Accueil SPORTS Mesures contre la violence dans les stades : Un remède illusoire

Mesures contre la violence dans les stades : Un remède illusoire

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En réponse à la recrudescence des violences autour du football, la FAF propose, une fois de plus, l’interdiction des déplacements de supporters. Mais cette mesure, déjà inefficace la saison dernière, risque surtout d’enfermer davantage les clubs dans leurs rivalités locales et de nourrir encore plus les tensions.
Réunie en urgence mardi dernier au siège de Dely Brahim, la Fédération algérienne de football (FAF) a, une nouvelle fois, convoqué les présidents des clubs de Ligue 1, les représentants des institutions publiques et les corps sécuritaires. L’objectif affiché : contenir la violence et les discours haineux qui défigurent notre football. À l’issue de cette réunion, une proposition choc a émergé : interdire le déplacement des supporters visiteurs. Une décision déjà prise en fin de saison passée… sans aucun effet.
Car si l’intention paraît louable, l’efficacité reste largement discutable. Empêcher les supporters de se déplacer n’a jamais réglé le fond du problème. Au contraire, cela revient à isoler encore plus chaque camp, alimentant frustrations, fantasmes et inimitiés. Le football perd ainsi une de ses plus belles dimensions : le mélange des cultures, le respect de l’adversaire, l’ambiance de partage entre supporters venus de différentes wilayas. En entretenant ce cloisonnement, on alimente justement ce que l’on prétend combattre.

Un drame qui n’avait rien à voir avec le stade
Les tragiques événements survenus récemment en marge du déplacement du Mouloudia d’Alger à Biskra, où un supporter du MCA a tragiquement trouvé la mort, illustrent l’inefficacité de cette politique. Le convoi des supporters mouloudéens a été attaqué à Bir Nâam (Ouled Djellal) puis à Ben Srour (M’sila), loin du stade et loin même de la wilaya de Biskra.
Ces attaques n’ont pas été perpétrées par les supporters du club local, bien au contraire. À Biskra, les fans locaux ont accueilli leurs homologues d’Alger dans le calme et le respect, et ont quitté le stade sans incident malgré un résultat décevant.
Ces drames révèlent que les violences sont souvent détachées du match lui-même. Il s’agit d’un mal plus profond, enraciné dans les tensions sociales, l’insécurité routière, les clivages régionaux. La violence ne se cantonne plus aux tribunes. L’aborder uniquement sous l’angle du football, comme s’il s’agissait d’un simple problème sportif, revient à nier sa véritable nature. Ce n’est plus uniquement un problème de stade, mais un symptôme de fractures sociales bien plus vastes.

Les dérives ne viennent pas toujours des tribunes
À cela s’ajoutent d’autres événements qui fragilisent le discours fédéral. L’agression récente des joueurs et du staff du Paradou AC à Khenchela ne relève pas de l’action de supporters incontrôlables, mais bel et bien – selon le club lui-même – d’acteurs institutionnels locaux. Une violence issue des coulisses, qui interroge sur la responsabilité des dirigeants. Que dire alors d’une mesure visant les supporters, quand ce sont parfois les responsables eux-mêmes qui se rendent coupables d’agissements inacceptables ?

Arbitres protégés, erreurs ignorées
Autre sujet de mécontentement : la protection excessive des arbitres. Si la FAF se veut ferme envers les critiques publiques, elle reste étonnamment silencieuse sur les erreurs manifestes répétées. Le niveau de l’arbitrage ne cesse de baisser, en Ligue 1 comme en Ligue 2. Chaque journée charrie son lot de décisions litigieuses, parfois décisives. Et pourtant, rares sont les sanctions ou les remises en question.
Plutôt que d’ouvrir le débat, la Fédération verrouille la parole. Aujourd’hui, contester une décision d’arbitrage est devenu un tabou, presque un crime. Mais c’est précisément cette impunité, cette absence de correction, qui nuit à la qualité du jeu. Aucune formation, aussi sérieuse soit-elle, ne peut compenser l’absence de rigueur et de responsabilité. Le silence ne corrige pas les erreurs ; il les légitime.

Une répression brutale, un malaise ignoré
Mais l’un des facteurs les plus souvent oubliés dans cette équation reste le traitement infligé aux supporters eux-mêmes. Les images circulent, souvent filmées par téléphone, montrant des fouilles humiliantes, des violences gratuites, des répressions arbitraires. Des jeunes battus ou insultés sans motif valable, parfois simplement pour avoir chanté ou affiché les couleurs de leur club. Et ces jeunes ne sont pas des marginaux ou des fauteurs de troubles : ce sont des étudiants, des ingénieurs, des fonctionnaires, des pères de famille. Quand on traite un citoyen comme un sous-être, comment s’étonner ensuite de sa colère ?
Le sentiment d’injustice accumulé devient alors un terreau fertile pour la haine et la violence. On ne soigne pas une plaie en posant un pansement de travers. On ne résout pas un problème de violence en provoquant encore plus de frustration. Ce qu’il faut, ce n’est pas punir en masse, c’est traiter les causes. Comprendre pourquoi un supporter, pacifique au départ, bascule dans l’excès. Et très souvent, la réponse est simple : on l’a blessé dans sa dignité.

Changer de regard sur le problème
Le football algérien ne peut pas progresser s’il continue à traiter un problème de société comme un simple trouble de tribune. Oui, il faut agir. Oui, il faut protéger. Mais il faut surtout comprendre. Enfermer les supporters, museler les critiques et détourner le regard des vrais responsables ne peut mener qu’à plus de frustration, plus de haine, plus de violence.
L’avenir du football national passe par une lecture lucide des faits : les actes violents ne sont plus cantonnés aux gradins. Ils sont le reflet d’un malaise social généralisé, que la FAF ne pourra jamais résoudre seule – mais qu’elle peut, au moins, éviter d’aggraver par des décisions mal ciblées.
Et si, au lieu de bannir les supporters, on leur rendait leur dignité et leur place dans le football algérien ?
Mohamed Amine Toumiat

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