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Mémoire : El Hachemi Guerouabi, la voix chaude et virile du chaâbi

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El Hachemi Guerouabi est né le 6 janvier 1938 dans le quartier d’El Mouradia (ex la Redoute) et a grandi a Diar El Babor à Belouizdad (ex Belcourt). Adulé par tous les amateurs de chaâbi, ce grand chanteur algérien est mort le 17 juillet 2006 à Zéralda. Le « Rossignol », comme on le surnomme, a réussi à inscrire son nom parmi les grands interprètes de ce genre musical, à côté d’El Anka ou Dahmane El Harrachi.

Par Ali El Hadj Tahar

Comme tous les chanteurs de cette expression artistique issue du peuple, Guerouabi a chanté presque tous les thèmes : l’amour, la pauvreté, l’émigration, l’exil, l’amitié, la jeunesse, son amour pour son pays, l’Algérie, mais aussi les thèmes religieux : la foi en Allah, l’amour du Prophète, les fêtes religieuses… Ce natif du quartier populaire de Belcourt est un artiste trans-générationnel et sa popularité est toujours aussi forte chez les jeunes que chez les vieux. Comme tous les grands artistes du chaâbi, il n’a pas chanté pour les seuls Algérois mais pour une audience très large d’Algériens et même de Maghrébins puisqu’il est aussi écouté au-delà les frontières, en dépit du fait que les textes ne soient pas tous en arabe classique et que la compréhension du chaabi par des non initiés soit difficile.
Le père d’El Hachemi Guerouabi est originaire de Sour El Ghozlane, tandis que sa mère est de Tizi Ouzou. Cette union est l’expression d’une conscience nationale qui unissait les Algériens à une époque où la colonisation voulait diviser pour régner. Passionné de football, El Hachemi a grandi dans le quartier populaire de Belcourt et arrive même à faire partie de l’équipe de la Redoute AC en tant qu’ailier droit. Il a joué sa dernière saison de footballeur en 1951-52 afin de s’adonner à la musique et de commencer à gagner sa vie. Fan de Hadj M’rizek et de Mohamed Zerbout, il interprète leurs chansons et commence à révéler sa voix chaude et douce à la fois. Au music Hall El Arbi, il obtient deux prix, ce qui l’avantage pour rejoindre l’Opéra d’Alger en 1953, où il chante Magrounet Lehwahjeb. C’est le dramaturge et ténor Mahiedine Bachtarzi qui aide Guerouabi à démarrer sa carrière et à se propulser sur le devant de la scène.
Suave et forte, un peu rouillée voire, enrouée et trainante, la voix de Guerouabi est très virile mais elle permet de chanter toute sorte de sujets. C’est avec des artistes comme lui ainsi que Dahmane El Harrachi ou Ezzahi que le chaâbi a pu s’adapter et conquérir une audience en dépit de l’invasion des chansons occidentales et orientales, notamment égyptiennes. Il a su dépasser les textes lourds et incompréhensibles voire, anachroniques dont l’audience était limitée aux cercles restreints des initiés et des fêtes familiales algéroises. Pour cela, il a cependant fallu le génie créatif d’un auteur compositeur comme Mahboub Bati qui a permis à Guerouabi de connaitre les feux de la rampe. El Bareh et El Werqa, El Madi ou encore Allô allô sont des textes de Mahboub Bati qui a su trouver le sujet et le style adaptés à la voix nouvelle et jeune de Guerouabi, qui sans cela serait resté sous l’emprise de Hadj M’rizek et de Mohamed Zerbout, qui étaient certes des génies mais qui ne répondaient pas aux besoins d’expression de toute la jeunesse. Cependant, tout en cherchant à innover et à créer son propre style avec un langage arabe et algérois compréhensible et attrayant, Guerouabi n’a pas tourné le dos aux anciens : il a aussi interprété les qacidates classique du melhoun comme Youm El Djemâa, Koul nor et El Harraz.
Guerouabi appartient à la première génération d’interprètes à bouleverser le chaâbi d’Alger, ce genre citadin dérivé de la tradition andalouse, tout en puisant dans le répertoire poétique ancien du melhoun algérien ou marocain. Avec Abdelkader Chaou, Boudjemaa El Ankis, Ezzahi et d’autres, il a révolutionné un genre qui ne cesse de se développer. