Dans deux mois, plus précisément, le 2 août prochain, le délai supplémentaire de trois années que le ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville avait accordé, en 2013, à l’expiration de celui initial de cinq années fixé par la loi 08-15 du 20 juillet 2008 «fixant les règles de mise en conformité des constructions et leur achèvement», aux propriétaires –personnes physiques ou morales– de constructions non achevées, construites sans respect de la procédure réglementaire en application ou dérogeant aux règles de l’urbanisme en vigueur, de se mettre au diapason de la réglementation en vigueur, viendra à expiration, lui aussi.
À cette date, en effet, les bureaux ad hoc installés au niveau des 1 541 APC du pays cesseront de recevoir les dossiers de citoyens souhaitant bénéficier des dispositions de la loi en question. En clair, d’obtenir la régularisation définitive de la situation d’ensemble de leur construction. C’est ce qui, il faut le dire, a été explicitement prévu dans la décision portant prolongation, de trois années, du délai initial de cinq années, prise en 2013. Et qui nous a été expressément confirmé, avant-hier, par Hadj-Ahmed Maïz, directeur de l’urbanisme au ministère de l’Habitat
Expiration du délai ne signifie pas arrêt du traitement des dossiers déposés
Sauf que ce dernier a pris le soin, à l’évidence, dans le clair souci, d’apaiser les craintes des citoyens concernés de se retrouver, au-delà, dans une situation difficile, d’expliciter ses propos: «L’expiration du délai ne signifie aucunement la fin du traitement des dossiers déposés», nous a-t-il, en effet, déclaré. Tenant à lever toute ambiguïté à ce propos et, partant, à tranquilliser tous ceux qui, ayant déjà déposé un dossier, sont toujours dans l’attente de son traitement, il a ajouté que «le traitement des dossiers déposés se poursuivra au-delà du 2 août, et ne prendra fin qu’après épuisement total de tous ceux qui l’ont été». Une clarification qui a tout l’air d’une incitation à ceux, concernés par les dispositions de la loi en question, qui ne l’ont pas encore fait –à savoir, déposer leur dossier–, à le faire avant l’expiration précitée du délai arrêté. Laquelle (incitation) sonne comme une reconnaissance implicite que les objectifs de la loi 08-15 n’ont pas été atteints. Une déduction que confirment quelque peu les propos de Maïz sur l’insatisfaction de la tutelle quant aux résultats obtenus jusque-là: «On s’attendait à plus; surtout que la loi n’a pas un caractère contraignant, mais est basée sur le principe de la déclaration volontaire de l’intéressé». Ramenés au nombre de «465 535 dossiers déposés», depuis l’entrée en vigueur de la loi et jusqu’au «31 mars dernier», ces propos laissent supposer, en effet, que le nombre de constructions concernées est autrement plus important. Il était, selon Abdelhamid Boudaoud, président du Collège national des experts architectes (CNEA), «en 2008, de quelque 1,2 million de constructions». Une estimation partagée par Abdelhak Boumdèche, directeur d’un BET d’architecture installé à Bab Ezzouar, qui, comme son confrère, est régulièrement «confronté» à l’application de la loi 08-15: comme son confrère, il a été à maintes reprises sollicité par des citoyens souhaitant régulariser la situation de leur construction, et ce, pour la description technique de celle-ci et la réalisation du rapport photographique qui doit impérativement l’accompagner; deux pièces constitutives du dossier (de régularisation) à déposer auprès de l’APC. Mais à laquelle (l’estimation) a refusé de souscrire le directeur de l’urbanisme du ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville: «Cela n’engage que ceux qui avancent une telle estimation», nous a déclaré Maïz. Qui n’a pas manqué d’ajouter à l’appui de ses propos, non sans rappeler, au passage, le principe déclaratif sur laquelle elle est basée, que «la loi 08-15 n’est pas venue pour résoudre un nombre précis de cas, mais pour tenter d’apporter une solution à un phénomène qui n’a pas lieu d’être ».
