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L’espoir tenace dans la vallée du M’Zab

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À Ghardaïa, les Mozabites et les Arabes ont pu parvenir à une trêve, depuis maintenant plus d’une semaine. Une trêve qui reste, il faut le dire, fragile. Car, selon les dires de quelques citoyens, il suffit d’un tout petit dépassement, de part et d’autre, pour que les choses reviennent à la case départ.
Dans les quartiers mozabites, tout comme dans ceux des arabes, l’inquiétude et la méfiance sont perceptibles. Les deux communautés se regardent en chiens de faïence. « Il faut faire des calculs pour se déplacer. Sinon, on risque d’être lynchés et tabassés», lâche un jeune commerçant mozabite rencontré, jeudi, à Bab El-Heddad. Portant une « chéchia » et vêtu de « seroual », dont ses concitoyens sont réputés, notre interlocuteur regrette le fait que les habitants de la Vallée du M’zab n’arrivent plus à vivre en paix, comme c’était le cas, dit-il, par le passé. « Vous allez peut-être rire. Mais, je vous jure que, jusqu’à présent, je ne connais pas la vraie raison qui pousse mes frères à s’entretuer», a-t-il dit.
« Nous sommes prêts à oublier le passé. Pourvu que cela s’arrête ! », a-t-il ajouté, en pointant du doigt un arabe, qui circulait au sein dudit marché.
«Vous avez une parfaite illustration devant vous. Cet homme est un arabe. Et comme vous voyez, il circule en toute liberté », poursuit encore le jeune commerçant qui précise que le déplacement au sein des quartiers arabes est trop risqué. Un peu plus loin, un sexagénaire qui exposait des fruits et légumes à la vente souhaite, lui aussi, que ce
«cauchemar » s’arrête. « Dans le passé, cette vallée était un exemple en termes de cohabitation et de vivre-ensemble », se souvient Ami Hamou, les larmes aux yeux. « Nous espérons que nos jeunes finiront par comprendre qu’il ne sert à rien de s’entre-déchirer car, après tout, nul n’est éternel sur cette terre !», lance le même orateur. De leur côté, les Arabes affirment, eux aussi, être des victimes. « Les Mozabites refusent qu’on vive ensemble », grommelle Fawzi, qui habite au quartier Thniet El-Makhzen où tous les commerces des Mozabites ont été saccagés et incendiés. À ce propos, notre interlocuteur, qui nous faisait visiter les lieux du « drame », à bord de son véhicule, nous précise que ces actes de saccage ont été en réaction aux agissements des Mozabites qui, à en croire ses dires, ont été les premiers à les provoquer. En tout cas, sur place (Thniet El Mekhzen, ndlr), les commerces ont fait peau neuve suite à l’opération de rénovation lancée par le wali de Ghardaïa. Mais, selon toujours notre interlocuteur, les Mozabites ne peuvent pas, du moins pour le moment, y mettre les pieds. « Certains d’entre-eux les ont loué. Tandis que d’autres les ont carrément abandonné », explique-t-il. Avant de rajouter un détail de taille, d’après lui : « Il ne s’agit pas d’une expropriation. Car, comme vous pouvez le constater, les locaux sont fermés et ils ne sont occupés par personne». « Ceux-ci (les locaux, ndlr) ont été incendiés par vengeance », reconnaît-il.

Un dispositif sécuritaire impressionnant, mais…
La présence des éléments de sécurité au sein de la Vallée du M’zab est très remarquable. Des camions de police et de gendarme stationnés un peu partout et des agents éparpillés dans les quatre coins de la ville. Cela étant, il est force de constater que ce dispositif impressionnant n’a pas porté ses fruits.
Puisque, selon les témoignages des riverains, notamment les Mozabites, les éléments de sécurité n’arrivent souvent pas à maîtriser la situation. Certains d’entre-eux vont plus loin, en accusant ces derniers de complicité avec les Arabes. Ils en veulent surtout pour preuve l’incident qui s’est produit lorsque des Arabes ont profané des tombes au sein du mausolée Ammi Saïd. La révocation de trois policiers impliqués dans cette affaire n’a pas été en effet suffisante pour les convaincre de l’impartialité de ce corps. Il est d’ailleurs facile de savoir dans quel quartier résident les Mozabites puisque dans ces derniers on ne trouve que des gendarmes. Sur ce point, un policier, qui s’est exprimé sous le sceau de l’anonymat, a balayé d’un revers de la main toutes les accusations proférées par les « antagonistes » des Arabes. «Étant bien organisés, les Mozabites nous accusent de complicité parce que les Arabes qui ne sont pas, il faut l’admettre, forts en la matière se mêlent avec nous, une fois la situation pourrie », explique notre interlocuteur, en ajoutant que les policiers ne peuvent rien faire dans ce cas. Par ailleurs, et bien qu’ils rejettent en bloc la « version » des Mozabites, les Arabes s’accordent avec leurs frères-ennemis sur un point, à savoir que le déploiement des policiers et des gendarmes dans la région n’est pas la solution. « Il faut plutôt tourner la page et oublier tout ce qui s’est passé », suggère Abderrahmane, un autre jeune accosté au niveau de la localité de Thniet El-Makhzen. Cela est-il possible après la mort de pas moins de 13 personnes, dont 10 Mozabites ? « C’est difficile pour le moment. Mais, cela n’est pas néanmoins impossible », rétorque le même orateur.

