Lileana Diaz a patienté cinq heures devant un supermarché de Valencia, avec le mince espoir d’acheter un poulet, mais elle repart bredouille : au Venezuela, la pénurie des biens de première nécessité se fait plus criante encore loin de la capitale. «Je suis arrivée à cinq heures et demie du matin et je n’ai rien pu acheter», se désole cette femme de 49 ans, réceptionniste aux urgences de l’hôpital de Valencia, une ville industrielle de 900.000 habitants à l’ouest de Caracas. «Ce n’est pas possible d’avoir à travailler et en plus, de devoir faire ces queues pour revenir les mains vides !» proteste-t-elle auprès de l’AFP. Café, huile, farine de maïs, jambon, lessive… Valencia a beau abriter d’importantes usines, la liste des produits manquant dans les rayons s’allonge un peu plus chaque jour. Le poulet est l’un des plus recherchés depuis des mois. De nombreuses femmes sont dans le cas de Lileana. L’une d’elles raconte qu’il y a peu, des personnes exaspérées d’attendre ont sauté par-dessus la grille pour s’approcher du magasin, obligeant la police à intervenir. Une autre montre le bleu sur sa jambe droite, blessure de guerre après avoir dû se battre pour des couches jetables. Ces dernières semaines, les files d’attente ont semblé encore s’allonger, surtout dans les villes de l’intérieur du pays comme Maracaibo (ouest), Puerto Ordaz (sud) et Cumana (est). La presse vénézuélienne a raconté les situations de tension, voire les débordements de colère d’une foule frustrée de ne jamais rien trouver. Le 31 juillet, le pillage de deux commerces à San Félix (sud) s’était soldé par un mort et des dizaines de personnes arrêtées. Si la situation est plus grave loin de la capitale, c’est parce qu’historiquement, les gouvernements tentent toujours de «minimiser» à Caracas «les problèmes répandus sur le territoire national», explique à l’AFP l’économiste Pedro Palma.
«Les files de l’espoir»
«Il vaut mieux éviter des situations critiques à Caracas, pour ne pas arriver à une explosion sociale aux conséquences réellement dramatiques», ajoute-t-il. En dernière position dans la queue, Egné Casano, femme au foyer de 28 ans, raconte que dans la capitale, la situation est «un petit peu meilleure» : «J’y suis allée il y a peu et j’ai vu qu’il y avait plus d’offre.» A l’entrée d’un supermarché de Valencia, la file d’attente s’allonge sur une cinquantaine de mètres. «On a les a baptisées +les files de l’espoir+ car une fois à l’intérieur, dans les rayons, il n’y a rien», commente avec humour Oscar Orote, cuisinier de 53 ans, habitué à cette attente.
Avant, les gens faisaient la queue en sachant déjà à l’avance quel produit ils pourraient acheter, raconte-t-il. «Maintenant les gens font la queue, mais ils ne savent pas ce qui est vendu.» Beaucoup d’habitants parcourent les supermarchés et épiceries de la ville pour se fournir en produits basiques, dont les tarifs sont régulés par le gouvernement.
Certains le font aussi à leur profit, pour les revendre beaucoup plus cher sur le marché noir. Une activité bien sûr illégale, connue comme le «bachaqueo» et critiquée par les économistes comme un facteur aggravant de la pénurie. Mais quelle pénurie ? Depuis mars 2014, la Banque centrale du Venezuela a cessé de publier les statistiques à ce sujet.
À cette époque, le taux de pénurie, sur le panier moyen de la ménagère, atteignait 29,4%. Plusieurs sociétés d’analyses estiment que le taux a considérablement empiré depuis, alors que le pays voit fondre ses recettes avec la chute des cours du pétrole.
Humour, résignation ou colère : ces trois sentiments cohabitent dans les queues d’un autre supermarché de Valencia, où plus de 600 personnes attendent, sous un soleil de plomb, de pouvoir acheter un produit aussi basique que du lait en poudre.
Pour éviter les débordements, une dizaine d’agents sont disposés près de l’entrée, laissant passer des groupes de 50 personnes à chaque fois. «Aujourd’hui, ça a été mon jour de chance», sourit Graciela Duran, une retraitée qui a obtenu du lait au bout de quatre heures d’attente. «Parfois je viens et il n’y a rien.»