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«État civil» et autres concepts…

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Par Ali El Hadj Tahar

Les revendications du Hirak post-Bouteflika expriment un besoin profond de démocratie, besoin partagé par tous les Algériens. Et c’est en ce sens que le président de la République a tendu la main afin de « tourner la page des différends, de la discorde et de la division, qui sont des facteurs de destruction et de désintégration». La réponse est une certaine fébrilité en vue de la désignation de leaders du Hirak, avec liste et contre-liste, coups bas et peaux de bananes, comme on l’a observé durant l’été. D’autres continuent à refuser tout dialogue…
Cependant, quelles que soient les positions, des revendications à caractère politique doivent être définies avec précision, afin de les voir se concrétiser. L’éthique d’une opposition lui impose aussi de veiller à l’utilisation juste des concepts, car leur manipulation fallacieuse peut avoir un effet destructeur sur les masses, si tant est que l’on ne voit pas les citoyens comme des foules à manipuler. Le mouvement post-Bouteflika a de nombreuses revendications, mais toutes peuvent être résumées en une seule : « État civil » et non « État militaire », « dawla madania, machi 3askaria ». Les deux concepts ne signifient rien, ni en sciences politiques ni en sociologie. Le terme état civil — marital status en anglais et « hala madania » en arabe — est la situation d’une personne dans la société, ou encore l’ensemble des qualités de cette personne auxquelles la loi civile attache des effets juridiques. Le nouveau concept de « dawla madania » a été utilisé pour la première fois par un leader du parti dissous, qui refusait d’employer le terme de démocratie car elle est antithétique avec la « choura » de la « République islamique » qu’il voulait instaurer en Algérie.
En introduisant le nouveau concept, ce leader n’a donc pas produit le détournement de sens qu’en font les francophones qui parlent d’ »État civil ». La séparation du champ civil du champ militaire a été définie par Samuel P. Huntington dans The Soldier and the State (Le soldat et l’État, 1957) et il la désigne par Civilian control of the military, que les français traduisent parfois par contrôle civil du militaire. Ce domaine de la relation du politique et du militaire a donné naissance à des branches des sciences sociales et des sciences politiques qui, même en Afrique et chez nos voisins tunisiens, a produit de grands spécialistes, puisque les premiers livres africains sur la question datent des années 1960. Pendant ce temps, les Algériens non seulement utilisent une terminologie fausse, mais emploient d’autres concepts de manière fallacieuse, avec les risques de radicalisation que cela induit sur les masses.
En sociologie militaire et en sciences politiques, le concept de dictature est, lui aussi, clairement défini, tout comme celui de dictature militaire, junte militaire, régime, système, régime autoritaire, despotique, fasciste… Employés à tort et à travers, détournés de leur vrai sens, les concepts servent à fanatiser les foules. L’Algérie n’a jamais été une dictature, et si l’armée algérienne est intervenue dans le champ politique, c’est dans le sens positif de ce que les sociologues militaires appellent armée développementaliste qui, elle, est mue par des objectifs de modernisation et de progrès économique et social. Seules quelques armées au monde ont joué ce rôle-là, contrairement aux juntes militaires imposées par l’impérialisme.
Le combat légitime pour la démocratie impose de ne pas tomber dans les pièges tendus par les ennemis de la démocratie. Cette dernière consiste en des phases de structuration et de consolidation, avec des avancées lentes et même des reculs brusques. L’Algérie, qui est en transition démocratique — pour utiliser la terminologie exacte — depuis 1989, n’a jamais été une dictature, en plus de n’avoir jamais eu un dictateur sanguinaire comme Stroessner, Somoza, Bébé Doc ou Papa Doc, Castillo Armas, César Montenegro, Efraín Montt…Elle n’a eu ni Franco, ni Videla, Pol Pot ou Suharto… Les mots ne blessent pas seulement ceux qu’ils visent, ils poussent les jeunes à la violence, comme on le voit encore en Syrie.
A. E. T.

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