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Financement du terrorisme au G5 Sahel à Ouagadougou et à la conférence de Paris : L’Algérie face au piège du jeu des stratégies de puissance

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La 2ème réunion de haut niveau des Ministres des Affaires religieuses et de Culte des pays du G5 Sahel à Ouagadougou pour réfléchir sur la question de l’extrémisme religieux et de la montée de la radicalisation s’ouvrait presque en même temps que la conférence sur la lutte contre le financement des groupes terroristes à Paris.

Les participants à la conférence « No money for terror » («Pas d’argent pour le terrorisme») sur le financement du terrorisme savent pourtant qu’ils continueront à payer les terroristes dans certains cas où la raison stratégique prendra le pas sur la raison tout court. L’Algérie risque, encore une fois, serions-nous tentés de dire, d’être prise au dépourvu. Premier pays à réclamer officiellement, devant les institutions internationales, à criminaliser l’acte de donner des rançons aux groupes terroristes, elle est aussi, et souvent, le premier pays à tomber sous le coup du retour de flamme de cet argent gagné par le terrorisme et recycler dans l’achat d’armes et de recrues pour faire tourner plus longtemps la roue de la violence et s’en venir frapper l’Algérie ou aux portes de l’Algérie.

Les Occidentaux paient cash au prix fort
La France, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, la Suisse, les États Unis, la Grande-Bretagne, etc ont, tous, à un moment ou à un autre, payé des rançons au profit des groupes armés du Sahel, Al Qaïda au Maghreb, le Mujao ou Daesh, lesquels sont venus par la suite frapper des cibles algériennes. Ce ne sont pas les États qui payent directement, pour ne pas se mouiller, mais souvent, l’argent est remis aux terroristes par le biais de « circuits intégrés », comprendre par des tiers qui jouent le rôle d’interface entre les preneurs d’otages et les États auxquels appartiennent les ressortissants kidnappés. L’argent gagné par les terroristes au Sahel est très important et comme le Sahel c’est une zone située loin des pays « bailleurs de fonds », ce sont les pays voisins qui payent cash la violence de cet argent recyclé. Un exemple édifiant, l’argent remis aux éléments du Mujao, affiliés à Daesh depuis peu, par des entreprises italiennes via des intermédiaires libyens. Les dix millions payés par l’Italie au Mujao, un groupe terroriste du Sud de la Libye, ont permis la libération rapide de leurs deux otages. Quand l’Italie annonçait la libération de Danilo Calonego et Bruno Cacace grâce à une collaboration efficace avec les forces spéciales des autorités locales libyennes, les connaisseurs du dossier ont souri. Libérés au bout de quarante jours au début du mois de novembre 2016, les deux Italiens avaient été kidnappés en compagnie du Canadien Frank Poccia, en septembre 2016 à Ghat, dans le Sud-ouest du pays. Tous travaillaient pour une entreprise italienne chargée de la maintenance de l’aéroport de cette oasis saharienne. Le groupe armé qui a maintenu la discrétion sur son appartenance, avait bloqué le véhicule des trois hommes et les avait enlevés. La médiation fut active et le « dédommagement » substantiel, apparemment dix millions d’euros. Les trois hommes ont été libérés et ramenés, le 5 novembre en Italie, par vol spécial. Ancienne puissance coloniale, l’Italie est très présente en Libye et s’implique énergiquement dans les tentatives de rétablissement d’un État libyen stable. De nombreuses sociétés italiennes travaillent dans le pays, bien que le personnel expatrié a plusieurs fois été victime d’enlèvements au cours de ces dernières années.

L’industrie du rapt
L’affaire Danilo Calonego-Bruno Cacace est très édifiante sur ce qu’il convient de qualifier d’ « industrie du rapt ». Les techniciens italiens ont été, d’abord kidnappés, maintenus dans un endroit au Fezzan libyen, vaste zone désertique aride et très riche en hydrocarbures, devenue depuis la chute de Kadafi, le repaire des groupes armés, principalement Al Qaïda et le Mouvement de l’unicité et du Jihad en Afrique de l’Ouest. Comme dans toutes les opérations de ce type qui se déroulent au Sahel, les otages étrangers sont, d’abord dirigés vers un lieu sûr. Quarante-huit heures à une semaine sont souvent nécessaires pour éviter d’être pisté et pourchassé. C’est la phase numéro 1 de « l’industrie du rapt », la plus dangereuse et la plus travaillée sur le plan planification et opérationnel. Comme toute opération de lancement d’une industrie, elle est menée avec la minutie d’un métronome, mais aussi parfois improvisée, si une occasion impromptue se présente d’elle-même. Le tout est d’avoir une « machine » rodée. Survint alors la seconde phase, celle de la médiation. Dans les zones où cette industrie fait florès, il existe des notables locaux, connus et respectables. Ce sont eux à qui l’on adresse les doléances. L’État sur le sol duquel le rapt a été opéré les sollicite. Et ceux-ci se mettent à la recherche des auteurs du rapt, qui ne tardent pas à se manifester. Parfois, ce sont eux-mêmes qui contactent les médiateurs et présentent leur unique revendication : le prix de la rançon. La rançon est négociable. Plaçant la barre haute, les terroristes négocient, revoient à la baisse, « bluffent » et finissent par vendre « au rabais » leurs « marchandises » si le négociateur est rompu à l’art de la libération, ou si l’otage ne présente pas des «atouts» intéressants. Si l’État étranger consent à libérer vite ses ressortissants, c’est justement le cas dans toutes les affaires, surtout si l’otage est une femme, qui est souvent « cédée » « à moindre coût », la négociation avance alors très vite. Évidemment, le prix dépend de la qualité du détenu. Avant d’en fixer un montant en euros. Des otages étrangers «insignifiants» ont été relâchés «gratis», et les capitales occidentales le savent bien. La troisième phase est celle de la libération. C’est la moins compliquée, mais jamais simple. C’est la phase du « marketing » et du coup de pub. Après avoir empoché la rançon en liquide, vérifié l’authenticité des billets, l’otage est alors bien traité, « briefé », le lieu du « largage » choisi avec soin, des sentinelles, des informateurs et des « relais » mobilisés pour sécuriser l’itinéraire. L’argent de la rançon en poche, les auteurs du rapt disparaissent, se taisent. Les États peuvent alors pavoiser, dirent qu’ils ont pu arracher courageusement leurs ressortissants des griffes des terroristes. C’est la phase mensonge et manipulation officielle de l’opinion. Ceux qui connaissent les réalités du terrain ne contrediront pas les États : cela ne les intéresse pas. L’argent en poche, ils vaquent à leur quotidien. Finalement, il n’y a pas uniquement des kidnappeurs et des otages ; il y a aussi des indicateurs, des pisteurs, des intermédiaires, des négociateurs (qui jouent souvent à l’agent double), qui font relever ou baisser le prix de la rançon, qui font réussir ou échouer la prise d’otage, et la rançon, au final, fait vivre tout un univers qui s’articule autour de cette « industrie ».
F.O.

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