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Qu-est-ce qui fait courir Boualem Sansal ?

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Qui fait encore courir Boualem Sansal ? Selon lui, il serait malvenu de célébrer la date du 19 mars qui a marqué la fin de la colonisation parce que, cherche-t-il à se justifier, la guerre ne serait pas finie et que des hostilités avaient eu lieu entre les moudjahidine, juste après cette date, oubliant la responsabilité des factieux de l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS), qui avaient terrorisé les populations autochtone et pieds noirs faisant des milliers de morts.
Il déclare ceci dans un entretien paru dans le quotidien français, Le Figaro, daté du 19 mars 2016 : « Les Algériens sont sortis de la guerre le jour-même de l’indépendance, le 5-Juillet 1962. Ils ont fait sept jours et sept nuits de fête folle, puis ils sont rentrés chez eux, épuisés. Mais une huitaine plus tard une nouvelle guerre les a rappelés, la guerre des wilayas, la course au pouvoir des seigneurs de guerre avait commencé et faisait rage aux quatre coins du pays. ». Il rejoint ainsi Sarkozy et les anciens de l’OAS qui développent le même discours, considérant la colonisation comme un bienfait. Ce type de propos révisionniste n’est pas nouveau. Prenant le contre-pied de ce discours négationniste, les historiens Mohamed Harbi et Gilles Manceron ont publié une tribune dans le quotidien Le Monde (daté du 19 mars 2016) dans laquelle ils défendent la nécessité de célébrer cette date : « La date est celle du cessez-le-feu, décidé la veille par les accords d’Evian, qui a rendu possible après plus de sept ans de guerre, en 1962, la fin du conflit et l’indépendance du pays. »
Cette position de l’auteur du Serment des Barbares et de 2084 ne peut, en aucun cas, être séparée des intentions idéologiques apparemment récentes de l’écrivain qui, alors qu’il occupait le poste de haut fonctionnaire du pouvoir algérien, n’avait jamais réagi contre l’arbitraire qui caractérisait le territoire politique et culturel algérien. Boualem Sansal use souvent dans ses déclarations d’une posture victimaire et d’une tendance à se présenter comme un auteur persécuté, censuré en Algérie. Certains apprécient ses romans, d’autres ne les aiment pas. C’est vrai que souvent, la critique en France et en Algérie a tendance à négliger la dimension littéraire pour présenter ses ouvrages comme de simples pamphlets politiques. Il en rajoute dans ses interviewes, faisant ainsi oublier l’aspect poétique et littéraire, favorisant une lecture politique extrêmement réductrice.
C’est vrai aussi que les déclarations d’un écrivain ne sont pas opératoires pour lire la production littéraire. Mais on pourrait parfois s’y fier, en prenant le soin de les interroger sérieusement. Dans les textes de Sansal, il y a, comme un va et vient, entre l’écrit et l’actualité qui semble prendre le dessus sur les jeux de l’écriture. On oublie souvent qu’une œuvre littéraire est avant tout une œuvre d’art et de langage.
Sansal vient de sortir chez Gallimard, un roman, 2084, singeant l’écrivain, Michel Houellebecq, prédisant la domination du monde par ce qu’il appelle le «totalitarisme islamique » en 2084, vouant aux gémonies l’Islam et les musulmans, épousant les contours de l’extrême droite européenne et répondant à une sorte d’horizon d’attente présentant l’Islam et les musulmans comme des dangers potentiels et réduisant les rapports humains à une affaire de conflits de type religieux et culturels. Il reproduit autrement l’idée de Houellebecq qui, dans son roman, Soumission (Flammarion, 2015), prédit qu’en 2022 un parti musulman prendra le pouvoir en France (lors de l’élection présidentielle de 2022, le candidat du parti, La fraternité musulmane, Mohamed Ben Abbès sort victorieux contre Marine Le Pen). Truffés de clichés et de stéréotypes, de métaphores zoologiques, ces deux romans dont les auteurs se revendiquent faussement de Georges Orwell sont, selon moi, d’une affligeante pauvreté, sur le plan de l’écriture.
Boualem Sansal qui joue à la victime, alors que tous ses romans sont en vente en Algérie avait déjà dans Le village de l’Allemand, cherché à falsifier l’Histoire en exposant l’idée selon laquelle le mouvement national avait soutenu les nazis. Ce qui est faux. Tous les historiens sont d’accord pour dire que le PPA-MTLD avait pris position contre le nazisme depuis 1937. Dans son ouvrage sur Messali el Hadj, Benjamin Stora expose des documents officiels du PPA condamnant le nazisme et Hitler. Tous les historiens sont unanimes, de Kaddache, André Julien, Ageron à Harbi ou Teguia, pour affirmer que les patriotes algériens (UDMA, PCA, Oulama ou PPA-MTLD) avaient pris position contre le nazisme.