Divergences sur les causes du non engouement relatif des citoyens pour la loi 08-15
Cette divergence, apparente, du moins, sur le nombre de constructions concernées par les différentes dispositions de la loi en question n’est pas la seule existant entre le représentant du ministère en charge du secteur de l’Habitat et les deux professionnels susmentionnés. D’autres existent, qui ont trait aux causes du non engouement –relatif, pour le premier; certain, pour les deux autres– du non engouement des citoyens pour cette loi censée pourtant leur apporter «une voie de sortie» de la situation, pour reprendre les propos de Maïz, «en porte-à-faux avec la réglementation en vigueur en matière de construction et d’urbanisme», dans laquelle ils se trouvent. Celui-ci s’en est, en effet, tenu pour l’expliquer à des causes liées aux motivations réelles des citoyens «non emballés» par cette loi. Et de préciser: «Certains ne veulent pas régulariser leur situation, parce qu’ils semblent convaincus qu’ils n’encourent absolument rien en adoptant une telle position; d’autres, parce qu’ils semblent ignorants des retombées d’une telle attitude ; et un dernier groupe, par calcul: en refusant de régulariser leur situation, ils pensent ainsi éviter, dans l’objectif inavoué de profiter des autres dispositifs existants d’acquisition de logement, leur inscription sur le fichier national du logement». Alors que les architectes Boudaoud et Boumdèche le justifient par une série de défaillances dans la loi, elle-même, et dans les moyens, matériels et humains, mis à contribution pour son application sur le terrain. Pour Abdelhak Boumdèche, «c’est le caractère trop général de la loi qui pose problème». Et ce, de par le fait qu’il permet «des interprétations différentes de ses dispositions»: «Chaque APC du pays a son interprétation de la 08-15», nous a-t-il, en effet, déclaré à ce propos. Une situation que, selon lui, «l’absence de textes d’application –depuis sa promulgation, en 2008, un seul (du genre) a été établi, nous a-t-il déclaré– a davantage compliqué». À titre d’exemple, notre interlocuteur nous a déclaré que, «dans les communes de Gué-de-Constantine et de Bordj-el-Bahri, dans la wilaya d’Alger, il est impérativement exigé que le dépôt du dossier soit fait par le concerné, alors que dans d’autres il est accepté que cela soit fait par l’architecte qui a établi le rapport technique et le rapport photographique sur la construction objet de la demande de régularisation introduite». Dans la lancée, rejoignant en cela les propos que nous a tenus Abdelhamid Boudaoud, il a posé le problème des compétences techniques des agents chargés du traitement des dossiers au niveau des APC; un problème d’autant plus pertinent que, ont convenu les deux, «le dossier déposé contient des pièces, techniques et juridiques, dont l’appréciation ne peut être convenablement faite que par des spécialistes». Comme c’est le cas, nous a-t-il dit, des rapports technique et photographique précités. Du fait qu’ils sont établis «par des architectes assermentés et qu’ils révèlent la double conformité de la construction avec la réalité, pour le rapport photographique, et les règles d’urbanisme en vigueur, pour celui technique». Un problème auquel vient se greffer, d’après le président du Collège nationale des experts architectes et comme nous l’avons vérifié de visu à l’APC de Gué-de-Constantine, celui «du nombre restreint des agents affectés au bureau chargé de la réception des dossiers de régularisation». «Dans toutes les APC du pays, la moyenne est de deux à trois agents par bureau», nous a déclaré Abdelhamid Boudaoud. Deux problèmes (la faiblesse des effectifs et, en général, l’absence de qualification technique et juridique des agents en question) qui sont, selon les deux architectes, «derrière les retards constatés dans le traitement des dossiers déposés».