La « gayla » : le moment de tous les dangers
Selon les témoignages recueillis auprès de plusieurs riverains de la Vallée du M’Zab, la « gayla » (temps réservé à la sieste, ndlr) est le moment durant lequel il est déconseillé de se déplacer dans les quartiers de Ghardaïa qu’ils soient ceux des Arabes ou ceux des Mozabites.
La raison ? Nos interlocuteurs expliquent que c’est à ce moment-là que certaines personnes aveuglées par leur haine vis-à-vis de l’autre agissent pour solder leurs comptes avec ceux qu’ils considèrent comme étant leurs ennemis. « Il ne faut surtout pas s’aventurer, tout seul, dans les zones interdites aux uns et aux autres, entre 13 h et 18 h (moment de la gayla, ndlr) », insiste un Mozabite d’un certain âge. Plus explicite, ce dernier ajoute que les « semeurs de la fitna », pour reprendre ses propos, mettent à profit cette occasion parce que la plupart des gens rentrent chez eux à ce moment. Il suffit juste, poursuit-il, qu’une personne indésirable dans l’un des deux quartiers soit aperçue pour que des incidents soient signalés. Abondant dans le même sens, un Arabe natif du quartier Hadj Messaoud soutient la même chose. « Certaines zones sont interdites pour nous. Je vous cite, entre autres, le quartier de Souk Lahteb. Si un de nos voisins y accède, il ne peut jamais s’en sortir indemne », affirme-t-il.

« Il faut faire des concessions … »
Pour que les choses rentrent dans l’ordre, il faut que les deux communautés fassent des concessions. C’est là la conviction de plusieurs riverains de la Vallée du M’zab. Pour Djamel, un Algérois d’origine Kabyle qui vit depuis plusieurs années à Ghardaïa, rien ne peut mettre fin à cette crise, mis à part cette solution. Tout en tenant de réclamer sa neutralité vis-à-vis du conflit qui oppose les « frères-ennemis », notre interlocuteur estime que, du côté des Mozabites, il est indispensable que ces derniers revoient leurs copies en ce qui concerne leurs relations avec l’État. « Ceux-ci ne sont pas, en quelque sorte, dépendants de l’État puisqu’ils ont leurs propres écoles. Même, dans les mosquées, les autorités concernées n’ont pas leur mot à dire par rapport aux prêches faits aux fidèles », estime Djamel qui trouve que les Mozabites se contredisent lorsqu’ils demandent l’intervention de l’État alors que, dit-il, en parallèle, ils ne sont pas régis par les lois de la République. Il s’agit donc, dit-il, d’une grande concession que les Mozabites doivent faire. S’agissant des Arabes, le même orateur est interloqué par ces derniers, dont la haine et la colère n’ont pas épargné même les morts. « Je suis désolé de le dire. Mais, arriver à toucher aux morts est un acte inhumain et barbare. C’est inadmissible ! », lâche-t-il, en invitant les Arabes à demander des excuses aux Mozabites.
Pour notre interlocuteur, ces actes, qui n’honorent guère leurs auteurs, sont l’œuvre de « jeunes virulents » et « voyous » qui, d’après lui, ne représentent qu’eux-mêmes. Il faut donc que ces arabes, suggère-t-il, se démarquent solennellement de ces derniers, en s’excusant auprès de leurs frères mozabites.

Lorsque les jeunes se révoltent contre les «sages»
S’il existe une catégorie bien précise qui regrette amèrement ce qui se passe à Ghardaïa, c’est bien celle des personnes âgées et des sages. Ceux-ci pointent du doigt les jeunes qui, selon leurs dires, ne font plus preuve de tolérance. Ami Ahmed, un septuagénaire accosté à Ksar l’djraied avoue que toutes les tentatives visant à calmer les esprits et à tempérer les ardeurs des uns et des autres ont été vouées à l’échec. « Ceux-ci agissent souvent par vengeance ! », poursuit-il. Et d’enchaîner non sans amertume : « Chacune des deux communautés n’acceptent pas à ce qu’un des leurs soit malmené par l’autre ».
Pour leur part, des jeunes, mozabites et arabes, affirment qu’ils en ont marre de la « hogra ». « Ces soi-disant sages n’arrivent pas à comprendre que l’on ne veut pas de nous à Ghardaïa. C’est la raison pour laquelle nous n’allons pas nous taire ! », fulmine Kamel, un Mozabite que nous avons accosté aussi à Bab El-Heddad. « Ces vieux ont fait leur temps. C’est le moment pour que les jeunes prennent le relais », a-t-il ajouté sur un ton colérique. Même son de cloche chez les jeunes arabes. Notre interlocuteur Fawzi, qui nous a servi de guide dans certains quartiers interdits aux Mozabites comme Thniet El Mekhzen pour ne citer que celui-ci, indique que ses camarades ne vont désormais tolérer aucun « dépassement » des Mozabites.

Un conflit social et … politique
Au niveau de la Vallée du M’zab, tout le monde est convaincu aussi que la religion ou le culte est loin d’être la raison du malaise au rythme duquel vit la région depuis plusieurs années. Du côté des Mozabites, l’on parle d’une volonté manifeste pour effacer leur culture et leur identité. Tandis que, du côté des Arabes, l’on déplore l’inexistence de la culture de bon voisinage chez leurs frères-ennemis. « Les Mozabites sont contre toute cohabitation. Ils ne peuvent jamais admettre à ce qu’un étranger devienne un des leurs même après tant d’années de vivre-ensemble », martèle Abderrahmane qui reconnaît, cependant, que la communauté des M’zab est « formidable ». « Ce sont des vrais bosseurs, dont le niveau intellectuel est souvent très élevé », poursuit-il. Notre interlocuteur conclut ainsi sur une note optimiste en estimant que la Vallée du M’zab finira par retrouver son lustre d’antan tôt ou tard.
De notre envoyé spécial à Ghardaïa, Soufiane Dadi

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