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Mémoire : Ali Maâchi, le chanteur de l’Algérie éternel tombé au champ d’honneur

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Ali Maâchi est né à Tiaret, 12 août 1927. Il est assassiné le 8 juin 1958 par les forces colonialistes. Ce poète et chanteur algérien connu pour ses chansons à caractère militant pour l’indépendance a profondément marqué la vie artistique et culturelle nationale par la force de son œuvre, pourtant jeune et suspendue par les balles assassines des colonialistes.

Par Ali El Hadj Tahar

En effet, Ali est enlevé par les soldats de l’armée française le 8 juin 1958 avec deux de ses compagnons, Mohamed Djehlane et Djilali Bensotra. Ils sont alors sauvagement torturés dans puis criblés de balles dans les pins à l’entrée nord de Tiaret, avant d’être transportés et exhibés sur la place Carnot, actuelle Place des Martyrs. Exhiber les corps des martyrs était une pratique courante chez les forces françaises, qui croyaient frapper les esprits et apeurer les moudjahidine et la population mais qui ne faisaient que révéler la barbarie d’une colonisation qui se présentait comme civilisatrice.
Né à Tiaret, dans le quartier de Rass Essouk, Ali y est élevé au sein d’une famille pauvre, ce qui le contraint à abandonner ses études primaires pour aider son père agriculteur. En 1949, il fait son service militaire à la base maritime de Bizerte, en Tunisie, ce qui lui permet au moins d’apprendre un métier.
À la fin de son service, il s’installe à Alger et travaille comme technicien à Radio-Alger où il côtoie de nombreux artistes. Il ne pouvait trouver meilleur environnement, lui qui aimait déjà chanter. Plongé dans ce bain culturel, il commence à écrire et à chanter et se révéler son talent.
Rappelons que c’est Boudali Safir, qui était le directeur artistique des émissions en arabe et berbère de Radio-Alger, et ce dès 1947, et que Khelifi Ahmed avait été chargé de la direction de l’orchestre bédouin qu’il venait de créer en même temps qu’un orchestre andalou.
Curieux, Ali Maâchi voyage beaucoup à la recherche d’un ancrage et de son destin. En 1953, il fonde le groupe musical Saffir Ettarab (L’Ambassadeur de la chanson). C’est d’abord le genre oranais qu’il affectionne. En 1955, séduits par sa voix, les représentants de la maison Pathé lui proposent la production de disques. Il refuse, nous apprend l’historien Ammar Belkhodja, « confiant à son ami Mokhtar Okacha, que l’Algérie étant en guerre contre le colonialisme français, le moment était mal choisi pour aller enregistrer des chansons alors que le sang des Algériens arrosait le sol de la patrie. » Sa première chanson est El-Babour (Le bateau) mais c’est Angham El-Djazaïr (Mélodies d’Algérie), datant de 1956, qui le fera connaître. El-Babour parle de la mer qui sépare l’amoureux de sa dulcinée restée sur les bords d’une autre rive.
Cette chanson fait partie du répertoire personnel de Maâchi à la tête de son orchestre Safir Ettarab lorsqu’ils se produisent pour la première fois à Oran. L’artiste et le premier ensemble musical de Tiaret, Safir Ettarab, s’y étaient probablement produits en 1953, à l’occasion de l’inauguration d’un théâtre. Blaoui Houari était aussi dans la salle et à la fin du spectacle, public et monde artistique de la place oranaise sont épatés par la prestation de Maâchi.
