travail, les appréciations des mesures d’incitation et enfin l’évaluation du climat et de la culture d’entreprise (audit social et audit de la culture liés au renouveau du système d’information) dont la prise en compte -au profit des travailleurs- d’une gestion plus rationnelle des importantes sommes des œuvres sociales que consacre annuellement Sonatrach-Sonelgaz. Mais bien manager les ressources humaines suppose que le planning des actions à mener, doit être synchronisé du fait de la complexité de l’opération et sous tendu par un dialogue permanent avec l’ensemble du collectif des travailleurs à tous les niveaux, impliquant l’ensemble des structures concernées qui doivent être parties prenantes des prises de décision afin de susciter l’adhésion de tous. C’est que la nouvelle gouvernance tant locale que le management stratégique des entreprises ne sauraient reposer sur le dicktat mais impliquent de comprendre la sensibilité des femmes et hommes qui composent tant la société que de l’entreprise en tenant compte de la morphologie de la société suite aux travaux des prix Nobel de sciences économiques Amyra Sen dans son apport sur l’anthropologie économique et Elinor Ostrom et d’Olivier Williamson pour «leurs apports à l’analyse de l’efficacité des institutions et à la gouvernance de l’entreprise, analyse qui approfondit celle du fondateur de la Nouvelle Economie Institutionnelle, (NEI- Douglass North), qui ont démontré que les institutions ont un rôle très important sur les organisations et la société, constituant un des facteurs déterminants de la croissance économique de long terme, le terme d’institution désignant «les règles formelles et informelles qui régissent les interactions humaines», et «les règles du jeu» qui façonnent les comportements humains dans une société. Parce qu’il est coûteux de coopérer sur le marché, il est souvent plus économique de coopérer au sein d’une organisation, et en introduisant l’importance de la confiance et du «capital social» comme ciment de la coopération.

Le principal objectif de cette instruction étant de libérer un certain nombre de nouveaux postes budgétaires qui soutiendront les postes d’emplois pour les jeunes. Est-ce à votre avis une solution à l’emploi durable ?
Ces éventuelles instructions, sans une vision globale du développement du pays d’emplois à valeur ajoutée, ne s’assimileraient-elles pas à un replâtrage pour calmer le front social toujours grâce à la rente des hydrocarbures, la vocation de Sonatrach n’étant pas de créer des emplois pouvant l’assimiler à une banque. Car ces mesures appliquées ne feront que conduire certaines entreprises déjà en difficultés à la faillite. Par ailleurs, avec cette injection massive de la monnaie sans contreparties productives concernant tant ces projets que les dernières augmentations des salaires qui touchent tous les secteurs, ne faut-il s’attendre à une inflation accélérée, déjà forte en 2012, près de 9% ayant doublé par rapport à 2011.
Cela risque de conduire le pays dans une spirale infernale de hausse des prix avec pour conséquence à la fois la hausse des taux d’intérêts des banques freinant le véritable investissement et la détérioration du pouvoir d’achat de la majorité des Algériens. Une vision stratégique collant tant aux nouvelles mutations sociales internes qu’aux mutations mondiales, s’impose si l’on veut éviter à terme une implosion sociale aux conséquences désastreuses pour le pays. Aussi, sans vision stratégique, les dernières mesures décidées par le gouvernement ne feront que différer les tensions sociales. Ainsi s’impose une révision profonde de l’actuelle politique socio-économique où selon l’expression de la directrice du FMI, l’Algérie dépense sans compter vivant de l’illusion de la rente éphémère.
Du fait que la crise multidimensionnelle que traverse la société algérienne est systémique, cela dépasse le cadre strictement économique, renvoyant à des aspects politiques impliquant une gouvernance renouvelée et donc la refondation de l’État se fondant sur des institutions crédibles et non d’organes bureaucratiques créés sous la pression de la conjoncture. Cela implique par une réelle décentralisation (à ne pas confondre avec le régionalisme néfaste) et une lutte concrète contre la corruption qui a des effets dévastateurs auprès de l’opinion nationale et internationale, traduisant par là un État de non-droit et une gouvernance centrale et locale mitigée.

Quel conclusion tirez-vous de cette situation ?
L’Algérie est une économie totalement rentière n’ayant pas préparé encore l’après-hydrocarbures après 50 années d’indépendance politique alors que la population passera dans 25/30 ans de 37 millions en 2013 à 50 millions horizon 2030 sans hydrocarbures. La découverte de réserves physiquement n’ayant aucun sens, pouvant en découler des milliers de gisements non rentables, le niveau des réserves se calcule en fonction du couple coût intérieur, vecteur prix international, des énergies substituables en corrélation avec les mutations mondiales énergétiques et du rythme des exportations et de la consommation intérieure. C’est que la majorité des observateurs nationaux et internationaux convergent vers ce constat : la réforme globale, source de croissance durable en Algérie est en panne.
Le constat est que durant cette période de transition difficile d’une économie étatisée à une économie de marché concurrentielle et l’État de droit est que les réformes sont timidement entamées malgré des discours que contredisent quotidiennement les pratiques sociales. Les banques, lieu de distribution de la rente, continuent de fonctionner comme des guichets administratifs, et du fait des enjeux des réformes souvent différées s’attaquant plus aux aspects techniques qu’organisationnels, alors qu’elles sont le moteur des réformes, la privatisation et le partenariat comme moyens d’investissement et de valeur ajoutée piétinent, faute de cohérence et de transparence ; la facture alimentaire est élevée malgré le fameux programme agricole (PNDA) dont il conviendra de faire le bilan du fait de plusieurs milliards de dollars de dépenses, sans oublier la bureaucratie et la corruption qui continuent de sévir. Dans le prolongement d’un audit que j’ai eu à diriger, une étude récente du Femise (2012)-réseau euro-méditerranéen montre clairement que les dispositifs en matière d’emplois du gouvernement algérien ont eu peu de résultats tangibles, « de la poudre au yeux pour abaisser artificiellement le taux de chômage ». Comme conséquence de ces résultats mitigés et de l’incohérence et du manque de visibilité de la politique socio-économique, pratique de plusieurs décennies et non seulement de la période actuelle, nous assistons à des tensions à travers toutes les wilayas contre la hogra, la corruption, la malvie, d’une jeunesse dont le slogan est « nous sommes déjà morts », ce qui traduit l’impasse du système économique basé sur la distribution de la rente, à générer une croissance hors-hydrocarbures, seule condition pour faire face à ce malaise social. Aussi, s’agit-il d’éviter le monologue et élargir le débat à tous les segments de la société. La tentation, par la fuite en avant, serait grande d’imposer aux organismes chargés de l’investissement et l’emploi qu’ils agréent un maximum de projets avec de nombreux avantages financiers et fiscaux, tout en demandant à ces administrations et entreprises publiques de mettre en retraite leurs cadres.
Entretien réalisé par I. B.

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