«L’enquête foncière, une voie de garage…»
Des retards auxquels contribuent la complexité des cas que lesdits agents ont eus à traiter; une complexité à laquelle n’est pas étrangère la question du foncier. En clair, à la nature juridique du terrain sur lequel a été érigée la construction objet de la demande de régularisation. Qui a fait que, selon Boumdèche et pour nous en tenir à la seule commune de Gué-de-Constantine, «90% des gens qui y ont construit n’ont pas d’actes de propriété, mais de simples décisions qui leur ont été délivrées du temps des DEC (Délégations exécutives communales)». Une information, au demeurant, largement confirmée par les statistiques qui nous ont été communiquées par le bureau en charge de l’opération de régularisation, de l’APC de cette commune. Couvrant la période allant de 2008 au 25 mai 2016, celles-ci révèlent que sur les «2 228 dossiers envoyés à la commission de daïra, sur les 2 883 reçus à l’APC», 1 031 font actuellement l’objet d’une enquête foncière par les services compétents de la direction des Domaines de la wilaya d’Alger. Et ce, pour déterminer leur nature juridique. Ce problème du foncier, et les retards qu’ils occasionnent dans le traitement final des dossiers déposés et, partant, dans la régularisation des constructions érigées en porte-à-faux avec la législation en vigueur, est compliqué par l’existence d’autres cas qui rendent l’obtention des actes de propriété –pièce absolument nécessaire dans le dossier exigé à cet effet– parfaitement ardue; quand elle n’est pas quasiment impossible: nombre de constructions, nous a déclaré Boumdèche, «ayant été érigées sur des terres anciennement agricoles, comme c’est le cas à Khraïcia, ou sur des propriétés constituées sous le régime de l’indivis, comme c’est le cas à Rouiba». Des cas qui ont fait dire à un architecte que nous avons rencontré à l’APC de Gué-de-Constantine, mais qui a préféré s’exprimer sous le couvert de l’anonymat, que «les enquêtes foncières ne sont qu’une voie de garage dans laquelle sont placés, par les commissions de daïra, les dossiers présentant une certaine complexité…»
« Une loi mort-née… »
Pour rester avec la complexité des cas à l’origine des retards dans le traitement des dossiers de régularisation déposés auprès des APC, nos interlocuteurs n’ont pas manqué de nous citer le problème du permis de construire: celles-ci refusant ceux délivrés par les… APC et exigeant des permis avalisés par la DUCH. Une exigence qui n’est pas sans alourdir encore plus l’opération de traitement des dossiers et, partant, de régularisation des constructions en porte-à-faux avec la réglementation. Surtout que la régularisation projetée vise, entre autres, à lever la contrainte de l’absence de permis de construire dans les constructions réalisées ou non achevées. Et ce, comme l’atteste le fait que l’identification des quatre cas de figure de constructions concernées par la loi 08-15, y fait à chaque fois référence: celle-ci parle, en effet, de construction «non achevée avec permis de construire»; de construction «achevée (mais) non conforme au permis délivré»; de construction «achevée (mais) sans permis de construire; et de construction «non achevée (et) sans permis de construire». Et le fait que les solutions aux deux derniers cas, où l’absence de permis de construire est avérée, est précisément «la délivrance de permis, à titre de régulation, pour le troisième cas, et pour achèvement à titre de régulation, pour le quatrième cas». Une complexité de la situation sur le terrain et le caractère général de la loi 08-15 qui ont tôt fait d’être relevés par Boudaoud. Instruit par l’échec de deux textes précédents promulgués dans le même objectif de régularisation des constructions non achevées alors ou non conformes à la législation de l’époque, «un décret de 1965 et le décret 85-212 du mois d’août 1985», nous a-t-il précisé, il n’a pas hésité, «dès la promulgation de celle-ci», nous a-t-il dit, à dire à Nourredine Moussa, le ministre en charge alors du secteur de l’Habitat, que la «08-15 était une loi mort-née».
« Pour une loi plus souple »
Un constat tranché qu’il a également motivé et «par l’absence de médiatisation de la loi» et par les défaillances avérées des APC dans son application»; des défaillances parfaitement illustrées, nous a-t-il déclaré, «par les moyens dérisoires tant humains que matériels qu’elles ont mobilisés pour la concrétisation des dispositions de cette loi». Mais également, par l’implication dans le traitement des dossiers de régularisation des daïras: «Ce sont les APC qui supportent ce problème et c’est à elles à le régler». Comment ? Par la promulgation, selon Boumdèche, «d’une nouvelle loi plus souple»; dans le sens où, nous a-t-il précisé, «elle ne serait pas astreinte à une quelconque échéance de temps et qui prendrait en considération, dans les démarches proposées pour résoudre les problèmes recensés, les spécificités locales, propres, à chaque commune ou groupe de communes». Une perspective sur laquelle Maïz Hadj-Ahmed, directeur de l’urbanisme au ministère de l’Habitat, n’a pas voulu se prononcer. Il s’est contenté de nous répondre que «le délai de validité de la loi 08-15 arrivant à bientôt expiration, le ministère en fera le bilan et tirera assurément les conclusions idoines pour la résolution définitive des problèmes pour lesquelles elle a été promulguée». Est-ce, là, une manière diplomatique de suggérer que le ministère reste ouvert à toutes les propositions susceptibles de contribuer et de hâter cette résolution; y compris à aller vers la promulgation d’une nouvelle loi plus souple? Il reste à le souhaiter. Pour le bien du secteur, du pays et de ses habitants…
Mourad Bendris