La presse locale en parle et le jeune chanteur est désormais perçu comme un élément capable de rivaliser avec les célébrités de l’époque. Et ils étaient déjà nombreux : dans le seul domaine du bédouin, citons Abdelhamid Ababsa, Khelifi Ahmed, Cheikh El Meliani, Cheikh Ahmed Palikao, El Bar Amar, Rahab Tahar ou Khoudhir Mansour. Le genre oranais avait aussi ses leaders comme Chikh Hachemi Bensial (mort en 1938), Benyeqa Boutaleb (mort en 1957), Cheikh El Madani (mort en 1954), Cheikh Hamada, Ahmed Wahbi et le grand Cheikh Abdelkader El Khaldi (mort en 1964), l’auteur de la célèbre chanson Bakhta.
Parmi les premiers chanteurs oranais des années 1920, on compte Cheikh M’Hamed, dit Errouge, un coiffeur de profession, à qui on doit la chanson Hadh El Marsame, reprise longtemps plus tard par Khaled et Mami.
Les années 1940 et 1950 étaient aussi l’époque des troubadours. Les ensembles de troubadour algériens étaient très nombreux et faisaient partie du tissu culturel. Tout en offrant des spectacles de rues et des animations dans les marchés et sur les places publiques, ils faisaient vivre les artistes et leurs familles. Le mot troubadour, rappelons-le, vient des mots arabes tarab yadour.
Maâchi a laissé un répertoire assez riche en dépit de la période très courte de sa création. La chanson Taht sama El-Djazaïr (sous le ciel d’Algérie) est dans un ton gai et alerte et sera reprise longtemps plus tard par Mohamed Lamari. Ya dhak el youm fel ‘chya kinetfakrek ma nensach (Ô jour quand je m’en rappelle je n’oublis pas). En mode mekriz, cette qacida narre une séparation amoureuse, celle de Maachi lui-même. Entre 1953 à 1955, l’artiste prolifique enchaine les chansons, qui le rendent de plus en plus connu. C’est durant cette courte carrière qu’il compose (textes et musique) « une chanson à un autre rossignol du djebel G’zoul : Larbi Hachemi, dit Oueld El Garde », pour citer l’historien Ammar Belkhodja. Larbi Hachemi était un second Farid El-Atrache, et Ali Maâchi savait lui créer une composition à sa mesure. Il écrit aussi Ya salam ‘alal banat que Larbi interprétera avec brio. Belkhodja nous rappelle que cet artiste est capable de nous faire voyager à travers l’Algérie avec Angham El-Djazaïr, où il montre sa maîtrise des différents modes et genres musicaux propres à chaque région.
Ali Maâchi compose aussi un texte pour Mohamed Tahar El-Mostaghanemi. Il s’agit de Essayf Oussal. L’œuvre de Maâchi, répertoriée et enregistrée, comprend également : Mazal ‘alike nkhamem ainsi que Ouassit el goumri qui fut reprise par Djilali Deramchi sur un mode mekriz. Mais la plus belle de toutes, l’œuvre maîtresse de Ali Maâchi, demeure sans conteste Angham El Djazaïr dont le refrain deviendra un véritable hymne national par sa diffusion assidue à toutes les fêtes nationales depuis 1962.
Maâchi a eu le talent de réussir une composition musicale qui rassemble les principaux genres qui caractérisent le patrimoine de l’Algérie et ce, dans un enregistrement d’une quinzaine de minutes environ.
Ainsi, Ahgham El Djazaïr est une découverte musicale de l’Algérie, du peuple algérien, à travers des airs appartenant à diverses régions, notamment l’Oranie où la chanson dite bédouine est prédominante
Il y présente aussi le Sahara, en mode bayati, la Kabylie également en mode bayati, avec son rythme dansant, Constantine, ainsi qu’Alger, soit toute la richesse lyrique d’un vaste pays. Cette composition est, à elle seule, un déni des velléités coloniales de dépersonnalisation et de déculturation.