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le chaâbi n’est pas un style très ancien : il ne date que du début du 20e siècle. Résumant bien son appellation, ce genre populaire est spécifiquement algérois et donc algérien, contrairement à la musique andalouse qui, elle, est importée d’Andalousie et dont, il dérive, cependant. Il en dérive justement pour exprimer des préoccupations actuelles alors que l’andalou est une expression non seulement de la citadinité mais d’une vie bourgeoise, du moins aisée et sans soucis. L’andalou exprime une certaine dolce vita, un bonheur et une quiétude de l’esprit même s’il en traduit aussi les contradictions intérieures. Son thème central est l’amour, tandis que le chaabi a pour thème la vie, y compris les préoccupations socioéconomiques, le quotidien des gens de quelque condition qu’ils soient. La raison en est que le chaâbi est aussi issu du medh (chant religieux) et d’un autre genre musical algérois, le aroubi qui puise également ses modes dans la musique arabo-andalouse. Cheïkh Nador a donné ses lettres de noblesse au medh, et son élève Hadj M’hammed El Anka a commencé à animer des fêtes alors qu’il n’avait que 19 ans. A l’aise dans les gharamiattes (poésie courtoise), dans les mouachahattes (textes classiques arabo-andalous datant du XVIIe et du XVIIIe siècle, Guerouabi fait partie d’une génération talentueuse qui compte des interprètes comme Hadj M’Rizek, Hsissen, Dahmane El Harrachi, Maâzouz Bouadjadj, Amar Ezzahi et d’autres chanteurs plus récents.
A la fois sur le registre du medh et du chaâbi, Guerouabi a su offrir des textes forts et dépouillés, lisibles et donc modernes, tout en se basant sur une instrumentation axée sur son mandole, un cithare (qanoun), un banjo et deux percussions (derbouka et tar). Bien que son répertoire personnel, avec des compositions propres, il n’hésitait pas à interpréter les classiques du répertoire traditionnel du melhoun marocain, du chant classique (gharnati) ou populaire (hawzi) de Tlemcen. Guerouabi, l’interprète d’El Harraz, a sans conteste été un novateur dans le genre chaâbi, avec un style propre à lui. Il a laissé beaucoup d’enregistrements professionnels et amateurs, ainsi qu’une école aux nombreux adeptes et artistes qui honorent son nom. Au-delà de l’interprétation du qcid, dont El Harraz, Youm El Khemis ou encore Qorsan Yghennem, El Hachemi a participé à la modernisation du genre avec des chansons populaires, plaisantes, contribuant ainsi à vulgariser le chaâbi auprès du jeune public des années 1970.
Son don pour les arts de la scène et son caractère branché, ne tarderont pas à faire de lui «la super star de la chanson», opposée à l’image classique de son maître El Anka. Contrairement à ce dernier avec son éternelle chéchia, il s’affiche dans les habits de son temps, en habits classiques dans les années 1950 puis, dans les années 1960, avec «pattes d’éléphant» et chemise à col large. Les cheveux enduits de gomima, le gel d’antan, et avec pattes d’éléphant, il popularise le mandole guitare et multiplie des sketchs au théâtre et des apparitions à la télé. Cette image déteindra naturellement sur les artistes venus après lui. Et ils sont aussi nombreux, ceux qui tentent de suivre sa voie, dont Abderezzak Guennif, Sid Ali Lekkam, Athmane Rouibi, cheikh Dridi de Souk-Ahras… Quel que soit le niveau des autres interprètes, il n’en demeure pas moins qu’un jour, eux aussi, perpétueront ce patrimoine de la culture algérienne qui est en train de se délester de son machisme, de son sexisme et de l’algéroisisme et surtout de ses anciens tons archaïsants voire, réactionnaires et anti progressistes.
C’est le 4 juillet 2005, que Guerouabi a donné son dernier concert public, un récital de plus de trois heures au Théâtre de verdure d’Alger. Après une longue maladie, le diabète, et l’amputation d’une jambe, et suite à l’aggravation de son état de santé qui l’a fait entrer dans un coma profond, il est mort à l’âge de 68 ans. Il est enterré dans le cimetière d’El Madania.
Rappelons qu’il existe une association pour la préservation de l’art de Guerouabi et la sauvegarde du patrimoine chaâbi qui regroupe d’ailleurs plusieurs personnalités, à l’instar de Abdelkader Chaou, Nassima Chaabane, Dib Ayachi entre autres, ainsi que des amis de l’artiste. En outre, il a été instauré un grand prix El Hachemi Guerouabi destiné à faire la passerelle entre les jeunes talents et les piliers de la chanson algérienne et de la musique chaâbi. En outre, le journaliste Abdelkrim Tazaroute a consacré un livre au chantre du chaabi. Son titre « Guerouabi ou le triomphe du chaâbi”, aux editions ANEP, 2009.
A. E. T. 

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