Ce discours révisionniste et cette haine contre l’Algérie et les Algériens, que lui rapportent-ils ? Les Algériens seraient des idiots, vivraient dans une extrême obscurité, légitimant ainsi les positions du pouvoir en place dont il servait les desseins, du temps où il trônait à la tête d’une direction centrale. C’est ce qu’avait également développé Djemila Benhabib qui vient d’être sévèrement réprimandée pour plagiat au Québec où elle réside. Sansal n’arrête pas de déclarer dans la presse française que ses romans sont censurés en Algérie alors qu’il sait très bien qu’ils sont sur tous les étals des librairies. Et c’est une bonne chose. J’invite tous ceux qui liraient ma chronique de faire un tour dans les librairies pour constater que tous ses ouvrages sont en vente et d’ailleurs bien présentés en vitrine. Il déclare dans le bimestriel dirigé par Béchir Ben Yahmed « La revue » (novembre-décembre 2015, N° 57-58) que ses livres « rentraient dans les valises depuis la France et étaient distribués plus ou moins sous la table » et qu’il vivrait comme un « paria », « ostracisé, sinon persécuté en Algérie ». L’interviewer ajoute une couche en évoquant la persécution et en insistant sur une illusoire vie de « paria », alors qu’il est souvent célébré dans la presse en Algérie. L’un des très rares articles critiques est celui de l’universitaire, Abdelali Merdaci, qui, d’ailleurs, avait été traité de tous les noms par un journaliste de Mediapart qui considère qu’il était « menacé de prison pour avoir accepté l’invitation du Festival international de littérature de Jérusalem – où il rencontra David Grossman, comme lui lauréat du Prix pour la paix des libraires allemands –, Boualem Sansal est traîné dans la boue par une presse algérienne haineuse, aux ordres, cadenassée politiquement et mentalement. ». Le journaliste de Mediapart, ignorant probablement les règles éthiques et déontologiques, insulte sans aucune prudence méthodologique ni connaissance du terrain ses confrères et apporte une « information » sans prendre la peine de la vérifier. C’est ce qu’on appelle communément un « journalisme de caniveau »…
L’employé de Mediapart s’en prend ainsi, utilisant un vocabulaire grossier et outrancier, au seul universitaire, Abdelali Merdaci, qui a osé une critique défavorable des textes de Sansal : « Jetez un œil sur celui d’Abdellali Merdaci. On y trouve la technique des plumes mercenaires pratiquant la chasse aux opposants dans toute dictature. Merdaci (linguiste de l’université de Constantine) fait feu de tout bois en plaquant du sous-Bourdieu sur-interprété, avec une approche symptomatique : ôter toute racine algérienne à Sansal pour l’opposer aux écrivains israéliens, enracinés. Sa diatribe ressasse un complexe de décolonisé – requis par son tête-à-tête étouffant, rageur, vain et mystifié avec l’ancien maître –, dont a su s’affranchir, pour sa part, Boualem Sansal. ». Cette personne juge qu’elle seule a raison et que les journalistes et les universitaires algériens seraient des mercenaires. D’ailleurs, même l’interview publiée dans El Watan, réalisée par Hacen Ouali aurait été, selon lui, censurée, le jour même, le texte aurait été retiré du site. L’Algérien (comme masse informe, totalité) est toujours un sous-développé, incapable de penser et de réfléchir, il est l’éternel colonisé.
Boualem Sansal nous apprend également que les Algériens « ne s’écrivaient pas en Algérie, il n’y avait que des factures d’eau, de gaz ou d’électricité ». Il n’y avait donc plus de facteurs. Il poursuit l’interview en disant qu’il était interdit dans les universités algériennes : « Quand des professeurs étrangers invités en Algérie font travailler leurs étudiants, en leur distribuant des extraits photocopiés, on les prie également de ne pas m’inviter… ». Personnellement, j’ai dirigé et je dirige sans aucun préalable des travaux (mémoires et thèses) sur la production romanesque de Boualem Sansal. Il serait peut-être utile de jeter un parcourir le site Limag (un excellent espace s’intéressant aux littératures maghrébines, dirigé par notre ami, Charles Bonn) ou au registre des thèses du CERIST pour se rendre compte du nombre de communications, d’articles publiés et de thèses soutenues. Ses romans, Poste restante et Le serment des barbares ont été très bien vendus en Algérie, les autres vraisemblablement moins. Il se présente comme «persona non grata » en Algérie, alors qu’il vivrait en Algérie, selon ses dires.
Aujourd’hui, dans les maisons d’édition françaises, le fonds de commerce algérien commence à s’étioler au grand désenchantement de certains écrivains algériens qui sont capables de tout pour retrouver un fonds désormais presque perdu. Mais il faut savoir que leurs textes sont plus vendus en Algérie et lus par des lecteurs algériens ou d’origine algérienne. La liberté est indivisible. Liberté de création, liberté de critique, l’une ne pas sans l’autre. Mais il y a quelques écrivains algériens qui se sont imposés et s’imposent en France sans qu’ils soient obligés de sortir Camus à tout moment ou de chercher à vendre une Algérie qui fait partie de l’horizon d’attente de certains Européens. Mais dans cette France, il y a, il y a eu de grands écrivains, qui n’ont cessé et/ou ne cessent de révolutionner l’écriture, Kateb Yacine, Dib, Mammeri, Haddad, Djebar, Khan, Chouaki… sans tomber dans le piège de l’indigénisme, pour reprendre Malek Alloula.
Ahmed Cheniki

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