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Syrie : dans Kobané, libérée mais détruite

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Pour entrer dans Kobané depuis la frontière turque, il faut enjamber les rails de la ligne Berlin-Bagdad. On passe des militaires turcs aux miliciens kurdes en longeant le flanc d’une gare ottomane, qui a longtemps été la principale curiosité de la ville. Derrière une porte de métal s’ouvre l’avenue des Douanes : ce qu’il en reste, du ciel entre deux rangées de bâtiments crevés, de piliers nus et de toitures écroulées au sol. À 200 mètres au Sud, sur le rond-point de la place de la Paix, deux gros oiseaux de bétons blanchis à la chaux, presque intacts. Ils ont miraculeusement échappé au désastre. Les djihadistes de l’État islamique (EI) se sont battus de la fin septembre 2014 à novembre pour couper cette voie de ravitaillement vitale pour la ville, qui comptait avant la guerre quelque 70 000 habitants. Puis ils ont été repoussés vers l’Est, rue par rue, durant plus de deux mois. Les Unités de protection du peuple (YPG, affiliées au Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, séparatiste, interdit en Turquie), aidées de peshmergas venus du Kurdistan irakien et de rebelles arabes de l’Armée syrienne libre (ASL), les y ont contraints. Ils ont reçu l’appui de plus de 700 frappes aériennes de la coalition internationale menée par les États-Unis. Soit près des trois quarts des bombardements qui ont visé l’EI en Syrie. Les YPG affirment avoir chassé, depuis mardi 27 janvier, les derniers djihadistes du quartier de Mektele, à l’extrémité sud-est de la ville. Elles revendiquent «une victoire pour l’humanité, une victoire contre la barbarie et la brutalité de Daech [acronyme arabe de l’EI] ». Depuis la place de la Paix, ce qui reste de Kobané se situe à main droite : dans une poche qui représente un peu plus d’un dixième de la ville, les quartiers Ouest, où vivent tous les civils. Des combattants y passent en voiture, visages plombés de fatigue, levant des trombes de poussière. Parmi eux, on aperçoit un adolescent qui n’a probablement pas 15 ans, en uniforme, une kalachnikov en main. Le reste de la ville est en ruines. Sur l’avenue qui mène à Jarablous, à l’Ouest, Faradoun, 13 ans, traîne dans le magasin d’un parent mécanicien. Les garages de l’avenue ont été transformés en manufactures d’armes. Faradoun est resté en ville durant tout le conflit, il a travaillé à l’atelier. Il s’apprête à aider à nettoyer la carcasse d’un canon antiaérien soviétique, partiellement brûlé. D’autres habitants sont revenus de leur exil en Turquie (200 000 réfugiés depuis la mi-septembre) depuis un peu plus d’un mois, famille après famille. Les autorités turques et kurdes limitent encore ces passages. Les YPG leur interdisent de s’installer dans le centre et l’est de la ville. « Nous sommes très heureux et fiers d’avoir battu Daech. Mais il y a eu tant de morts… », raconte Adla Kassou, 41 ans, qui a perdu un frère dans les combats. Elle est revenue en ville il y a dix jours. Sa famille étendue, d’une dizaine de membres, trouve de l’eau dans un puits voisin. Les YPG fournissent l’essence pour un générateur. On en entend vrombir à tous les coins de rue.
La province reste aux mains de l’EI «Nous nettoyons les rues, nous allons construire un camp de tentes sous les arbres derrière les quartiers Ouest», explique Mohammed Saïdi, le chef de l’administration municipale, sous le seul minaret encore debout. «Dans l’est, nous aurons d’abord besoin de bulldozers pour dégager les corps des décombres», qui pourrissent et empuantissent la ville. «Mais nous ne pourrons jamais reconstruire seuls, il nous faudra de l’aide», ajoute-t-il. Pas rebuté par l’ampleur de la tâche, l’administrateur a commencé à faire le bilan des destructions. Il voudrait évaluer le montant des travaux rue par rue. Une chose simplifiera le travail de cette administration : la ville est aux mains d’une seule organisation, le Parti de l’union démocratique (PYD), émanation en Syrie du PKK. Depuis que le régime de Bachar Al-Assad a abandonné la région aux Kurdes en 2012, le PKK, d’inspiration marxiste, a pris le contrôle de Kobané et des deux autres régions kurdes de Syrie. Après l’attaque de l’EI, les autres partis kurdes ont quitté la ville.
Pour reconstruire, les autorités du Kurdistan syrien devront s’entendre avec la Turquie voisine, où le PKK a mené durant trente ans une insurrection qui a fait 40 000 morts. La Turquie a laissé passer civils, combattants et approvisionnement durant la bataille. Elle l’a fait discrètement, en multipliant les embûches. Elle a aussi laissé passer à grand bruit, fin octobre, les 150 peshmergas venus d’Irak. Mardi, le président de la région autonome kurde d’Irak, Massoud Barzani, rival du PKK, a remercié M. Erdogan pour son rôle dans « le sauvetage » de Kobané.
Enfin, si les Kurdes de Syrie ont reconquis la ville, la province de Kobané reste aux mains des djihadistes. Les Kurdes affirment avoir « libéré » une demi-douzaine de villages, situés entre 4 et 8 kilomètres autour de la ville. Pour pousser plus loin sans attendre un retrait de l’EI, ils devraient progresser en terrain découvert. Il leur faudrait des armes lourdes, des blindés et des chars, ce qu’ils n’ont pas, à l’inverse de l’État islamique.

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