Les textes de Maâchi sont simples et inspirées du terroir. Sur le plan musical, il fait la part belles à la flûte et au galal (tambourin). Après l’indépendance, Nora va interpréter le refrain et tous les couplets d’Ahgham El Djazaïr, suivie de Blaoui Houari et Cherif Kortebi. D’autres chansons de Maâchi sont reprises plus tard par Mohamed Kerkouba qui eut un faible pour Zahyene ou labès et Abderrahmane Meghazi, dont la préférée est Ya babour, tandis que Mohamed Marocain, l’interprète de la célèbre Rachda, rendra hommage à Ali Maâchi en interprétant à Tiaret une chanson qu’il a composée et interprétée.
Pour beaucoup, les morceaux qui immortalisent Maâchi sont Ya nas ama houa houbi el akbar, Mazal aalik nkhamam, Wasit el goumri zharg eldjanhan, Bladi el djazair et Law tas’alouni. Ses textes simples portés par une voix tout aussi sobre mais claire et limpide vont droit au cœur. Expression forte de l’âme algérienne dans sa dimension éternelle, ces œuvres expriment aussi les tensions, les espoirs et la volonté du peuple dans un moment crucial de son histoire : la guerre de libération.
L’ensemble de Maâchi, Safir Ettarab, dont les martyrs ont été remplacés par des jeunes artistes, continuera après l’indépendance à exécuter, en ouverture, un morceau de musique Terig Ouahran. Cette composition méconnue aujourd’hui n’a pas été enregistrée à la radio par Maâchi. D’autres chansons non disponibles sur les bandes magnétiques mais que l’artiste interprétait en diverses occasions peuvent être vouées à la disparition si elles ne sont pas retranscrites, selon Ammar Belkhodja qui a consacré deux livres à l’artiste(1).
Lorsqu’éclate la révolution de Novembre, les membres de l’orchestre Safir Ettarab vont tous rejoindre le combat armé ou le réseau clandestin de l’ALN-FLN. Mokhtar Okacha (1930-1958) et Larbi Hachemi Oueld El Garde (1934-1959) meurent les armes à la main. Mostefa Belarbi (1933-1994), le violoniste de la troupe, est jeté en prison en 1957 et torturé. Le tout jeune percussionniste Zekri Moulay (1939-2005) a, lui aussi, rejoint le maquis. Maâchi est arrêté ainsi que Mohamed Djahlane, un Mozabite de la ville de Tiaret. L’armée française a découvert des armes et des explosifs dans leurs domiciles. Ils sont écroués en 1958 dans un centre de tri et de transit, situé aux abords des casernements militaires de la Redoute, au sommet de la colline est de la ville de Tiaret.
Quelques jours avant le 8 juin 1958, un autre fidaï, Djilali Bensotra, est arrêté au lendemain d’un attentat qu’il avait commis. Il sera assassiné par les forces colonialistes en même temps qu’Ali Maâchi et Mohamed Djahlane.
La Fondation qui porte le nom du martyr, créée en 1997, à Tiaret et dont Ammar Belkhodja a été l’un des initiateurs, a formulé plusieurs propositions dont certaines ont abouti.
Ainsi par exemple, la journée du 8 juin, date de l’assassinat d’Ali Maâchi, fut décrétée par le ministère de la Culture Journée nationale de l’artiste. La première commémoration eut lieu en 1998. C’est en reconnaissance de sa valeur que la présidence de la République a institué le prix éponyme qui est décerné annuellement à la meilleure création artistique.
C’est d’ailleurs grâce à cette initiative que des sites de la ville d’Oran furent baptisés aux noms d’Ahmed Wahbi et Sirat Boumediène. La date du 8 juin ne concerne pas uniquement Maächi mais tous les artistes et hommes de culture assassinés, emprisonnés ou torturés par le colonialisme, comme Mohamed Touri qui a succombé aux tortures, Ababsia qui est mort en martyr…
A.E.T.

Note : Amar Belkhodja, Ali Maâchi (1927 – 1958). Art et combat, Ministère de la Culture, coll. « Direction des arts et des lettres », 2005, 197 p. (ISBN 978-9947-2-4017-5)
Amar Belkhodja, Ali Maâchi, l’hymne assassiné, Alger, Éditions Alpha, 2009, 224 p. (ISBN 978-9947-8-8640-3)

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